Je ne suis pas bien, la tête me tourne, j'ai des hauts le coeur. Anna me tire plus qu'autre chose, ça tangue, je la stoppe puis je vomis mais elle continue sans se soucier de ses chaussures que je viens de souiller. On pourrait croire qu'elle a le feu aux fesses tellement elle est rapide.- Il faut que je te ramène chez toi, il faut que je parle à Viviane.
- A maman, mais pourquoi? Je ne me sens pas bien, je le sais mais ...
- Anna? Stan a crié.
Nous le regardons dans un mouvement, il nous observe mi-inquiet, mi-soulagé. Ils ont un échange silencieux du regard, pour eux tout est facile. Ils se parlent, comme souvent, rien qu'en se regardant. Il avance vers moi et d'un geste brusque mais assuré il me prend la tête entre ses deux énormes paluches et me parle avec une douceur que je ne lui connais pas.
- Gabe ... tu sais, parfois, entre raisons et sentiments faut choisir les deux.
Comme une décharge électrique je sors de ma torpeur.
- ANNA, tu lui as raconté ...
- NON, non , je t'assure que non ...
- Franchement, tu pourrais être honnête au moins, je n'en ai parlé qu'à toi!
J'ai froid, la tête me tourne de nouveau, et la bile me remonte à la gorge.
- S'il te plaît, ramène-moi à la maison.
Je monte dans la voiture. Un seul mot me revient. Pourquoi? Pourquoi tout à coup, je me sens désemparée. Je suis bouleversée, un peu comme si j'avais été trahie de la plus perfide des façons. Au fond de moi je sais que ce sentiment ne vient pas d'Anna, mais c'est autre chose, plus puissant, plus fort.
Anna a un échange très sec avec Stan, qui lui répond de façon très sévère. Je ne comprends rien à ce qu'ils se disent, je me rends compte que c'est la première fois que je les vois se comporter ainsi l'un envers l'autre. Très énervée elle monte à ma suite, je l'attend marmonner :
- pourquoi j'ai baissé ma garde, bon sang!
Les rues sont étroites, elles ressemblent plus à des ruelles avec de nombreuses petites maisons. La conduite d'Anna est brutale. Malgré cela je vois toujours les mêmes petites maisons jaunes ou orange de temps en temps. Toujours les portes que le froid oblige à rester fermées. Mais là, maintenant, la routine ne m'atteint pas, un choc voilà ce que j'ai eu, un choc de le voir.
Elle s'arrête devant chez moi, je lui fais juste la bise, elle sait, demain tout sera effacé. Au fond, je l'espère. Il n'est pas encore midi, maman va se demander pourquoi je rentre si tôt, cette journée un été étrange dès le début.
- Maman?
- Ma chérie? Mais que fais-tu déjà là?
- je me sens mal maman, je ...
- Gabrielle, que t'arrive-t-il? La panique s'entend dans le son de sa voix, mais je ne fais pas attention à son regard terrifié.
- Il y a ce nouveau qui débarque et que j'ai la sensation de connaître, Anna raconte mes confidences à Stan et du coup je me sens en colère, triste et trahie. Tout cela est étrange maman, tout est en train de bouillir en moi, maman que m'arrive-t-il?
Je suis nerveuse, je tremble et mes mains sont moites. Des frissons me parcourent l'épiderme, je me sens électrique et je ne sais pas pourquoi. Ce sont trop de sensations, trop de sentiments en même temps, tout se bouscule en moi et c'est à partir de là que les situations étranges commencent.
Un, le temps reste figé,
Deux, maman laisse tomber le verre
Trois, je ne touche plus le sol.
Je commence à paniquer, maman vient me rattraper, et me calme, des larmes strient mon visage et expriment mon angoisse grandissante.
Pourquoi? Je n'en sais rien, la peur, la rage ou ce que je ressens, avec à l'intérieur une profonde peine qui prend possession de moi, comme si j'avais perdu les personnes à qui je tiens le plus au monde. Je ressens un mal vieux comme le monde, le deuil. De qui? Je ne sais pas, mais ce sentiment est ingérable, j'ai chaud puis froid, des picotements dans la nuque, les cris de maman, les pas de mon père, le trou noir, puis le sol que je rencontre.
...
Peu après cette situation dramatique, je me trouve dans mon lit, la nuit est déjà avancée, les ombres des arbres dansent devant mes fenêtres, j'ai souvent peur de tout, mais ce soir plus que jamais. Je suis terrifiée par ce qu'il s'est produit ce matin.
- Ne la réveille pas Thomas, il faut qu'elle se repose, ce qu'elle vient de vivre est le commencement de tout, et il le sait, il l'a vu.
- Vivianne, tout ça, c'est de notre faute, nous aurions dû la tenir au courant de toute cette histoire, au lieu de lui cacher. Pourquoi ne pas le lui dire chérie?
- Ecoute, maintenant il sait que tout est en marche et il peut entrer dans ce jeu d'échecs infernal. Et la tenir au courant de tout ça, comme tu dis, ne servira à rien, laisse-nous quelques jours et puis nous aviserons.
Je me fais toute petite, quand mon père ouvre la porte pour regarder si dors, par habitude, je ne veux pas qu'ils sachent que j'ai tout entendu.
Qui est celui qui sait tout? Quelle est cette histoire que papa veut que je sache, et quel est ce jeu d'échecs? Que veut dire maman par là?
Je suis perdue, cet instant de panique ressenti, toutes ces émotions exacerbées, je pousse un profond soupir.
Le bruit familier du grincement de la porte de ma chambre qui s'ouvre me fait instinctivement tourner la tête dans cette direction. Papa se trouve devant moi, il vient s'assoir au bord du lit et il me regarde simplement.
- Ca va?
- HM hm.
Ce sont là, les seuls mots que je peux sortir, moi aussi je le fixe, mes yeux lui disent que je sais qu'ils me cachent tous les deux quelque chose, et il sait tout de suite, mon père n'est peut-être pas pour les mots mais il est très instinctif.
- Chérie, je sais que tout ça te dépasse et que tu ne comprends rien, grand Dieu, si ta mère apprend que je t'ai mise sur la piste, elle me tuera.
- Papa, quelle piste? Que m'arrive-t-il? Ma gorge est tellement serrée que les sons qui sortent de ma bouche sont proches du couinement.
- Je ne peux pas te le dire Gabe, tout arrive si vite, et il est trop tôt pour tout te dire, la seule chose que je peux laisser passer, ce sont ces quatre mots. "Souviens-toi de toi".
- Pardon c'est quoi ce charabia? Papa est inquiet et sur les nerfs. Je le vois à cette façon qu'il fait craquer les jointures de ses doigts.
- Je ne peux rien te dire de plus.
Il se lève, se dirige vers la porte, il m'offre un pâle sourire et ajoute:
- n'oublie pas, pas un mot à ta mère.
D'un geste rageur j'attrape mon oreiller pour m'étouffer avec. Il est clair qu'on ne le changera pas, les mots et lui ne font pas bon ménage. Me voilà bien avancé.
- Souviens-toi de toi ...
En fermant les paupières, je répète inlassablement ces mots et c'est dans mes murmures que je m'endors, la tête lourde de questions.
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Les âmes éternelles
RomanceLorsque Gabrielle croise Mathys pour la première fois, elle est troublée mais pas seulement. Elle à se sentiment étrange de déjà vu. Mathys entre dans sa vie et chamboule tout ses repères. Quand il lui avouera la sombre vérité Gabrielle devra choi...