Wanted

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Léandre vient de me déposer au bout de la rue, comme convenu. Le véhicule a ralenti puis je me suis précipitée hors de la voiture, le cœur encore battant, agité par les souvenirs de la nuit précédente. Hormis un bref « Merci, salut ! », rien d'autre n'est sorti. Nous n'avons pas évoqué les baisers échangés la veille et je dois dire que cela me convenait parfaitement. Dans le cas contraire, je n'aurais su quoi dire ou faire.

Bien que le trajet ait été rapide, mes yeux se sont attardés sur le profil impeccable de celui que je considérais comme mon ennemi il y a encore quelques jours à peine. Je me suis particulièrement attardée sur sa bouche, une bouche rose et pleine, délicatement dessinée. J'ai détaillé chaque courbe, le silence suffisait. J'ai omis de me demander s'il pouvait me remarquer en le dévisageant ainsi, mais, à sa façon détachée, il n'a rien laissé paraître et j'en suis ressortie soulagée.

Je peine encore à réaliser ce que nous venons de vivre ensemble. Chaque seconde semble suspendue si bien que j'ai du mal à croire que ces instants étaient bien réels. C'est incroyable de penser que des millions de jeunes américaines auraient donné père et mère pour vivre ce que j'ai vécu en compagnie du petit « chouchou de l'Amérique ». Pourtant, dans le feu de l'action, je n'y ai pas songé une seule seconde. Il n'y avait que nous. Léandre et Amy. Deux adolescents américains, enlacés et s'embrassant, comme tant d'autres au même instant.

Postée devant la porte de ma maison, j'ai le ventre noué et mon cerveau est en hibernation. Je respire profondément et tente de rassembler mes pensées, avant d'insérer la clé dans la serrure, le métal froid entre les mains.

- Amy ? Amy, c'est toi ?

La voix de ma mère est pleine d'inquiétude. Je réalise que je ne suis absolument pas prête à affronter le regard de mes parents. Mon état momentané me permettra-t-il de mentir aussi facilement que la semaine passée ? J'en doute.

- Ah, ma chérie, c'est toi. Tu nous as fait si peur ! J'ai essayé de t'appeler à plusieurs reprises sans le moindre résultat. Si bien que ton père était à deux doigts de venir te chercher chez ton ami.

Il semblerait que la chance me sourit aujourd'hui. Si papa s'était rendu chez Jamie, j'aurais été fichue et ma nouvelle vie aussi.

- Pourquoi suis-je tombée sur ta messagerie ? Tu n'avais pas pris ton chargeur de téléphone ?

Je tapote la poche de mon manteau afin de vérifier les dires de ma mère. Je ne trouve rien d'autre que des mouchoirs froissés et des pièces de monnaie. Mon téléphone n'est pas là et ma nervosité est palpable. Ne rien laisser transparaître est vital. Si maman s'aperçoit de mon trouble, elle ne manquera pas de proposer de m'accompagner chez Jamie pour le récupérer, ce qui serait un véritable cauchemar.

Est-il oublié chez Léandre ? La pensée d'y retourner me noue l'estomac. Je ferme un instant les yeux et tente de retrouver des bribes de mémoire. Les images de la nuit passée s'entremêlent, insaisissables. Je me souviens de l'avoir glissé dans ma poche à un moment, mais les détails sont flous. Et si je l'avais plutôt laissé chez Jonathan ? Cette possibilité me plonge dans un véritable tourbillon.

Je prends une profonde inspiration. Ce n'est pas la fin du monde, il faut seulement que je trouve une solution.

- Oui, je suis vraiment désolée de vous avoir inquiétés, dis-je, les yeux rivés au sol.

- Nous sommes si heureux que tu t'ouvres aux autres, nous ne t'en tiendrons pas rigueur, n'est-ce pas Brad ?

- Oui, grommelle mon père, installé au fond de son canapé, la télé braillant des nouvelles du monde et sans même un regard dans notre direction.

- Ça lui passera, me chuchote maman à l'oreille avec une douceur rassurante. Et jeune fille, tu n'as pas dû beaucoup dormir avec ton ami. Tu as une tête fatiguée. Tu as bien pris tes médicaments ?

- Maman, ça fait deux ans. Je suis habituée à présent, c'est devenu aussi automatique que de se laver les dents, lui réponds-je, un sourire un peu forcé sur les lèvres pour masquer la tension.

- Bien, ma chérie. Tu as déjeuné ?

- Oui.

Mon estomac gronde légèrement mais je ne peux pas me permettre de me laisser emporter par la réalité. Mentir est essentiel, car dans une telle situation, il est plus sage de se laisser affamer plutôt que de se faire griller.

- Bien. Ta sœur ne devrait pas tarder, elle a passé la nuit chez son amie Maury. File te reposer, jeune fille, nous vous réservons une surprise pour ce soir, me lance maman avec un sourire chaleureux et en me déposant un baiser léger sur le front.

Mouais, Jane a passé la nuit chez son amie Maury... Je parierais qu'elle est aussi bonne menteuse que moi, ça doit être de famille. Enfin un point commun dont je me réjouis amèrement.

Je suis le conseil de maman et détale les escaliers. J'enlève mes affaires sales, les balance au passage, puis me rue vers la salle de bain. Une bonne douche chaude ne sera pas de trop et qui sait, peut-être que l'eau me permettra de me remémorer l'endroit où se trouve mon téléphone.

Cet échappatoire mouillé est la meilleure idée de la journée. Mon humeur brumeuse semble s'évaporer en même temps que l'eau qui glisse le long de mon corps. Je ne saurais dire combien de temps je suis restée sous cette cascade perlée, pensées bloquées et sentiments envolés.

Assez longtemps pour que Jane ait eu le temps de rentrer car je l'entends déblatérer sur l'ensemble de sa soirée, sa voix résonnant dans toute la maison. Je n'arriverai jamais à percer le secret de maman quant à sa capacité et sa patience d'écoute à l'égard de ma sœur. Qui cela intéresse-t-il, l'énumération des goûts de toutes les pizzas présentes lors d'une soirée de lycéens ?

Cheveux séchés et pyjama confortablement enfilé, il serait sûrement plus judicieux que j'arrête de réfléchir et que je m'allonge pour dormir. Maman nous réserve une surprise pour ce soir ? Je suis pressée de savoir de quoi il en retourne. Mon esprit vagabonde entre différentes possibilités. Peut-être une sortie, un restaurant en famille. Je programme mon réveil pour 16h30, ce qui me laisse trois bonnes heures de paresse. Après quoi, je me préparerai : lissage, maquillage et habillage pour tenter de me sentir belle et confiante.

Je ferme les yeux et tente une dernière fois de me souvenir du moment où j'avais mon cellulaire avec moi. Mais il n'y a rien à faire, mes efforts sont vains. Je ne me rappelle pas. Un frisson me parcourt à l'idée qu'il soit réellement perdu. Si c'est le cas, mes parents risquent de m'enguirlander. Je ne peux pas vraiment les blâmer, cela ne fait pas si longtemps qu'ils me l'ont offert et je leur avais promis de faire attention.

Je garde tout de même l'espoir qu'il soit resté chez Léandre. L'idée de devoir le récupérer me met un peu mal à l'aise. La gêne occasionnée lors d'une éventuelle réception sera certainement embarrassante mais cela semble être un mal nécessaire. En attendant, je dois garder mon calme et ne rien laisser paraître auprès de mes parents jusqu'à lundi. Heureusement, je ne suis pas connue pour être une férue du téléphone.

Je prends une profonde inspiration, chasse mes pensées négatives et me concentre, pour de bon, sur le moment présent. Tout devrait finir par se décanter correctement...

The song of AmyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant