4. Un secret bien gardé

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La fin d'après midi est systématiquement la même chez les Serval : une fois rentrés de l'école, les parents préparent le goûter, que Seishin et sa grande sœur Lénéa ont la délicate mission d'engloutir. Viennent ensuite l'heure des devoirs, du bain, et du temps libre, qui précède l'heure du dîner. Le pauvre Seishin ne sait pas quoi faire, il reste troublé par ce chat. Comment un chat pourrait-il connaître son grand-père ?
Cette soirée est à l'image des soirées habituelles de la famille, calme, reposante, chaleureuse. Une fois n'est pas coutume, Seishin est fatigué par sa journée. Après de telles émotions, les questions qui hantaient son esprit ont pompé toute son énergie, et il ne veut plus qu'une chose : dormir pour se vider la tête.
Il est un peu plus de 23 heures quand il se décide à enfin regarder l'heure. Le sommeil se fait attendre. Seishin est allongé sur son lit, délicatement enroulé dans l'édredon, la tête posée sur un confortable oreiller. L'apparente tranquillité de la nuit contraste avec le bouleversement et le désordre qui encombrent son esprit. La Lune éclaire fièrement derrière l'épais rideau occultant de sa chambre, et seule un très doux halo de lumière blanche vient troubler l'obscurité de la pièce. Seishin tourne la tête doucement, pour regarder à nouveau son petit réveil, quand un détail attire son attention. Sa bague, toujours accrochée à son cou, légèrement éclairée par la lumière lunaire, semble bleutée. Il se redresse doucement, s'assoit et colle la bague à son nez pour mieux voir. Il semble qu'effectivement, l'une des billes habituellement rouge soit devenue bleue. Pour en avoir le cœur net, il décide d'allumer la lumière, mais l'interrupteur est trop bruyant, et surtout la lumière risque d'être visible par ses parents qui dorment de l'autre côté du couloir, porte grande ouverte. Seishin décide alors de tendre le bras hors de sa couette pour pousser le rideau afin de profiter de l'exceptionnelle lueur lunaire. Plus de doute possible : l'une des boules est aussi rouge qu'avant, l'autre est bleue. Un beau bleu foncé, luisant, parfaitement uniforme ; la même teinte que le chat. Ce mystérieux chat, qui semblait étrangement heureux de rencontrer Seishin.
Plus Seishin regarde le bleu à la lumière de la lune, plus il pense à ce fichu chat, et plus le bleu devient brillant. Il brille et se met soudainement à irradier, la lumière envahit la chambre. Une gerbe de lumière dorée jaillit soudain de la bague pour s'écraser à quelques mètres, juste derrière le rideau, dans le coin obscur de la chambre. Il entend alors quelqu'un tousser bruyamment, d'une voix grave et caverneuse qui lui parait étrangement familière. Au milieu de la quinte de toux, Seishin parvient à distinguer un « Quoi, (tousse) c'est quoi ce bordel, où... (tousse) où est ce que je... Ah oups ! » Seishin laisse alors échapper un dépité « oh non, pas encore ». Le chat bleu vient d'apparaître, silencieusement, comme sortant du seul angle de la pièce encore plongé dans l'obscurité.

- Bien, je vois que tu m'as appelé !

L'animal se racle la gorge comme pour s'excuser d'avoir toussé et enchaîne en s'asseyant tranquillement :

- Que se passe-t-il, jeune Gardien?

- Je... Euh... Appelé ? Mais non, j'ai juste vu que ma bille avait changé de couleur, j'ai voulu vérifier avec un peu plus de lumière et pouf ! Vous voilà sorti de nulle part...

Le chat marque un temps d'arrêt et regarde Seishin fixement :

- Ah ben génial, dit-il en se cachant les yeux avec une patte. Donc en moins de 24 heures, un Gardien des chats qui s'ignore m'a réveillé et m'a ensuite invoqué sans le faire exprès. Je sens que ma semaine va être longue...

Seishin s'inquiète de la présence du chat dans la maison et du peu de discrétion dont il fait preuve à une heure si tardive. Il lui dit en chuchotant nerveusement:

- Vous avez une voix drôlement grave, vous risquez de réveiller les autres ! Je vous rappelle que dans ma famille, les chats ne sont pas particulièrement bienvenus... Vous risquez de sacrés prob...

La porte de la chambre s'ouvre soudainement, et c'est un papa à moitié endormi, les yeux crispés comme s'il regardait le soleil qui fait irruption dans la chambre et qui chuchote:

- Seishin, tu ne dors pas à cette heure ?

Seishin est pétrifié. Le chat est posé là, au milieu de la chambre, et son père se tient juste à la porte. Le chat dit alors calmement, sans même regarder la porte :

- Ne vous inquiètez pas, jeune Maître. Il n'y a que vous qui puissiez me voir et m'entendre, puisque...

Une pantoufle passe au ras du museau de l'animal et lui coupe littéralement la parole.

- Puisque rien du tout, Milo ! dit le papa de Seishin en regardant fixement le chat. Tu me prends pour un imbécile ? Tu as encore abusé de l'herbe à chat, c'est ça ?

Le chat, interrompu dans sa tirade, semble choqué. Il tourne lentement la tête vers la porte, et donne l'impression de trembler d'inquiétude. Au moment où il croise le regard du père de Seishin, il semble soulagé, bien que légèrement tendu :

- Ah, par mes vibrisses, Maître Gosuto... Je n'avais pas reconnu votre voix...

- Parle donc moins fort avec ta voix grave, enfin ! lui ordonne le père. Mais... mais qu'est-ce que tu fabriques ici ?

- Mais c'est lui qui...

Le chat s'interrompt en regardant Seishin, dont la mâchoire ne semble plus être accrochée à la tête, et qui a les yeux à moitié ouverts, assis sur son lit, le regard perdu dans le vide.

- Ce truc a un nom ? Et toi Papa, évidemment, tu le connais...

- Hé, je ne suis pas un truc, se défend le chat. D'ailleurs, dit-il en se tournant vers le père, comment se fait-il que vous puissiez me voir ? Vous vous êtes dépossédé du double solitaire, je l'ai vu ce matin sur votre fils !

- Il ne la porte pas au doigt, gros malin, répond le père en étouffant un bâillement. Je suis encore le Gardien pour l'instant !

À ces mots, Seishin reprend ses esprits :

- Eh oh attend mais... tu étais au courant de tout ça ? Mais j'ai eu la peur de ma vie ce matin, quand il est venu me parler comme si de rien n'était... Aaaah mais voilà pourquoi vous vouliez connaître mon nom !

- Bon eh bien je vois que vous avez déjà fait connaissance tous les deux, dit le papa de Seishin. Je savais que tu serais incapable de faire preuve de discrétion... Cette histoire de statuette qui bouge, c'est toi tout craché, dit-il en fixant le chat.

- Je n'y suis pour rien, se défend la statuette. Il faut bien que je m'étire de temps en temps quand même, j'aimerais vous y voir, assis plusieurs heures par jour sans bouger, c'est pas évident...Et quand votre fils s'est approché de moi au musée, la bague m'a réveillé. Il ne la porte pas au doigt et pourtant...

- Oui, c'est vrai que c'est curieux, admet Gosuto.

Le père de Seishin croise les bras, se met une main devant la bouche pour réfléchir en silence. Pendant ce temps, le chat monte sur le lit de Seishin et se frotte à lui comme pour le rassurer.

- Tu es froid, lui répond l'enfant en le tutoyant. Je te rappelle que tu es en... Tu es en quoi d'ailleurs, c'est quoi cette couleur bleue ?

- Vous en saurez plus le moment venu, jeune Gardien. Votre père vous expliquera tout ça très bientôt. J'avoue ne pas comprendre pourquoi il ne vous en a pas parlé avant...

- As-tu porté la bague au doigt ? lance soudainement le père à son fils.

- Non, répond le garçon. J'avais peur de la perdre, donc je l'ai laissée à mon cou... Et puis, c'est quoi cette bague, Papa ? Et pourquoi tu discutes avec un chat, une statuette en plus, même pas un vrai chat ? Je ne vais pas pouvoir dormir avant de comprendre...

Le papa de Seishin s'approche de son fils, se met à genoux pour être à sa hauteur, pose une main sur la tête de son garçon et lui dit :

- Viens avec moi. Habille-toi.

Le Gardien des ChatsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant