Chapitre 6 - 2/4

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Les drapeaux des trois clans d'Agarèze flottaient au-dessus de la tête des touristes, toujours très nombreux les jours où le conseil se réunissait sous la coupole de l'hôtel de ville. Ils espéraient tous voir sortir un prince de l'une des nombreuses voitures blindées qui s'arrêtaient en bas des marches, sur l'emplacement réservé, pour entrer au palais sous bonne escorte.

Mais les princes du Cerbère n'entraient presque jamais par la grande porte. Derrière les colonnades et les façades blanches, le complexe était immense et abritait beaucoup de cours et de chemins par lesquels ils préféraient arriver. Pour le public, on n'offrait que des avocats ou des secrétaires, bien habillés et avec de grosses lunettes noires, accompagnés de quelques gardes du corps qui portaient l'écusson de l'une des trois familles.

Même Rhys ne pouvait pas entrer comme ça dans l'hôtel de ville, surtout un jour où le conseil se réunissait. C'était peut-être le seul endroit d'Agarèze où toutes les forces de police étaient vraiment neutres. Les princes avaient tout intérêt à ce qu'elles le soient ; il en allait de leur propre vie.

Rhys n'avait qu'un badge d'agent de sécurité privé. Seul et sans garant, il n'eut que le droit d'attendre dans une cour intérieure. Il alluma une cigarette qu'il fumant sous la colonnade, en profitant du soleil, sous l'œil impassible d'un officier en chemisette blanche et des quelques employés de bureaux qui traversaient parfois. Les rumeurs de la ville étaient étouffées par la distance, les couloirs de marbres plus silencieux qu'une cathédrale. Une fois par semaine, les trois princes du Cerbère et leurs plus fidèles compagnons siégeaient à un conseil spécial avec le maire de la ville. La tradition venait du Moyen-âge, et aux yeux du grand public, on faisait passer cela pour du folklore, ou un simple conseil économique.

C'était souvent le cas, à vrai dire. Mais Rhys, pour y avoir autrefois accompagné Eusebi Valira et fait le planton pendant des heures derrière le dos du prince et de Bernard, savait aussi qu'on y parlait parfois de sujets que les oreilles profanes n'avaient aucuns intérêts à connaître. Y compris des affaires internes des clans.

C'était ce même conseil qui avait posé un ultimatum à Eusebi Valira. Sa santé trop précaire et son refus de désigner un héritier avait suscité l'inquiétude des autres membres. La prochaine fois que le prince ne pourrait se déplacer lui-même à l'une de ces réunions, les membres des autres familles exigeraient des Valira qu'ils votent pour désigner un successeur à sa place. Et si ce que Rhys redoutait s'avérait exact, ce serait alors la fin du clan tel qu'il l'avait toujours connu.

Le conseil pouvait être très bref comme durer des heures. Tout dépendait l'ordre du jour, et Rhys ne pouvait que prendre son mal en patience en attendant que Bernard ne le rejoigne.

Un bruit attira pourtant son oreille. Le choc des talons aiguilles contre le carrelage. Il pouvait reconnaître la marque rien qu'au son qu'ils faisaient, et ce n'étaient certainement pas les chaussures d'une simple employée de mairie. Au bout des escarpins noirs qui approchaient de lui d'un pas léger, une jeune femme blonde lui adressa un sourire.

– Rhys ?

Son ton était surpris mais son regard pétillait. Rhys se tendit aussitôt, méfiant.

– Bonjour, Sasha.

Elle sourit de plus belle.

– Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'as quand même pas repris ton poste dans la garde des Valira ?

Un greffier passa tout près d'elle et laissa un peu trop glisser ses yeux sur la jupe crayon de son tailleur noir. Elle surprit le regard posé sur elle et se retourna aussitôt pour lancer un clin d'œil à l'inconnu indélicat. Ce dernier, en reconnaissant la jeune femme qu'il avait reluqué sans vergogne, détourna brusquement les yeux et s'enfuit à toute jambe.

OmertaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant