Les âmes éternelles

La prophétie -13-

J'arpentais la cuisine de long en large tout en regardant maman disposer un tas de pierres aux couleurs multiples. Par instinct je portais ma main au médaillon à la double facette que je portais désormais à mon cou le long d'une corde.

Les cailloux étaient disposés dans des emplacements stratégiques autour de Mattys, le baiser qu'il m'avait donné n'avait, selon Alexander, pas eu le temps de transférer toute sa bonté. Il nous avait rejoint après tout le bruit qu'avait causé mon énervement

- Tu vois les sentiments qu'il te porte ne te sont pas destinés. Lui, fait-il en le désignant, vit avec son passé. Il n'est pas amoureux de toi mais de ce que tu représentes. Il est bloqué dans les souvenirs de sa vie antérieure et le seul moyen pour lui de se sentir en sécurité est d'y retourner.

- Mais pourquoi m'accuse-t-il de tous ses malheurs alors ? Réalisez-vous que vous traitez Mattys de névrosé psychopathe ?

- Il ne traite personne de rien de tout. Il est un calice particulier pour le Sombre Maître, un pouvoir ayant un ascendant sur le tien. Voilà pourquoi, il veut Mattys dans ses rangs en premier, pour te faire fléchir. Le souci avec Mattys, vient de l'époque où tu es rentré dans nos vies ; le seul problème est de savoir ce qu'il a pu dire au Sombre Maître. Tout ce que l'on sait c'est que ce Mattys là, est manipulé par lui. Il le contraint à s'enfermer dans ses souvenirs d'autrefois.

Je bats de nouveau des semelles, je ronge mes ongles, je m'inquiète, pour l'homme couché au milieu de ces pierres, pour mes parents, pour mes amis. De savoir que le Sombre Maître a les capacités de me localiser reste une angoisse permanente. Je ne suis pas prête, je ne sais même pas gérer les flux énergétiques, ils ne se manifestent que lorsque je suis dépassée.

Un cri déchirant me parvient, le rituel de Vivianne a commencé, une langue vieille de deux cents ans sort de ses lèvres charnues et ridées par des sourires éternellement confiants.

Je me concentre, au début, je ne comprends pas ce qu'elle dit, ce n'est qu'un charabia de syllabes qui se suivent sans cohérence. De plus, les gémissements de Mattys sont déstabilisants. Mais plus je me concentre, plus je reconnais ces mots, au loin dans une mémoire moins ancienne que cette litanie, je me souviens. J'ai déjà entendu ce rituel. C'est un rituel d'oubli, un peu comme l'hypnose mais fonctionnant à l'envers. Si l'hypnose permet de se rappeler de certains souvenirs au fond d'une mémoire devenue trop âgée, le rituel de l'oubli permet d'effacer les évocations douloureuses du passé. Et puis ça me revient, le flash, le message du cygne.

- Alexander ?

Il est concentré sur les lèvres de maman, il me demande de patienter d'un geste de la main. Mais je continue.

- Le rituel de l'oubli, il a été pratiqué autrefois pas vrai ?

- Oui Gabrielle ce rituel est un ancien... Mais comment sais-tu cela ?

- Je ne sais pas, je chuchote maman est tellement concentrée que je ne veux pas l'interrompre. Il me semble que je l'ai entendu, avant, je veux dire dans cette vie mais il y a de ça des années.

Je ne veux pas lui expliquer ce qu'il m'est arrivé au parc, je ne sais pas pourquoi. Je me dis juste qu'il en sait déjà trop.

- Tu veux insinuer quoi Gabrielle ?

Anna que je n'avais pas entendu rentrer dans la pièce avait posé sa main au creux de mon dos, dans un geste d'affection fraternel m'intimant silencieusement de continuer.

- Je pense avoir compris pourquoi, j'ai un trou sur les cinq ou six premières années de ma vie.

Ils ne me répondent pas, eux aussi ont compris. Le comment, le pourquoi, personne ne saurait le dire, mais je sais que si je suis capable à l'heure d'aujourd'hui de me remémorer les mots tendres sortis de la bouche de Vivianne, alors Mattys en sera capable un jour ou l'autre.