2. ... Ou presque.

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L'école de La Couteville est à l'image de la petite ville, sans prétention, mais accueillante et chaleureuse. Devant sa classe, Seishin retrouve Colin, avec qui il est voisin de bureau depuis l'école maternelle. La maîtresse semble en grande conversation avec la maman de son ami Colin, qui va accompagner le groupe au musée :

- Oui, malgré ces histoires curieuses, la visite du musée est maintenue, assure la maîtresse.

- Mais on ne sait pas si cette histoire est vraie, s'inquiète la maman de Colin.

- Vraie ou pas, il n'y a aucun danger pour nos élèves. Et l'école a déjà payé pour cette sortie, ce ne sont pas des canulars de statues qui bougent qui vont nous faire annuler cette visite. La sécurité des élèves n'est pas remise en cause, il me semble.

- Hmm... Moui, oui c'est vrai. Oui finalement ! Il serait bête de se priver d'une telle opportunité pour si peu.

Seishin est rassuré. Lui qui attendait cette sortie depuis plusieurs semaines, il avait aussi entendu parler de cette rocambolesque histoire de statuettes mouvantes, qui se seraient déplacées en plein jour, bien que placées sous verre et sous surveillance constante. Mais bon, une statuette de chat, c'est petit, il suffit d'un petit plateau tournant comme celui sur lequel est posé la télévision du salon, et le tour est joué, s'imagine Seishin.
Quelques minutes plus tard, confortablement installé dans le bus, Seishin se remémore les histoires de son grand-père ; les dieux à tête d'animaux, l'adoration du Dieu Soleil, la mystérieuse Néfertiti... et les chats, toujours ces mêmes chats, qui avaient le pouvoir de voir les fantômes, de les guider vers le repos éternel, et surtout, ils avaient l'incroyable pouvoir d'exaspérer son grand-père, le faisant passer d'un calme olympien à une fureur démoniaque à la simple imitation d'un miaulement...
Le parking du musée est vide et le bus se gare sans difficultés. Seishin et ses petits camarades s'empressent de se ranger deux par deux pour enfin pénétrer dans l'enceinte du musée. L'entrée est majestueuse, cernée par deux gigantesques statues à tête de faucon taillée dans un bloc de roche noire et brillante. À l'intérieur, la très large baie vitrée du plafond éclaire une impressionnante quantité de babioles, toutes ornées d'or et de bijoux, ainsi que des statues, sarcophages, statuettes, bustes, positionnés stratégiquement de manière à ce que chaque visiteur puisse contempler l'impressionnante collection sans quitter la galerie... Seishin se trouve replongé dans les histoires de son grand-père, il entend sa voix résonner dans sa tête, pour lui raconter les détails historiques sur la vie de l'époque, le génie déployé pour construire les pyramides, véritables trésors de longévité et de robustesse...
Le petit groupe d'élèves se met à déambuler au milieu des objets, s'extasiant devant des sceptres, colliers, épaulettes et autres bracelets ornés de pierres précieuses. Les enfants sont très disciplinés, personne ne se risque à sortir du rang, personne ne cherche à toucher les vitrines. La discipline des enfants est cependant mise à l'épreuve à l'entrée d'une petite salle circulaire, dont l'accès est limité par un cordon tressé rouge. Les allées du musée sont presque vides, mais un groupe de curieux composé d'une quinzaine de personnes se tient là, scrutant ce qui se trouve derrière le cordon. Seishin, trop curieux pour ignorer un tel attroupement, s'éloigne légèrement du groupe scolaire et observe ce qui se trouve dans la petite pièce : il y voit un meuble, surmonté de verre, protégeant une superbe statuette de chat taillée dans du verre, légèrement opaque. Il a l'étrange impression de l'avoir déjà vue... et pour cause : il s'agit de la fameuse statuette dont on dit qu'elle bouge toute seule, et dont l'histoire fascine les journaux télévisés depuis plusieurs jours. La statue est tournée vers le public, et Seishin fait face à la statue, bien qu'il ne soit pas à sa hauteur. Elle semble fixer un point au loin, de l'autre côté du musée. Seishin est fasciné par la statuette. Il s'apprête à s'en approcher davantage quand il entend sa maîtresse :

- Seishin, ne t'éloigne pas du groupe s'il te plaît. Seishin !

L'attroupement devant la statue se retourne au son de la voix de la maîtresse, une voix aiguë, stridente et stricte. Seishin tourne immédiatement les talons et repart vers le groupe. Il jette un coup d'œil au-dessus de son épaule pour regarder une dernière fois la statue, et il se fige : la statue ne regarde plus un point lointain à l'opposé du musée. Non, elle regarde vers le bas, elle le regarde lui, fixement.

- Hé ! La statue a bougé là, non ? S'exclame l'un des visiteurs,

- Hein ? Quoi ? Où ? Quand ? Se demandent d'autres,

- Attendez j'vois rien ! dit un autre en jouant des coudes.

Le groupe de curieux se reforme plus densément autour de la statue, et Seishin profite de la confusion pour rejoindre ses petits camarades.
Il reste cependant perturbé et apeuré par ce qu'il vient de voir. Il n'a aucun doute à ce sujet : le chat a bougé, et il l'a regardé. Il se place à côté de Colin dans le rang, et veut lui faire part de ce qu'il vient de se passer.

- Je viens de le voir bouger, tu l'as vu toi aussi?

Mais Colin ne répond pas. Il ignore totalement Seishin. Ce n'est pas dans son habitude, lui qui est toujours bavard et sympathique. Il est concentré, regarde fixement la babiole dorée que la maîtresse pointe du doigt, et ne bouge pas. Seishin se demande ce que peut bien montrer la maîtresse, ce doit être drôlement captivant pour tenir en haleine tout le petit groupe, qui regarde fixement dans la même direction... Mais Seishin se rend compte que ses camarades sont en fait totalement figés. Il tourne la tête dans la direction opposée et se rend compte que c'est le musée tout entier qui s'est figé. Mais pas lui. Sa surprise le laisse sans voix ou presque, puisque seul un petit « Hein ? » parvint à se frayer un chemin depuis ses cordes vocales. C'est alors qu'une voix grave et tremblante se fit entendre :

- Hmmm... Très intéressant.

Seishin est pétrifié. Là encore, seul un ridicule et très aigu « Hein ?! » fit écho à la voix caverneuse, qui reprend :

- Je ne sais pas ce que tu fais là, mais j'avoue que pour une fois, j'ai été pris au dépourvu. Je n'ai rien vu venir. Je me fais vieux, tu crois ?

La voix se rapproche de Seishin. C'est là, juste là, derrière lui, ça ne fait aucun doute. Il se retourne brusquement, et regarde droit devant et en hauteur, angle habituel d'un enfant cherchant le regard d'un adulte. Personne. Un coup d'œil à droite, à gauche, rien.

- Rares sont ceux qui ont réussi à me prendre à défaut, surtout de cet âge...

En bas ! Cela vient du bas. Seishin baisse brusquement la tête. Il voit alors une forme bleue, gracieuse, deux oreilles pointues à l'affût, deux grands yeux du même bleu que le reste, sans pupilles, cernés d'or. La silhouette semble assise, les pattes avant décorées d'or comme si elle portait deux bracelets. Seishin n'en croit pas ses yeux : c'est la statuette de chat qui se tient là, devant lui, assise comme si de rien n'était, la queue enroulée formant comme une écharpe au sol se posant délicatement sur ses pattes avant.
Là encore, la surprise de Seishin est totale :

- Hein ? Dit il sans bouger les lèvres.

Le Gardien des ChatsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant