Dans le même lit

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- Prends mon lit, je vais me mettre sur un matelas par terre.

- Non, non, ne te dérange pas pour moi, le sol, ce sera parfait, m'exclamai-je aussitôt.

Ma réponse a dû le faire fuir. J'ai eu à peine le temps de terminer ma phrase que Léandre s'était déjà éclipsé hors de sa chambre. Je ne vais pas prendre le risque de partir à sa recherche, car je bien serais incapable de retrouver ne serait-ce que la porte d'entrée. Sa maison, bien que moins vaste que celle de Jonathan, a une taille suffisante pour me désorienter totalement. Les couloirs semblent interminables !

Les étourdissements ressentis plus tôt dans la soirée semblent s'être lassés de moi. Je dois réellement être ennuyante ce soir pour que tout le monde décide de me tourner le dos aussi facilement.

Seule dans cette vaste pièce, je profite de l'absence du maître des lieux pour apprivoiser ce qui m'entoure. Les murs, d'un blanc éclatant, contrastent magnifiquement avec les posters qui les décorent, représentant divers groupes de musique. Certains, comme U2, me semblent familiers, n'est-ce pas, Bono ? D'autres, en revanche, je serais bien incapable de déclarer leur nom.

Je poursuis mon investigation, scrutant avec attention le contenu de ses étagères. Croyez-moi, ces objets sont révélateurs de la personnalité d'un jeune homme de 17 ans. Je m'arrête un instant sur un vieux livre de poésie, me demandant si Léandre est un amateur de vers ou s'il a simplement hérité de cette vieille édition d'un membre de sa famille.

Parmi les milliers d'objets qui encombrent les étagères, je perçois des trophées étincelants. Curieuse, j'en attrape un au hasard pour y lire son inscription : Champion junior du Connecticut - 2011. Au-dessus, un petit bonhomme en pleine course est gravé. Je me demande combien de compétitions il a dû gagner pour amasser un tel butin. Décidément, Léandre semble réussir tout ce qu'il entreprend. À la fois sportif et musicien, il ne manquerait plus qu'il peigne des tableaux et je serais en parfaite légitimité de me poser une dernière question le concernant : ce jeune homme est-il réellement humain ?

À présent, je ne saurais dire si c'est son comportement lointain à mon égard ou le fait que je me retrouve soudainement propulsée dans son intimité qui me rend le plus mal à l'aise. Une intrusion dans son monde que je ne suis pas certaine de mériter.

Pour tenter de répondre aux nombreuses interrogations qui circulent dans mon esprit, je décide de stopper mon exploration et m'assieds sur le grand lit de mon ancien ennemi.

- Il est hors de question que tu dormes par terre !

Je sursaute, mes pensées interrompues. Léandre est de retour. Il a troqué son jean brut contre un jogging noir et sa chemise blanche contre un sweat-shirt d'une célèbre marque de sport. Je suis rassurée, il ne m'a pas abandonnée et c'est déjà ça de gagné. Son apparition dans ce look décontracté me rappelle qu'il est, avant tout, un adolescent comme les autres. Mais la phrase que je m'apprête à lancer ne risque pas d'ôter ma gêne cuisante.

Mais quelle idiote, tais-toi Amy, tais-toi !

- Dans ce cas-là, dormons tous les deux dans ton lit, promis, pas de vomi !

Amy Stretford, es-tu réellement en train de proposer à Léandre Harrison de dormir dans le même couchage que toi ? Je t'avais prévenue qu'il fallait te taire...

Tu dérailles complètement, ma vieille !

Oui, je déraille complètement. Promis, l'alcool et moi, c'est fini !

En attendant, je me rends compte que Léandre n'a toujours pas émis le moindre son.

Son regard est à la fois hésitant et perplexe. Je redoute le vent que je m'apprête à recevoir. Je plisse les yeux et recouvrant une légère lucidité, je m'empresse d'ajouter :

- Ce n'est peut-être pas une bonne idée, je...

- Faisons cela. Tu te mets dans le fond, par contre, je n'aime pas dormir contre le mur.

J'étais persuadée qu'il refuserait cette proposition déplacée... Mince alors, Léandre vient d'accepter ! Est-il nécessaire de préciser que je n'ai jamais dormi dans le même lit qu'une personne de sexe opposé ? Je dois avoir l'air désarçonnée, car il me regarde d'un œil sceptique.

- Très bien... le fond me va... très bien, bafouillé-je, la voix tremblante et trahissant mon anxiété.

Je suis parfaitement consciente de passer pour une imbécile et j'espère de tout cœur ne plus m'en souvenir lors de mon réveil. Selon Google et mes recherches récentes sur l'alcool, ce phénomène est bel et bien possible. Je croise les doigts et par un réflexe nerveux, je me mets à rire.

- Qu'est-ce qui te fait rire ?

- Tu dois me prendre pour une idiote.

- Pour une raison qui m'échappe, non. Tiens, je t'ai pris un jogging et un tee-shirt. La salle de bain est sur la gauche. Je t'ai également posé sur le rebord du lavabo une brosse à dents toute neuve, n'hésite surtout pas, avec tout ce que tu as lâché tout à...

- Léandre ! le coupé-je, au summum de la gêne.

- Ça va, je rigole. Enfin, non, en fait...

Mes joues s'enflamment et avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit, je cours à grandes enjambées me réfugier dans la pièce qu'il m'a indiquée. Le jogging qu'il m'a donné est trois fois trop grand pour moi. Je serre le nœud à fond, ce qui ne l'empêche pas de glisser de nouveau. C'est usant. Et le tee-shirt « RAMONES », n'en parlons pas, il pourrait presque me servir de robe. J'abandonne le bas, me contente du haut, puis me brosse les dents comme il me l'a gentiment conseillé.

Avant de sortir, je jette un dernier coup d'œil dans le miroir. Que va penser Léandre en me voyant arriver à ses côtés dans cette tenue ? Que je suis une fille facile ? Une traînée ?

« Oh, et puis, après nous la fin du monde, ils penseront ce qu'ils auront envie de penser », comme aime à le répéter mamie, avec sa sagesse inébranlable.

Débarbouillée, analysée et assumée, je me sens enfin prête à retourner affronter l'effronté avec qui je vais partager cette nuit.

- Sympa ton pyjama et tes jambes, d'avantage ! lance Léandre, accompagné d'un clin d'œil malicieux, lorsque je fais mon entrée.

Je lève les yeux au ciel mais un sourire malgré moi se dessine sur mes lèvres. Son ton léger et moqueur m'agace et m'amuse à la fois.

- Je plaisante, viens te coucher, ajoute-t-il, en tapotant de sa main gauche la place qui m'est attribuée. Attends, est-ce que tu peux éteindre la grande lumière avant ? L'interrupteur est à ta droite.

J'exécute sans broncher. La pièce, désormais plongée dans une lumière tamisée, crée une atmosphère intimiste, presque feutrée. Je le contourne avec précaution puis me glisse sous l'épaisse couverture. L'odeur de son parfum m'enveloppe. Allongée à côté de lui, je m'efforce de rester détendue, mais chaque mouvement semble accentuer la proximité entre nous.

Ce soir, je dors avec Léandre Harrison et je ne saurais dire si cette pensée m'enchante ou m'effraie...

The song of AmyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant