Omerta

Chapitre 6 - 3/4

Quand Rhys grimpa au volant de sa propre voiture, il resta un moment silencieux, à fixer le vide à travers son pare-brise. Depuis quelques temps, il avait la désagréable impression de nager dans les eaux troubles du port avec un caillou attaché à chaque chaussure.

Il avait toujours été du genre à suivre les ordres sans se poser de questions. Pourtant, il ne savait plus quoi penser de toute cette histoire. Si Bernard voulait bien donner sa chance à Andrea, pourquoi lui demander de le surveiller ? S'il voulait vraiment rejoindre le Cerbère, le gamin aurait à prouver son utilité, et ce n'était pas avec Rhys sur les talons qu'il pourrait le faire.

Et puis, surtout, pourquoi avoir essayé de l'écarter du job, en le faisant volontairement passer pour une taupe aux yeux des employés du Wooden Lodge ? Par peur qu'il ne soit qu'un agent double et que la piste de la drogue ne leur échappe pour de bon ? Pour protéger un jeune homme trop curieux d'un monde bien trop dangereux pour lui ?

Quelle que soit la raison, Bernard ne lui aurait sûrement pas raconté la vérité s'il lui avait posé la question.

Pensif, il finit par sortir son téléphone pour appeler le laboratoire. Christina répondit presque aussitôt, pour son plus grand soulagement.

– Bonsoir Christina, c'est Vitali. Je ne te dérange pas ?

– Tu as de la chance, j'étais en train de m'en aller. Tout va bien ?

Rhys ne laissa pas filer sa chance. Il voulait comprendre, et peut-être qu'avec ça, il serait fixé.

– Oui, tout va bien, ne t'inquiète pas. Je t'appelais juste pour savoir si t'avais pu faire les recherches que je t'avais demandée. Tu sais, la carte d'identité que je t'ai donné l'autre jour ?

– Ah, oui, je m'en rappelle. Attend.

À travers le combiné, il entendit le bruit de la chaise à roulette de Christina qui traversait le laboratoire.

– Sa carte est vraie. Je n'ai rien trouvé d'inquiétant sur lui. Pas de casier, juste des traces dans les archives universitaires. Par contre, c'est une sacrée tête, tu sais ? Il a fait un double cursus dans une grande école de commerce. Tu tapes fort, ce coup-ci.

Au ton enthousiaste de sa voix, Rhys comprit avec lassitude qu'elle était en train d'imaginer des choses qui ne lui plaisaient pas du tout. Mais il préféra ne pas la contredire. Si elle avait envie de croire qu'il lui avait demandé de fouiller le passé de l'une de ses trop rares conquêtes, il n'allait pas la dissuader.

– Alors il est vraiment étudiant à Tripoli ?

– En fait, il a soutenu son mémoire il y a deux mois et son diplôme vient juste d'être délivré. À côté, que des stages dans des entreprises sans rapport avec nous, et des petits boulots d'étudiants. Tu veux que je remonte plus loin ?

Décontenancé, Rhys mit un petit instant à réaliser qu'il devait lui répondre.

– Non, non, ça ira, merci. Excuse-moi de t'avoir dérangé. Bonne soirée, Christina.

– Tu ne me déranges jamais. Mais méfie-toi si jamais tu décides de lui briser le cœur. J'ai trouvé tout un tas d'articles dans les journaux locaux. Il est ceinture noire de Jiu-jitsu.

Rhys la remercia encore, avant de raccrocher avec une grimace.

Dire que le gamin s'était foutu de lui et de sa belle voiture. Dans le genre cliché de l'étudiant parfait, il ne faisait pas mal non plus.

Mais en vérité, ce n'était pas d'apprendre qu'Andrea était clean qui le soulageait le plus. C'était de se dire que le gamin était vraiment majeur. Même s'il faisait de son mieux pour ne pas y penser, il avait toujours en tête ce qu'il s'était passé, après ce fameux soir au Wooden Lodge.

Restait à savoir pourquoi Andrea avait fait tout ça. Son ambition de rejoindre le cerbère avait l'air fondée. Et il ne devait pas être totalement irresponsable non plus s'il avait fait tellement d'études. Il était censé avoir les pieds sur terre. Alors pourquoi est-ce qu'il n'arrivait pas à le voir autrement que comme un fou furieux complétement inconscient ?

Rhys mis le contact en poussant un soupir résigné.

Cela avait au moins servi à lui faire prendre une décision. Il se rendrait au Wooden Lodge pour jeter un œil sur lui. Il allait juste devoir la jouer fine, s'il ne voulait pas compromettre tout de suite la couverture du jeune homme et les mettre tous les deux dans les ennuis. À défaut de pouvoir aller le voir, il avait au moins le temps d'appeler pour prendre des nouvelles de Toni : il vallait mieux attendre que le bar se remplisse un peu avant d'y montrer son museau.