Le chainon manquant -3-

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La perception. Cette chose vague et presque irréelle. Un instant on en est sûr et d'un coup nous ne l'avons plus. Est-ce une perception que je ressens ? C'est étrange de savoir que je me suis fixé un but qui est voué à l'échec. Pourtant je garde espoir.

Maman n'est plus pareille avec moi. Comment le pourrait-elle, je suis la clé de la libération de son fils. Elle, si tendre, si affectueuse avec moi par le passé est devenue froide et intransigeante. Ce n'est pas de la haine, non. Ce serait plutôt une fatalité. Elle n'a pas le choix de me voir comme une réussite, comme une exigence. En réalité, pour elle, je n'ai pas le droit d'échouer.

Un jour, j'ai lu quelque part que l'exigence est le moteur des défaitistes. Ils ne se donnent pas la possibilité de foirer, car au fond ils savent que si cela venait à arriver ils ne se relèveraient pas. Est-ce de cela dont Vivianne a peur. Je ne suis pas sa fille, avec moi, elle peut échouer.

J'arrête de rêvasser et de penser à ce que je ne sais pas encore et je reprends la lecture d'une partie des vieux textes qu'Alexander m'a donnés pour que je me situe par rapport à la prophétie.

Je ne comprends rien, j'attends ces mots depuis un bout de temps. En fait depuis que je sais ce que je suis. Mais je n'ai malheureusement pas eu de temps moi. Pas le temps de comprendre le pourquoi de ma mission. Pas le temps de comprendre pourquoi je me suis lancée dans le sauvetage de Mattys.

Je ferais mieux de tout envoyer valser. Je n'en peux plus, je suis au bout du rouleau. Trois jours que je m'entraine. Avec une mère despotique, un père qui a trop confiance en moi. Trois jours que je vois ces tourtereaux se toucher les amygdales et se préoccuper plus de leur union que du soutien dont j'aurais tant besoin.

Je sais. Je suis égoïste. Je voudrais pouvoir me dérober de cette mission. Après tout, je suis la seule responsable. Dans un moment de bravoure je me suis portée volontaire pour faire revenir Mattys. Mais il est bien trop malin, il a trop d'avance sur moi. Comme tout le monde dans cette foutue région.

J'ai chaud, les gouttes de sueur perlent sur mon front et ma nuque, je les sens descendre le long de ma colonne vertébrale sous le débardeur. Je ne m'en préoccupe pas. Il est devenu une obsession, mon obsession. Moi qui pensais ne pas l'aimer. Moi qui pensais avoir les souvenirs amoureux de Zéphyrine. Je me rends compte que je me suis fourvoyé. J'ai mes propres souvenirs de lui, certes minimes mais bel et bien présents. Ma rencontre avec lui. Le jour où tout a commencé à devenir bizarre autour de moi. Ce magnétisme étrange lorsque mon regard a croisé le sien. J'aurais dû savoir ! Remarquer ! Le soir où j'allais à la rencontre de Stan est le plus perturbant en soi. Comment ai-je peu être aussi aveugle ou bornée. Ce soir-là j'ai su qu'on s'appartenait. Que même si les siècles avaient fait de nous ce que nous sommes, on était irrémédiablement liés. Et c'est ce que j'ai voulu croire. Liée par une simple prophétie où deux protagonistes s'aiment depuis la nuit des temps. Mais je me suis voilée la face. Je ne l'ai pas su tout de suite. Même les deux fois où l'on s'est embrassé, j'ai pris cela comme une attraction chimique, éphémère. Quelque chose de palpable mais d'irréel à la fois. Une attirance, mes hormones ai-je dit. Tu parles, je suis dingue de lui. Ce n'est pas mon ancien moi, ni l'histoire qui se trame autour de lui qui fait que j'en suis folle. Non, c'est lui. Sa dégaine, son côté rebelle. Sa voix veloutée qui me fait frissonner jusqu'à la racine. Son ton autoritaire qui n'a aucun effet. La douceur de ses mains, de ses baisers,...

Je dois l'admettre, je suis amoureuse de lui. Non pas de Teobaldo, mais bel et bien de Mattys. Je le veux lui.

En divaguant mes yeux se posent sur le texte, que je suis censée comprendre.

- L'éclipse... Attends un peu Gabe. Me dis-je à moi-même.

Prise dans un tourbillon d'informations je vois les mots se distinguer. "Eclipse" ou encore "en chœur chanteront"

- Mais oui bien sûr !

Si Vénus est Anna, Saturne est Stan. C'est ce que m'a précisé Alexander l'autre jour lorsque nous observions les amoureux têtus.

Mars serait peut-être Mattys et le soleil, moi. Les rayons du soleil décisifs ?

-allez Gabe, réfléchi.

L'engrenage est en route, je vois les rouages se mettre en place, chaque embout rebouche un trou. Un peu comme le jeu Tetris, où une forme viendrait finaliser la ligne.

-Décisifs, décisifs...

Quelle est la décision ? Qu'est que le soleil aurait pu faire pour entrainer une décision.

Et là, comme si le cube venait parfaitement compléter la ligne, je comprends. Le choix !

Voilà ce que veut dire cette première partie.

Quand Mattys est arrivé, tout s'est déclenché, souvenirs, aura, puissance et pouvoir. Je me suis donc réveillée d'un sommeil lourd de souvenirs. Anna et Stan ont mis du temps à réaliser qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Mais ils ont fini par passer à l'acte et ne forment plus qu'un, "l'éclipse" ! Reste le moment décisif. Celui où moi, Gabrielle Delagrange, j'ai pris la décision de m'avouer que j'aimais Mattys. Cela remonte à ce fameux soir, quand maman a pratiqué le rituel de l'oubli, inconsciemment en voulant le ramener vers la lumière, je savais déjà que je le voulais.

Je continue sur ma lancée, les choses sont si limpides à présent que je reste sur ma ligne de conduite.

"Do et la en chœur chanteront". Chanter ? Je ne sais pas s'ils leur reste de l'oxygène pour pouvoir sortir un seul son après s'être embrassés toute la journée, mais je crois comprendre que la phrase peut être prise de deux façons. Stan et Anna forment chacun la moitié d'un cœur. "Mi" ne peut être que Mattys et moi je suis le "fa".

- Alors, dis-je tout haut, si le "mi" reste suspendu" et que le "fa sonne le glas" qu'est que...

- Oui Gabe ! J'attends depuis longtemps que tu annonces ma fin.

Je me retourne, sous le choc, au son de cette voix. Le timbre est enjôleur avec une pointe d'amertume. Mais il est opposé à l'expression de son regard. Il est fougueux, ardent, noir comme affamé. Alors je comprends ce que racontaient les livres à l'eau de rose. Entre haine et amour il n'y a qu'un pas mais ici et maintenant rien n'est comparable à de l'amour. C'est trop brulant, trop vif, à fleur de peau. C'est du désir à l'état brut. Alors, sans je ne le maitrise, je me laisse engloutir par l'aura couleur jaune tachetée de noir.


Les âmes éternellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant