Les âmes éternelles

Le chainon manquant -5-

Avez-vous déjà ressenti cet instant de quiétude ? Ce moment où les choses vous paraissent tellement calmes que cela vous apaise. Pourtant au fond de vous, vous savez que cela ne va pas durer. Vous savez que c'est le calme avant la tempête, que d'un moment à l'autre tout va basculer. Pourquoi ? Parce que vous avez des obligations, des actes à réaliser. Une promesse que vous devez tenir.

Là c'est ce que je ressens, une impression de bonheur qui va tourner au drame. Nous sommes dans la même position que quelques heures plus tôt. Je n'ose pas remuer ou respirer, je ne veux pas briser cet instant calme et tendre. Je veux encore des minutes de normalité, des minutes qui nous prouvent que nous sommes justes deux jeunes étourdis d'amour et que la raison nous rappellera plus tard.

Je veux rester là, éternellement ou presque. Je veux être avec lui pour toujours, deux amants coincés à jamais dans l'espace-temps de notre vie. Deux amoureux attachés l'un à l'autre, figé dans leur propre corps.

Je sais qu'il est réveillé et il est probable qu'il sait que je le suis également.

- Gabe ? Sa voix est un chuchotement.

- Oui je sais. Dis-je.

- Il est temps de se dire au revoir. Nous le savions, mais si tu le souhaites ma proposition de cette nuit tient toujours.

Au fond, je devrais peut-être accepter, faire en sorte que l'on oublie. Fuir, tout simplement. Mais est-ce que je veux vraiment cela ? Est-ce que je veux arrêter là ? La vérité c'est que même si je le voulais, je ne peux pas. Il y aurait un gout d'inachevé, le regret de savoir que j'ai tourné le dos à ce que je devais accomplir.

- Tu sais que pour toi comme pour moi, nous devons passer par là Mattys. Avant tout ça je ne croyais pas au destin, je ne pensais pas que les choses étaient écrites d'avance. Je pensais tout simplement que l'on traçait sa route sans faire d'histoire. Pour certains, ils étaient chanceux pour les autres la vie paraissait triste. Mais pour moi rien n'avait d'influence, on choisissait sa propre voix. Et aujourd'hui toi et tous les autres me prouvez le contraire. Je ne pense pas que fuir, bien que l'idée soit séduisante, puisse être la solution. Nous devons nous affronter, je garde un infime espoir que cela remettra tout à sa place. Je garde à l'esprit que l'on se retrouvera ailleurs que sur un champ de bataille.

Ma tirade a été longue, je suis à bout de souffle. Je ne sais pas ce que reflètent mes yeux. Peur, désespoir ou bien un peu de naïveté. Il recule d'un pas, me toise et je comprends qu'il est redevenu un robot dénué de sentiments.

- Tu as choisi, encore une fois, pour toi et non pour nous. On ne t'a jamais dit que l'on apprenait de nos erreurs ? Tu perdras Gabe, tu n'es pas complètement formée, ta puissance est discutable. Ne comprends-tu pas que tu te jettes toute seule dans la gueule du loup.

Et lui ne sait-il pas que je m'y suis déjà jetée? Agacée, je crie :

- Peu importe si c'est ici que je meurs, peu importe si ce combat je dois le mener seule ! Je ne laisserai rien tomber, tu entends ? Rien.

- Très bien, mais sache que tout ce que tu viens de dire n'aura servi à rien. Si, si... jamais... tu... tu viens à mourir de mes propres mains, eh bien j'en crèverais aussi. Et toutes ces choses pour lesquelles tu te bats n'auront servi à rien.

Je ne crois pas un mot de ce qu'il vient de me dire. Serait-il à ce point stupide ? Je ne pense pas que fuir soit la solution. Mais mourir en est une complètement absurde. Ne venait-il pas de dire que l'on n'apprenait jamais de nos erreurs ? Je ne voulais pas répondre et avant que son côté ténébreux ne réapparaisse complètement, je m'approche de lui. Lentement, je pose mes mains à plat sur le haut de son torse. Nos échanges sont plus aisés comme ça. Moins susceptibles de partir en dispute. Le contact est ce qui nous tient. Tout est fini et c'est dans un baiser tendre et rempli d'amour que je lui dis au revoir.

Je ne pensais pas que je pourrais en arriver là. Comment s'avouer vaincue alors que tout est à faire.

Comment décider pour lui, comment interférer dans la vie d'une personne, alors qu'au fond d'elle-même, elle ne sait pas où elle en est.

La décision prise par moi pour celui que je crois connaître n'est que contrôle.

Je le vois encore m'embrasser sous le vieil olivier. Un de ces souvenirs d'une autre vie, plus triste encore que celle que je vis aujourd'hui. Je le vois me dire tendrement qu'il m'aime et lui répondre en retour que je l'aime tout autant.

Je veux qu'il vive, mais comment le vouloir si lui ne le veut pas.

Comment lui faire comprendre les mots que je n'ai pas su lui dire.

Il a été le premier à éveiller mes sens. Le premier de qui j'ai eu peur.

Mais n'a-t-il pas été aussi le désir, mon désir. Celui de l'avoir pour moi et rien que pour moi.

Je ne le veux pas à moitié, je le veux tout en entier et si pour cela il doit s'en aller, alors qu'il parte.

La dualité que l'on s'impose n'a pas de morale ni d'honneur. Elle est juste le fruit d'une destinée que l'on n'a pas choisie.

Aujourd'hui je pense, je crois que nous n'aurons pas d'avenir commun, je crois que nous sommes tous les deux voués à échouer.

Nous ne sommes pas ce que nous voulons être, ni lui, ni moi. Nous sommes des pions venus sur terre pour accomplir un acte, une mission, un destin.

Je sais que le destin est en cause et que mon ennemi n'est pas lui, mais moi. Les actes, les choix que j'ai pu faire sont mes ennemis. Lui n'en est pas un.

Alors doucement et simplement je le laisse partir, nous n'avons rien en commun, il ne fait que me tirer par le fond. Alors que je veux briller.

L'échec, n'est pas une défaite, non c'est une réussite. Non pas de ce que l'on voulait faire. Mais bien de réaliser que nous sommes tous égaux, et il en est de même face au choix.

Au son que fait la fenêtre, je sais qu'il est trop tard, il part. C'est terminé. Je me retourne calmement pour lui jeter un dernier regard.

- Au revoir Gabrielle, tu resteras éternellement enfermée dans mon cœur.

Ce n'est pas lui, ni la porte qui s'ouvre à la volée qui fait un vacarme d'enfer. C'est moi, lorsque de chagrin je m'effondre sur le sol en larmes. Mon combat je l'ai déjà perdu. Demain il sera déjà trop tard.