"Violette,tu m'écoutes ? S'agaça mon père en me voyant plantée bêtement devant l'obstacle.
- Excuse moi papa, je...je me disais que Shamrock ne passera jamais ce mur...
- Et pourquoi tu veux qu'il ne le passe pas ? Il n'a jamais eu de problèmes.
- Je le sens. C'est tout.
- Écoute, c'est notre dernière chance de prouver à son potentiel acheteur sa valeur en concours, alors crois-y vraiment.
- Tu es sur que c'est...notre dernière chance de s'en sortir ? demandai-je en rejoignant mon père.
- On en parlera après... Concentre toi pour ton tour et c'est tout. Allez viens, on finit la reco."
La suite du parcours n'était guère difficile, un virage légèrement serré en fin de combinaison double mais rien d'insurmontable pour qui se serait correctement préparé.
Shamrock, mon cheval de concours depuis cinq ans, attendait patiemment devant le paddock de détente avec sa groom, qui était également ma cousine. Sa robe noire luisait sous la lumière du petit matin et son ensemble blanc contrastait parfaitement.
Si pour certains ce concours de saut international n'était que le moyen de gagner une coupe en plus, pour moi c'était bien plus que ça."J'ai longé Sham' pendant la reco, comme ça tu perdras moins de temps à le détendre sur le plat...le parcours ressemble à quelque chose de faisable ? Demanda ma cousine en me voyant arriver
- Merci, très bonne idée ! Le parcours est simple, mais il y a un mur et Sham' déteste ça tu sais bien..."
Et en effet, lorsque je mis le pied à l'étrier, je sentis mon cheval tendu sur les sauts de détente. Je fis signe à mon père de descendre les barres à un mètre vingt et Sham les refusa.
"Concentre toi Violette !" me hurlait-on
Mes mains tremblaient énormément, les rênes glissaient entre mes paumes moites et cela gênait Sham lorsque nous entrâmes en piste.
J'étais la troisième concurrente à passer, j'avais l'habitude des concours internationaux... La Baule, Jumping de Cannes, Equita'Lyon...je les connaissais tous par coeur mais aujourd'hui, les un mètre trente qu'il me fallait franchir avec Sham me paraissaient insurmontables.
Je savais bien évidemment qu'il fallait que je montre de quoi j'étais capable. Un acheteur potentiel de Shamrock nous regardait attentivement dans le public et il était notre dernière chance.Au son de la cloche, j'enclenchais un bon galop de référence et le premier vertical ne posa aucun problème, la combinaison qui suivait non plus. C'est seulement au bout du quatrième obstacle, un oxer impressionant, que Sham heurta la barre de ses antérieurs.
La triple qui se profilait devant nous ne m'inspirait rien de bon. Et c'est ainsi que nous fûmes pénalisés de huit points sur cette combinaison.
Le suivant était le mur, Sham était parfaitement rythmé, les oreilles en avant. Je m'attendais jusqu'au dernier moment à un potentiel refus et c'est ainsi que le taxi le plus effrayant de ma vie arriva. Sham franchit le mur blanc avec bien plus de facilité que n'importe quel autre obstacle malgré ma position désastreuse qui me déséquilibra à la réception. Heureusement, l'obstacle suivant était un oxer assez large, et mon cheval déjà très en longueur le franchit parfaitement. Les derniers obstacles ne posèrent aucune difficultés à Shamrock et je finis ce parcours avec treize points de pénalité, dont un point de temps dépassé. Toutes mes chances de classement s'étant envolées, je quittais la piste la mine déconfite en souhaitant bonne chance au cavalier suivant."Bon...c'était pas terrible ces barres. Mais ça s'est pas si mal passé...
- J'ai monté comme une merde oui, tu peux le dire franchement." soupirai-je en marchant le long de l'allée qui ramenait aux boxs.
Ma cousine, Andréa, s'occupa de Sham tandis que l'acheteur de mon cheval nous rejoignit :
"Joli tour, mais il me semble que quelque chose n'allait pas.
- C'est entièrement de ma faute, Sham était capable de faire sans faute.
- J'en suis convaincu. Je vous en propose soixante mille."
Mon père avait espéré en avoir pour soixante quinze mille mais accepta néanmoins et s'éloigna pour parler de la vente tandis que je revenais vers Andréa.
"Alors, la vente vous en êtes où ? Me demanda t-elle
- Mon père est avec l'acheteur...j'avoue que je suis un peu au bord du précipice... Ça me dépasse..." répondis-je en enlevant mon casque qui semblait soudain me compresser le crâne.
Andréa ôta la selle de Shamrock et son tapis aux couleurs de mes sponsors. Mon cheval posa ses naseaux dans la main que je lui tendais. Une larme s'écrasa sur le sol, puis une seconde.
Honteuse de pleurer au milieu de toute l'agitation du concours, des grooms et des cavaliers j'enfouis ma tête dans l'encolure de mon fidèle cheval pour tenter de calmer mes sanglots.Je finissais d'aider Andréa à poser la couverture sur Sham, les yeux toujours rouges, lorsque mon père arriva, la mine déconfite :
"Désolé ma chérie, mais voilà, ton dernier cheval est désormais vendu. On n'avait pas le choix, tu le sais.
- Je sais. Maintenant, on a de quoi s'en sortir ?
- Il manque une dizaine de milliers d'euros pour rembourser nos actionnaires. Mais ne t'en fais pas, on va s'en sortir. Comme on a toujours fait.
- Alors c'est bon, je peux dire adieu à ma carrière de cavalière.
- Écoute, demain soir Louis vient manger à la maison, je vais lui demander de te prendre dans ses écuries."
J'acquiesce, Louis est le meilleur ami de mon père. Il dirige une écurie de dressage mais son domaine comprend également une partie centre équestre multi disciplinaire où j'aurai des chances d'évoluer en compétition.
Shamrock fut embarqué dans le van piteux, le seul que nous n'avions pas encore vendu. Étant assurés de ne pas faire de podium ni même de classement, nous partîmes du concours tôt dans l'après-midi pour préparer au mieux le départ de Sham qui aurait lieu la semaine suivante. Je savais qu'il serait bien traité, et qu'il était encore en capacité d'évoluer sur des deux étoiles avec d'autres cavaliers.
Mais avoir vu partir mes quatre chevaux de concours en mois d'un an m'avait complètement anéanti et les propriétaires m'ayant confié deux autres chevaux ont rapidement souhaité annuler le contrat établi avec moi, voyant que je n'avais plus les moyens d'assurer financièrement tous les concours.La route retour en direction de nos écuries me sembla être une éternité, Andréa s'était endormie. La radio ne passait qu'une fois sur deux et mon père détestait parler au volant. Six heures de route très languissantes, avec la caméra de van fixée face à moi où j'observais les faits et gestes de mon cheval noir, calmement installé à l'arrière du convoi.
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Demoiselles
Aventura« Élégance, courage et détermination » Qui a dit que l'équitation n'était pas un sport ? Violette Desnat Lahey a pourtant tout d'une sportive de haut niveau. Mais voilà que sa carrière s'arrête du jour au lendemain. Les rencontres vont suivre, les...