Nos basketteurs New-Yorkais ont largement remporté la partie. Les applaudissements fusent autour de moi. Les sourires des spectateurs sont remplis de fierté et de satisfaction.
- Nous sommes vraiment très bons cette saison ! s'exclame papa, fou de joie et les bras levés comme s'il venait de marquer le point décisif.
« Nous ». J'ai toujours trouvé cela fascinant, cette facilité d'appartenance que peut avoir une personne à l'égard d'un collectif sportif, à se l'approprier sans hésitation. Cette année encore, à travers « nos » Nets, nous partageons un objectif commun nous autres habitants de la région : remporter le championnat.
À dire vrai, cette ambition collective va bien au-delà du simple résultat sportif. Elle incarne une visée qui permet de rassembler, d'espérer et d'émouvoir. Chaque match devient une véritable célébration de notre identité, de nos racines. Nous unissons nos forces pour soutenir ceux qui portent nos couleurs.
- Amy, si tu ne nous suis pas, nous risquons de rapidement te perdre.
Maman et Jane sont déjà debout, trépignant d'impatience. Je scrute mon père, mais je ne saurais dire exactement ce qu'il ressent. L'apparition de ses deux fossettes laisse à penser qu'il est heureux de la victoire, mais pour deviner ses réflexions intérieures, c'est une autre histoire. C'est d'ailleurs un phénomène étrange : malgré notre proximité, j'ai toujours eu du mal à déchiffrer ses pensées. Je dois tenir cela de lui, ce côté mystérieux qui pourrait être légitimement considéré comme de l'introversion. À mon grand désarroi, si l'on reprend la définition exacte, puisque non mes émois ne sont pas exclusivement tournés vers moi.
- Amy ! s'impatiente Jane. Il nous attend.
- Amy, tu ne voudrais pas faire attendre ce pauvre Léandre trop longtemps, tout de même ? ajoute maman.
Le ton employé n'est pas loin de celui du reproche. Cela dit, la compréhension psychologique de mon père devra être reportée à plus tard.
- Tu devrais lui envoyer un petit message pour t'excuser de ton retard, propose maman, les yeux scrutant mon visage avec inquiétude.
- Maman, pitié, il n'a pas que moi dans sa vie ! En plus, je n'ai plus de batterie, dis-je en balançant nerveusement mon téléphone d'une main à l'autre.
- Bon, très bien, allons-y alors. Et arrête de lancer ton téléphone comme ça, tu vas finir par le casser !
Je souffle, me lève puis essaie de suivre le pas, action difficile si l'on prend en compte l'allure à laquelle déambulent mes trois compères.
- Ah, Monsieur Stretford, je suis heureux de vous revoir ! J'espère que le match vous a plu, nous interrompt un homme d'une cinquantaine d'années, élégant dans son costume gris et bien taillé. Son charisme est saisissant, presque interloquant.
- Monsieur Miles, oui, c'était un très beau spectacle que vous nous avez offert ce soir, répond mon père avec un sourire qui dévoile sa satisfaction.
- Je suis ravi de l'entendre. Vous vous joignez à nous pour le reste de la soirée ? demande-t-il, son regard glissant de visage en visage avec une aisance maîtrisée.
- Oui, nous nous rendions justement en salle de réception, précise papa.
- Très bien, très bien ! À tout de suite alors, conclut l'élégant homme avant de s'éclipser aussi rapidement qu'il est apparu.
- Qui est cet homme ? questionne maman, l'air intrigué.
- Le nouveau vice-président du club, répond mon père d'un ton qui laisse entendre que cela devrait être évident.
De par son travail, papa a l'habitude de côtoyer les hommes influents de ce pays. Des figures qui gravitent autour du pouvoir et des décisions importantes. Je crois même qu'il en fait partie. À la maison, nous parlons rarement de ses affaires. Et lorsqu'il reçoit des appels l'obligeant à se rendre à tel ou tel endroit, nous ne posons aucune question. Ses déplacements professionnels quotidiens prennent une place prépondérante dans notre vie familiale. Il a travaillé ardemment pour atteindre cette position et sa situation nous permet de vivre très confortablement.
Après quelques mètres difficilement parcourus à travers la foule, nous finissons par retrouver notre souffle et une certaine aisance dans notre démarche. Nous voilà enfin arrivés devant une énorme porte immaculée, ornée de trois lettres bien connues : VIP.
Un homme imposant, vêtu d'un costume noir impeccable et arborant une oreillette particulièrement visible, surveille l'entrée d'un regard perçant. Il doit bien mesurer deux mètres de hauteur, tout autant de largeur et ses sourcils froncés lui confèrent une allure à la fois intimidante et inébranlable. Je suis convaincue que si nous n'avions pas été invités, je n'aurais jamais osé tenter de négocier avec un homme comme lui. Son regard est si glaçant qu'au simple croisement de nos yeux, un frisson me parcourt le dos.
- Monsieur Stretford, se présente papa face au colosse.
Même à cet instant, mon père reste enveloppé dans sa légendaire nonchalance, ce qui me pousse à me demander ce qui pourrait réellement le surprendre ou s'il est même capable d'être impressionné !
- Allez-y, marmonne le géant sans demander davantage d'explications.
Dès lors, nous pénétrons dans une salle où la lumière tamisée crée une ambiance intimiste. Une vingtaine de convives y est rassemblée, tous dégageant une élégance désarçonnante mais qui semble les unir. Un serveur aux allures de pingouin s'approche rapidement, tendant à chacun une coupe de champagne scintillante. J'avance la main vers le verre, mais maman me regarde d'un air perplexe, presque alarmé.
- Amy, tu es trop jeune ! Va plutôt te chercher un jus au comptoir veux-tu, lance-t-elle avant même que j'aie eu le temps de m'emparer du verre.
Je proteste quelques instants, mais je finis par céder, n'ayant aucune envie de provoquer une scène devant tout le monde. Quant à ma grande sœur, elle ne se laisse pas abattre, elle saisit fièrement sa coupe et y trempe avec de nombreuses manières ses lèvres pulpeuses, savourant chaque gorgée comme si c'était un rite de passage. Son attitude m'agace et m'intrigue à la fois, car je ne peux m'empêcher de me demander où se trouve cette fameuse frontière entre l'enfance et l'âge adulte.
- Très bien, dis-je en me dirigeant vers le comptoir où elle m'a gentiment conseillé d'aller.
Jusqu'à quel âge mes parents continueront-ils à me considérer comme un enfant ? Jane n'a qu'un an de plus que moi et pourtant tout semble lui être permis. C'est tellement frustrant. À presque 17 ans, une coupe de bulles n'a jamais tué qui que ce soit, du moins c'est ce que je pense.
Soudain, une voix familière surgit derrière moi :
- Ah, tu es là !
Une main se pose délicatement sur mon épaule. Le contact de sa peau, même à travers le tissu de ma robe, est suffisamment évocateur pour m'envoyer des frissons.
- J'ai bien cru que tu ne viendrais pas. Décidément, tu aimes te faire désirer, Amy Stretford ! ajoute-t-il, l'intonation taquine, avant même que je ne me retourne.
C'est Léandre.
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The song of Amy
Teen FictionLe lycée de Milford est en pleine effervescence. L'un de ses élèves vedette vient de décrocher une place pour la finale de « The Artist », l'émission musicale la plus suivie des Etats-Unis. À seulement 17 ans, Léandre Harrison, jeune prodige à la vo...