Le chainon manquant -1-

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L'homme a ce choix : Laisser entrer la lumière ou garder les volets fermés.

Henry Mille.

Trois jours. Ces deux mots insignifiants ne font que me hanter depuis le début de cette matinée. Trois jours, pour me former, pour maîtriser mon énergie, pour faire passer Mattys du côté d'une balance qui n'avait ni poids ni mesure.

Après son départ, nous nous étions tous mis d'accord, il fallait que je m'entraîne pour gérer le flux énergétique qui m'anime.

Ils s'étaient tous donné une tâche, chacun apporterait son savoir pour m'aider.

Maman a évidemment reçu le rôle de gardienne aidée de papa, ils m'apprennent à ressentir les ondes en moi, à les refouler et à les disperser.

Anna et Stan, le combat à proprement parler, donner ou recevoir des coups. "Eventuellement, les parer" avait dit Stan.

Alexander, lui, apporterait la connaissance théorique de tout ça, comme la prophétie mais aussi les points forts et les points faibles de Mattys et les miens.

- Si tu sais de quoi tu es capable, tu dois aussi connaître tes limites.

C'est ce qu'il m'a dit afin de me faire comprendre qu'à un moment donné, dans ce combat, je risquerais de perdre foi en moi et de fatalement baisser ma garde. Mais la grande question de cette aube nouvelle est : est-ce que je me fais confiance ?

Je n'ai pas beaucoup dormi, j'ai surtout songé au déclenchement.

Il avait prévu ces évènements depuis le début, voilà où en étaient arrivées mes conclusions. Depuis tout petit Mattys savait ce qui allait se passer. Le chainon manquant savait qu'il n'arriverait pas seul à la transformation de son âme, son choix il l'avait fait déjà depuis longtemps. Il connaissait la prophétie.

Il voulait être avec nous, il voulait que tout se termine bien, mais s'il avait eu le malheur de choisir sa position alors que son aura n'est pas encore définie au niveau céleste, cela aurait peut-être eu des conséquences désastreuses sur le méridien terrestre en lui-même.

Alexander prétend que le Sombre Maître avait réussi à l'enfermer dans son lui du passé. Mais en y réfléchissant cela était impossible à moins que celui-ci soit le diable en personne et qu'il ait de ce fait un droit divin sur nos âmes.

Habillé d'une tenue décontractée pour mes premiers entrainements c'est en regardant par la fenêtre que je me suis sentie forte. Devant moi, trône majestueusement un soleil au contour clair, aucun nuage ne vient le déranger. J'inspire un grand coup, le froid de l'hiver me mord les joues. Je suis prête, je peux braver tout ce qui va me tomber dessus, j'en suis capable.

...

- Tu ne dois pas t'imaginer ce que c'est, tu dois le sentir bouger en toi, allant du pied à la main ou de la main à l'oreille. Chaque fibre de ta peau doit sentir son courant. C'est un peu comme une goutte d'eau dont tu essaies d'influencer la trajectoire.

Je suis sur le sol du jardin, maman dit que la nature est un bon moyen de générer l'énergie, Anna affirme en disant que la nature elle-même est un réservoir important.

Et me voilà étendue sur le sol, j'essaie d'imaginer cette onde, l'infime possibilité que j'y arrive me motive, mais à part le son d'un oiseau, la perception de la brise sur mon épiderme je ne ressens rien.

- Gabe si tu t'énerves tu vas parasiter tout le travail que tu as accompli jusque-là !

Le travail accompli ? Non mais maman se moque de moi là.

- Le quoi ? Maman je ne suis nulle part, j'ai beau essayer de m'enfuir au fond de moi, je ne maîtrise rien, je n'influence rien en moi, je ne suis bonne à rien.

- Essayons autrement ! Inspire et expire, imagine un endroit où tu serais seule, entourée de choses que tu aimes ou que tu voudrais avoir près de toi.

Je ferme les yeux, je songe à une image omniprésente en moi, un champ de tournesols, ses fleurs me fascinent. Il est beau de les voir se tourner vers le soleil lorsque celui-ci est haut dans le ciel. Je me vois au milieu de ces fleurs. Les pieds légèrement écartés pour prendre appui dans le sol, les bras axés dans la ligne de ceux-ci, et mon visage sont dressé fièrement vers l'astre lumineux. Je ne pense à rien, je ressens juste, le soleil réchauffant mon visage, mes paupières closes pour en apprécier la chaleur. Soudain, la chaleur se propage dans mon corps ce n'est pas le soleil, non c'est mon énergie ! Je la sens, elle voyage, le flux est important pas autant que quand la colère me dominait mais il est présent.

Je me concentre, pour en avoir une image. Je matérialise cette source vibrante en goutte d'eau, prenant en exemple ce que maman m'a dit plus tôt. Alors que cette goutte fait ce que bon lui semble, je décide de la stopper. Je veux la mener au centre de mon ventre et d'une inflexion mentale je décide de l'orienter vers celui-ci. La chaleur se dirige au creux de mon nombril, je sens sa moiteur, elle grésille et me chatouille. Je la fais remonter plus haut, à l'endroit où jaillit sa propre source, vers mon cœur, elle se nourrit de l'énergie présente dans celui-ci et prend possession de tout mon être. Au loin j'entends maman.

- C'est magnifique Gabe, maintenant que tu as fait ça essaie de la projeter sans faire de mal mais pour aider, améliorer ou embellir.

Elle ne dit plus rien, je perçois son souffle, où veut-elle que je la projette ? Et comme si elle lisait dans mon esprit elle répond.

- Doucement! Reste concentrée et ouvre les yeux. Regarde cet arbre il a triste mine. Le froid l'accable, aide-le ! Peu importe comment, rends-lui de la vigueur !

Alors doucement j'ouvre les paupières, doucement j'incline ma tête dans la direction qu'elle m'indique du doigt. En effet cet arbre à la mine triste, mais je ne veux pas agir trop vite, j'aime cette sensation de chaleur en mon sein. J'aime le bien-être qu'elle me procure, je suis entre le sommeil et l'apaisement. Est-ce cela l'état de de transe?  C'est l'information que la partie vive de ma cervelle veut bien me donner, je pense que ce sera la dernière, je la sens partir elle aussi dans une sérénité profonde.

Je reviens sur l'arbre, il faut partager ce que j'ai en moi, il en a besoin. Je referme les yeux et je visualise le bananier. La goutte d'eau que je visualisais un peu plus tôt se transforme en un globe aussi chaud et lumineux qu'un soleil d'été. Je matérialise mes pensées dans la brume de mes paupières closes. La sphère, couleur vert et or, se place sur sa cime et inonde l'arbre de sa lumière vive d'une manière tendre et affectueuse. Elle n'oublie rien. Elle rebondit sur chaque feuille créant des plus petites boules de lumière, c'est alors que doucement, débordant de l'épais feuillage, des halos scintillant s'enroulent autour du tronc. Tendrement la multitude d'étoiles lumineuses l'enlacent, elles le couvent, elles roulent sur lui dans une spirale continue jusqu'au sol où les racines ont le plus besoin de cette chaleur salvatrice. L'opération terminée j'ouvre les yeux et contemple mon œuvre.

L'arbre est toujours là, le sol aussi froid qu'il ne l'était, mais les feuilles sont redressées, plus brillantes et plus vertes qu'elles ne l'étaient, l'arbre respire de nouveau.

- Hé bien beau travaille ma chérie, dit mon père.

- Merci papa.

- Oui, il ne lui reste plus qu'à travailler sa fonction visuelle. Tu ne peux pas affronter tes ennemis les yeux fermés ! Dit maman.

Cette remarque me blesse. Evidemment je sais qu'elle a raison mais si nous en sommes là, n'est-ce pas un petit peu de sa faute ? Depuis la confrontation que j'ai eue avec Mattys dans la cuisine son attitude envers moi reste froide. Je retiens ma hargne et puis l'état d'euphorie dans lequel je suis, ne m'en donne pas la force. Mais malgré tout je ne peux m'empêcher de lui répondre.

- Pour une première fois, je suis fière de moi, je pense que la confiance que j'ai en moi m'aidera à garder les yeux ouverts ne t'en fais pas.

Sans un autre mot je me lève, me dirige vers le banc où je bois un verre d'eau. Je repense à ce que je viens de faire et à ce que j'ai ressenti quand je vois arriver mon phénomène.

- Gabe ?

- Oui Stan ?

- Prête pour apprendre à parer les coups ?

- Oui, les yeux fermés.

Les âmes éternellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant