Chapitre 10 - 2/3

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Andrea se frotta les yeux un long moment. Il avait la tête pleine de brouillard et des chiffres dansaient encore devant ses paupières. Sans parler de l'odeur des fleurs qui lui donnait la nausée.

Il avait passé l'après-midi penché sur un bureau de fortune dans un tout petit local au-dessus d'un fleuriste. Il n'y avait qu'une petite lucarne dans la pièce, que l'on avait obstruée autant que possible pour que les activités à l'intérieur restent discrètes. Ça n'empêchait pas l'odeur des plantes de monter jusqu'à eux, et la faible luminosité avait fini par lui donner mal au crâne.

Arnau, son collègue de l'après-midi, n'était pas dans un meilleur état que lui. Ils avaient passé des heures à éplucher des factures pour mieux en rédiger d'autres, aux prix plus ou moins gonflées en fonction des indications qu'on leur avait laissées.

– C'est sûr que ça change des horaires du privé, pas vrai ?

Andrea acquiesça en silence. Arnau était un grand type mince, aux cheveux ébouriffés, et à son plus grand étonnement, du genre plutôt bavard. Ils avaient beaucoup discuté, au milieu de leur labeur, et ils avaient découvert qu'ils avaient tous les deux travaillés dans la même entreprise à Tripoli, Arnau en tant que comptable, lui-même en tant que stagiaire. Il lui avait raconté être rentré depuis quelques années à Agarèze. Sa copine avait un job qu'elle ne pouvait pas quitter, et qui les faisait largement vivre tous les deux. Alors il avait quitté son confortable poste de petit gratte-papier pour entrer au service du Cerbère.

Andrea se demandait combien il y avait d'Arnau qui occupaient des bureaux cachés au-dessus des commerces d'Agarèze. Combien y avait-il de trésorier de l'ombre pour faire tourner l'économie souterraine, avec leurs calculettes et leurs carnets de comptes ? Arnau soutenait qu'ils étaient une main d'œuvre précieuse, beaucoup plus que les bras armés ou les petits délinquants. Sans eux, aucun profit n'était possible.

Andrea voulait bien le croire, et quelque part, se sentait plutôt satisfait d'avoir pu apporter une infime contribution à la famille, peut-être pour la toute première fois. D'autant plus que ça l'avait empêché de repenser à Rhys et à ce qu'il lui avait appris la veille.

Mais d'un autre côté, il avait terriblement envie de s'allonger dans son lit et de ne plus jamais en sortir. À côté de ça, ses quelques soirs de service au Wooden lodge avaient presque été une récréation. Il avait pourtant passé les trois dernières années penchées pendant des heures sur des livres et des cours indigestes. Est-ce qu'il avait déjà perdu le rythme ?

Arnau emporta avec lui les ordinateurs dont ils s'étaient servis et laissa la clef du bureau dans la terre d'un pot de fleurs. Ils sortirent par une entrée de service, qui donnait sur un garage à l'arrière du bâtiment. Une jeune femme brune les attendait au volant d'une petite voiture.

Maria, la serveuse du café de Bernard. En se dirigeant vers le coffre du véhicule, Andrea eut le temps de voir Arnau embrasser rapidement la jeune femme.

Il garda son étonnement pour lui. Il comprenait mieux pourquoi son nouveau collègue avait le droit de monter sur le siège avant, quand lui devait se contenter de se cacher dans le coffre. Arnau avait probablement une couverture pour expliquer sa présence ici, mais lui, on ne devait pas le voir sortir du quartier. Il ne s'en plaignait pas, la voiture était tellement petite qu'il avait sans doute plus de place sous la plage arrière décollée que sur les sièges passagers.

L'auto-électrique démarra sans faire de bruit.

– Je vais te ramener au manoir, le prévint Maria. Tu peux le dire à Vitali ?

Andrea acquiesça et se contorsionna pour sortir son téléphone.

– Comment ça, au manoir ? demanda Arnau d'un ton curieux.

OmertaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant