25. Muraï-sensei

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Seishin n'en croit pas ses oreilles:

- Muraï... est un chat? Attend... Le chat Muraï? Le Chat Muraï!? Vous êtes sérieux tous les deux?

Milo et Gosuto rient tellement forts qu'ils peinent à tenir debout. Milo est sur le dos, Gosuto est à genoux et frappent le sol avec sa main, les larmes aux yeux:

- Aaaah bon sang, je ne m'y ferai jamais! On a quand même un sacré sens de l'humour dans la famille, franchement, nan?

Milo essaye de retrouver son sérieux, en vain. Entre deux crises de rire, il essaye d'expliquer la situation à Seishin:

- Ah j'en peux plus... Muraï est le chat de... Le chat de votre ... Le chat Muraï! Oh si vous aviez vu votre tête!

Seishin est consterné. Phoenix pose sa patte sur la chaussure de Seishin, en faisant "non" de la tête, comme pour dire "non, vous n'êtes pas seul dans cette galère, je compatis".

Seishin lève la tête et prend le temps de contempler le paysage qui l'entoure. La maison devant lui ne paye pas de mine, mais elle est large et accueillante. Derrière lui, un ponton bétonné mène directement à la mer, une mer calme et sereine, où s'étire un soleil puissant qui semble sortir des flots. Au loin, quelques barques partent, emmenant des pêcheurs souriants vers l'horizon. Tout dans le village prête à la quiétude, à la tranquilité, à l'apaisement même. Seishin remplit ses poumons de l'air frais de cette belle matinée marine, quand il entend soudain quelqu'un lui parler. Une voix, qui lui est totalement étrangère, dans une langue qui lui est aussi totalement étrangère:

- すみません、ムライ先生をお探しですか?
Excusez-moi, seriez vous à la recherche de Muraï-sensei?

Gosuto, qui a retrouvé son sérieux, regarde le chat qui vient de leur parler. Un beau chat gris tigré qui regarde alternativement Gosuto et Seishin dans l'attente d'une réponse. Gosuto, dans un japonais d'une fluidité impeccable, répond:

- はい、どうやってそれを知っていますか?
Oui, comment le savez-vous?

Seishin regarde son père comme s'il venait d'une autre planète. Il oscille entre admiration et scepticisme. Est-ce qu'il fait encore semblant de parler une autre langue, comme quand il chante en espagnol en répétant en boucle "un, dos, tres, señor, nachos y tortillas", ou est-ce qu'il vient vraiment de parler à ce chat de manière intelligible? Milo lui glisse discrètement:

- Beh alors quoi? Vous avez oublié que votre grand-mère était japonaise?

Seishin lève les yeux au ciel et se rappelle qu'effectivement, il y a de très fortes probabilités pour que son père parle japonais, à défaut de baragouiner de l'espagnol. Gosuto et le chat continue leur conversation:

- 私はそれを聞いた、あなたは彼について話していた。私に従ってください!
Je vous ai entendu, vous parliez de lui. Suivez-moi, s'il vous plait!

Le chat se met à marcher en direction des hautes herbes qui semble mener vers les hauteurs de l'île. Gosuto regarde ses compagnons et lance:

- Eh bien nous avons de la chance, ce chat semble connaitre Muraï, il nous propose de le suivre.

Les quatres compères emboîtent le pas au chat, et déambulent sur le chemin de terre qui les mène vers l'intérieur des terres. Tout autour d'eux, des dizaines de chats, de toutes les couleurs, se prélassent, jouent, discutent. Tous prennent cependant le temps de saluer le groupe à son passage, par des Ohayo gozaimasu et autres Konnichiwa, minna. Après plusieurs minutes de marche, le groupe passe devant un tori, une arche de pierre composée de deux poteaux de bétons surmontés de deux  plaques légèrement arquées, formant comme une porte. De chaque côté se trouve une lanterne blanche, sur lesquelles sont gravées des caractères japonais que Gosuto lit à haute voix:

- Alors il est écrit... Hein?... Non mais c'est une blague?

Gosuto se rapproche de la pierre, comme s'il voulait s'assurer d'avoir bien lu. Milo se penche sur le côté et le questionne:

- Il a vraiment écrit "hein non mais c'est une blague"? C'est lui tout craché ça...

- Hein? Ah non non, dit Gosuto. Il est écrit "Bienvenue chez Muraï-sensei. Entrée interdite aux chiens"...

Milo se met à pouffer de rire. Gosuto sourit bêtement et essaye en vain de contenir un fou rire. Il faudra finalement attendre une bonne minute avant que les deux complices ne se calment, sous le regard médusé du pauvre Seishin et d'un Phoenix dépité qui regarde le sol en se demandant ce qu'il fait là.

Après avoir remercié le chat de les avoir guidé, le petit groupe avance vers le tori. Quelques mètres plus loin, il voit un chat de dos, face à un mannequin de plus de deux mètres de haut, planté devant un champ de bambous. Le chat est assis à la droite du mannequin, et regarde l'objet. Après une brève impulsion, il saute vers l'épaule du mannequin. Au sommet de sa trajectoire, le chat se met à tourbillonner à toute vitesse après avoir dégainer ostensiblement ses griffes. Il arrête sa rotation juste avant de toucher le sol. En un éclair, le revoilà dans les airs, à hauteur du cou du mannequin. D'un coup de patte, il griffe le mannequin sans laisser de traces. Il retombe paisiblement au sol et s'assoit face au mannequin.

- Toujours aussi affûté à ce que je vois, se permet Gosuto visiblement admiratif.

- On essaye de ne pas rouiller, dit Muraï d'une voix chaleureuse et bienveillante en regardant malicieusement au dessus de son épaule pour saluer ses visiteurs.

Le chat se tourne et marche lentement vers le groupe. Seishin remarque que le chat a les poils du menton blancs, il porte des cicatrices qui ressemblent à des coups de lame, et il a une oreille très légèrement coupée. Mais il dégage une forme de puissance dans sa démarche; il n'y a aucun doute, ce chat là est fort. Seishin remarque également que le mannequin sur lequel vient de s'entraîner le chat est intact, sans la moindre égratignure. Il se penche discrètement vers Milo:

- Il a l'air très fort, mais il a complètement raté sa cib...

La tête du mannequin tombe soudainement. C'est ensuite le mannequin tout entier qui s'ouvre en diagonal avant de s'effondrer sur lui même. Moins d'une seconde plus tard, les bambous plantés derrière le mannequin se fissurent net, comme si un sabre particulièrement coupant les avaient sectionné net, dans la continuité de la coupe de la tête du mannequin. Devant l'étendue des dégâts, Seishin se limite à un rapide:

- Non, j'ai rien dit.

Le Gardien des ChatsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant