Les âmes éternelles

La prophétie-11-

Je peste en faisant de grands gestes, ma dégaine est raide tellement je suis crispée. Je suis perdue, noyée dans une myriade de sentiments que je peux à peine gérer. J'ai rêvé des milliers de fois qu'une vie d'aventures me tombait dessus, j'en étais évidemment l'héroïne. Dans ma tête, j'étais légèrement plus grande que je ne le suis réellement. Dans cette vie héroïque, mes cheveux noirs seraient plus longs, plus brillants et j'en ferais ce que j'en veux, mes yeux seraient verts comme ceux d'Anna et non caramel, j'aurais l'allure des déesses d'antan mais en plus moderne je serais une héroïne "fashion" comme Stan aime le dire.

Seulement voilà, ça ne ressemble pas à ce que je m'étais imaginé, ce qui me tombe dessus est autre. On ne parle pas de maitriser la force ou un bâton magique, on me demande de changer le monde avec mon cœur, celui, qui pour moi est continuellement changeant, celui qui me fait imaginer tant de héros, tous différents. Il y avait eu tout d'abord Nicolas, ce beau garçon aux cheveux blond doré qui avait des yeux d'un bleu perçant, il avait été mon prince charmant celui qui venait me chercher en calèche devant ma masure lugubre pour me sortir de ma vie de servante. Ensuite bien plus tard il y avait eux Romeo, sur ce coup je n'avais pas été très originale, mais mon Roméo à moi était d'un autre type : brun, le teint mat et ses yeux étaient semblables à deux billes noires. Lui était mon comparse dans les quêtes contre les tyrans des autres mondes.

Je me demande si de mes frêles épaules le poids ne serait pas trop lourd à porter. Est-ce comme dans mon imagination?, Suis-je forte, suis-je courageuse ? C'est sur cette idée que j'arrive sur la berge où je vois jouer un enfant, je me pose sur le banc en face de l'eau et je réfléchis. Longtemps, très longtemps jusqu'à ce que cet enfant, plutôt téméraire, trop téméraire s'approche de l'eau. Je veux crier, mais je me retiens, la panique serait la chose à ne pas faire. Le risque de surprendre ce petit homme est trop grand. Alors, ce que m'ont dit les autres tout à l'heure est subitement revenu en plein milieu de mon front, "capable de réaliser et de matérialiser ce que tu désires". Alors je me suis mise à penser très fort que ce petit garçon ne tomberait pas, je me suis dit : " Hey p'tit gars recule ! C'est dangereux de s'approcher si près de l'eau. " Je le pense, encore et encore, avec plus de déterminations cette fois, avec de l'autorité aussi, et ce qui suit est magnifique. Un cygne se pose majestueusement sur l'eau, en s'approchant il effraie le bambin qui s'éloigne de la rive, en suis-je l'investigatrice, j'ai envie de le croire et au fond de moi, j'en suis convaincue.

Le sourire me revient. Le petit garçon a échappé à une noyade certaine, il aurait pu mourir. Quand cela me frappe, je me dis "et si pour une raison quelconque je perdais la vie ? Si cette quête est pour moi la fin de cette vie, si Zéphyrine avait choisi de revenir à ce moment pour changer le cœur des hommes n'était-ce pas pour sacrifier son ultime vie sur terre ?"

Je me lève du banc, refais le tour du lac, toujours en ressassant le bon et le mauvais de cette histoire. Elle me met définitivement en vrac, et puis qu'est-ce que c'était les réincarnations pour moi ? Je décide de sortir mon téléphone et de me connecter à internet. Je tape quatre mots : réincarnation et plan de vie. La définition me tue sur place : la vie continue jusqu'à ce que l'être ait réalisé la fusion de sa vie céleste avec la vie terrestre. Sans m'en être aperçue, je me suis levée et mes pas m'ont mené au pied du cygne, celui-ci n'a pas bougé. Il me regarde simplement, me fixe comme si lui aussi venait de comprendre l'ampleur de ma tâche. Une larme coule le long de son bec, lorsque la larme touche la surface de l'eau, un éclair blanc scinde le ciel en deux et a un flash se matérialise devant mes yeux. Cette fois-ci je ne rêve pas. Je vois cette scène comme sur un écran de télévision.

Deux gosses se chamaillent dans une chambre, dehors il fait gris, le soleil est caché derrière d'épais nuages blancs.

- Gabrielle, je sais que tu ne peux pas comprendre, mais ce que je vais faire est important pour toi et pour moi, pour recommencer à zéro.

La petite fille est minuscule à côté de ce préadolescent. Assise sur une chaise aussi petite qu'elle, ses yeux caramel le fixent avec une affection tendre et fraternelle.

- Je ne comprends pas Mattys, je préférerais jouer avec mes poupées et c'est à ça que tu avais dit oui pas à ce jeu bizarre.

Le ton qu'elle emploie fait rire Mattys, tant de naïvetés dans ce corps d'enfant. Mais en réalité Mattys sait ce que cette innocence va devenir, il veut la protéger, il veut retarder le moment où elle s'apercevra de sa supercherie. Mais cela sera bien plus tard, avec les derniers événements ses parents sont sur leurs gardes près à s'enfuir. C'est maintenant ou jamais. Dans des paroles qu'il maitrise à peine il se met à entonner une mélodie pour rassurer la petite fille à un détail près, les paroles de la chanson sont des incantations. Un spasme fait arquer l'enfant, le temps qu'elle devine que les paroles ne sont pas celles de sa comptine préférée, le changement s'est déjà opéré, elle va oublier sa destinée.

-Oublie ce que tu es. Ne reviens pas avant d'avoir reçu mon signal, oublie ton destin. Quand j'apparaitrais tes souvenirs seront limpides et tu te souviendras de toi.

Et pris dans une transe le garçon ferme les yeux. Quand il les ouvre, sa petite sœur adoptive dort et une larme solitaire tombe de sa joue rondouillette comme pour anéantir le chagrin de cet acte démesuré.

Dans l'eau cristalline du lac je suis captivée par ce que je vois, les enfants c'était nous. Il était le responsable de l'oubli puis des souvenir mais qu'est-ce qui lui a pris et pourquoi ce cygne me montre ça à l'instant où je me pose tant de questions. Autant remettre du beurre sur une tartine déjà engraissée par de l'huile.

Je relève la tête, je suis si proche de l'eau que même en dehors de la mission qu'on me demande d'effectuer, j'aurais pu mourir et en y repensant j'aurais pu mourir un millier de fois. Comme la fois où mes parents m'ont interdit de rejoindre Stan à l'église, cette nuit-là j'étais passée par le rosier qui longe la fenêtre de ma chambre, je n'étais pas tombée mais j'aurais pu et de très haut. La mort pouvait être partout comme aujourd'hui tellement absorbée par mes découvertes, si le cygne ne m'avait pas stoppée moi et l'enfant peut-être serions-nous tombé à l'eau et tétanisée comme je le suis, je n'aurais pas eu la force de nager.

Je me rapproche du majestueux animal, m'accroupissant pour être à sa hauteur, je me surprends à lui parler, c'est là que je me rends compte de ce qu'il représente réellement.

-Alors c'est toi qui as été envoyé pour veiller sur moi, tu es un ange pas vrai ? Tu es un messager, tu es celui qui est venu atténuer mes doutes, mes peurs ? Mais qui va me faire prendre conscience de ma force, qui va m'aider à faire de mes faiblesses une force ?

Je pleure, tellement intensément que mon visage est strié des sillons que laissent mes larmes. Le cœur lourd, je ne vois pas tout de suite le bambin de tout à l'heure s'approcher de moi, je sens une petite main posée sur ma joue, je croise son regard, caramel, le même que le mien.

-Gabrielle ne pleure pas. Tu es déjà capable de te mettre dans des états pareils pour une décision que tu as déjà prise. Si tu pleures c'est parce que tu es consciente de tes faiblesses, mais que ton grand cœur veut aider, elle est là ta force ! Malgré ta peur, malgré tes doutes, tu veux le faire, le courage est en toi petite lumière, tu m'éblouis déjà tellement tu brilles. Ne regarde pas ce qui te retiens, regarde ce que tu peux atteindre.

J'en reste muette, ce petit homme a à peine six ans. Il parle comme un adulte, comme un père. Je regarde de nouveau le cygne, il n'est plus là, je me retourne vers le petit garçon, lui aussi a disparu.

Dans mon mouvement, je regarde le ciel, la lune est déjà bien haute, il doit être tard. Il est temps pour moi de rentrer et de faire part de ma décision aux membres des terrestres. A Nous tous, nous somme la ligne continue de l'amour. Nous sommes l'espoir de faire reculer les ténèbres de ce monde.