Le Gardien des Chats

5. Un secret révélé

Seishin est pris au dépourvu:

- Hein ? Mais il est tard ! Tu veux m'emmener où ?

- On ne va pas loin. Fais vite, je ne veux pas réveiller ta mère, dit-il en envoyant un regard en coin vers Milo, qui a du mal à cacher son inquiétude à cette seule pensée.

Seishin s'habille rapidement, oscillant entre curiosité et scepticisme. Au moment de sortir, le chat Milo semble inquiet :

- Vous êtes sûr de ce que vous faites, Maître Gosuto ?

- Tout ira bien, répond le père, vu que tu es avec nous.

Le trio sort de la maison, traverse le jardin et part à pied dans la nuit. La Lune est brillante, pas un nuage ne vient troubler les rayons d'argent qu'elle émet, éclairant le chemin qu'emprunte Seishin, qui suit son père comme son ombre. Il connaît bien ce chemin c'est celui qu'il fait le matin en allant à l'école. Au bout de quelques minutes, le père s'arrête, regarde son fils, le chat et dit à voix basse:

- On entre discrètement. Pas de bruit, sinon on sera venu pour rien.

Il pousse alors l'imposant portail qui se tient devant lui, dans un silence absolu. Seishin, qui ne savait pas vraiment où l'emmenait son père, est sur le point de se liquéfier : ils viennent de pénétrer dans le cimetière.

- Papa... dit-il d'une voix tremblante. Pourquoi on est là ?

- Ne crains rien, lui dit son père. Tu vas très vite comprendre... Donne-moi la bague s'il te plaît.

Seishin s'exécute dans la seconde. Il s'étonne cependant de voir son père tenir la bague en main plutôt que de la mettre au doigt. Sa surprise est d'autant plus grande qu'il entend son père dire au chat « tu es prêt Milo? » et ce dernier répondre « Ai-je vraiment le choix ? C'est vous le Maître ! »

La lumière de la Lune se fait soudainement moins présente. Seishin lève les yeux et constate qu'un épais nuage englouti peu à peu le grand disque blanc, et donne l'impression que la Lune s'enfonce dans le ciel. L'obscurité commence à entourer nos trois promeneurs, et Seishin regarde alors autour de lui, délaissant un instant le ciel pour laisser son regard se balader... et il se bloque en regardant droit devant lui. Une lueur étrange, bleue et orange, scintille à une dizaine de mètres. On dirait une flamme, sortie de nulle part, qui flotte dans les airs. Elle se rapproche peu à peu, et Seishin regarde fixement la petite lueur. Un frisson lui traverse le dos. Il distingue autour de la lueur une silhouette, une femme, dans une robe bleue, le bas de la robe en lambeaux. L'entité est floue, presque transparente. Il ne distingue que les contours au loin, il ne voit pas le visage de ce qui approche.
Au moment où il essaye de froncer les sourcils pour mieux voir, son père passe devant lui.

- Regarde bien, ceci est l'un des secrets les mieux garder de la planète et même d'ailleurs, dit Gosuto à Seishin en lui montrant la bague. Nous sommes issus d'une famille qui trouve ses racines à l'époque des Dieux Égyptiens, nos ancêtres ont combattu à leur côté, et en remerciement de notre loyauté ils ont confié à notre famille une mission honorifique particulière, et les moyens de l'accomplir. Pour l'instant, tu ne peux que regarder, mais regarde attentivement. Milo ! Forme Gardien !

À ces mots, la bague s'enfile d'elle-même au doigt de Gosuto et se met à briller. Milo devient de plus en plus grand et n'a désormais que la forme d'une énorme tête de chat bleue.
Gosuto claque soudainement des mains. L'énorme tête bleue engloutit Gosuto dans un vif et bref éclair de lumière blanche.
Seishin n'a pas le temps de comprendre ce qu'il vient de se passer, et le voilà au sol, sur les fesses. Une vague de chaleur intense se dégage maintenant du corps de son père, qui reprend une position normale, les pieds écartés largeur d'épaule et les genoux légèrement pliés comme s'il s'apprêtait à bondir.

Seishin se remet debout d'un bond, et se colle à son père, dont les vêtements sont étrangement chauds, comme quand sa mère lui repasse ses habits juste avant qu'il ne les mette. Gosuto lui pose délicatement la main sur la tête pour le rassurer. Devant eux, la petite lueur est toujours là, et il distingue un peu mieux la silhouette, il voit maintenant le contour des yeux totalement noirs de la femme qui flotte devant eux. Seishin est surpris par l'étrange voix de son père quand celui-ci lui demande :

- Seishin, il y a quelque chose devant nous. Tu le vois ?

Seishin ne reconnaît pas la voix de son père. Ou plutôt si, il la reconnaît, mais elle est comme mélangée avec la voix du chat Milo, comme si elle lui faisait écho à quelques millisecondes près. Il répond malgré tout à son père :

- Une petite flamme... Enfin au début, mais là c'est une personne. Un fantôme. Une femme, enfin je crois.

Son père pousse un bruyant soupir, suivi d'un léger ricanement. Il se retourne alors vers son fils :

- C'est un feu follet. Et c'est effectivement une dame ! C'est bien mon grand.

La voix de Milo se fait soudainement entendre :

- C'est impossible... Comment ? Il ne devrait pas être capable de le voir. Enfin, le feu follet oui, mais l'esprit... Je ne comprends pas.

Seishin fixe son père. La lumière de la Lune, qui refait lentement son apparition, laisse distinguer de plus en plus de détail sur l'apparence de son père. Ses yeux sont bleus, entièrement bleus, de la couleur de Milo. L'iris est quant à lui jaune doré. Tout son corps est entouré d'un léger halo bleu, comme les flammes qu'il aime regarder quand sa mère lui fait des bananes flambées au rhum.
Gosuto se retourne vers la silhouette et s'avance vers elle. Il tend alors sa main droite vers le feu follet, et Seishin remarque que des flammes bleues jaillissent de l'extrémité des doigts de la main de son père, formant comme de petites griffes au bout de ses doigts. Le feu follet se pose délicatement sur son poignet. Il enveloppe sa main et prend peu à peu la forme d'un bracelet surmonté d'un gant, qui ressemble à un grosse patte de chat, argentée, avec de terrifiantes griffes pointues à l'extrémité.
Gosuto regarde sa main sous tous les angles, avant de laisser s'échapper un timide « magnifique, merci pour votre aide ! » à l'attention de la patte, qui se met à scintiller en signe de réponse.
Seishin s'approche de son père, les yeux brillants de curiosité. Gosuto se tourne vers lui, en gardant la main en hauteur pour éviter tout mouvement brusque risquant de blesser le garçon :

- Tu dois avoir un millier de questions n'est-ce pas, dit Gosuto en posant un genou à terre pour être à la hauteur de son fils. Et je vais tout t'expliquer en rentrant, c'est promis.

À ces mots il se lève, prend une grande inspiration en serrant son poing droit. En expirant, il ouvre délicatement la main et libère le feu follet, qui s'éloigne dans le plus grand silence. La silhouette se retourne vers Seishin pour lui faire un petit signe de la main, que le garçon lui rend en rougissant.
Gosuto ferme ensuite les yeux, les mains jointes à hauteur de la poitrine. Il sépare les mains lentement, et Milo saute d'un bond hors de sa poitrine, s'asseyant à côté de Seishin comme si de rien était.

- Allez, vous pouvez le dire, jeune maître ; c'était impressionnant, spectaculaire et ébouriffant.

- J'ai plus eu peur qu'autre chose, en fait, confie le garçon.

- C'est normal, répond Gosuto. Allez on rentre. Et pas de bruit, sinon on va avoir de sacrés problèmes...