Le Gardien des Chats

17. Le Dernier Dieu

C'est dans une ambiance toute particulière que commence cette dernière semaine de vacances de la Toussaint, juste avant le dixième anniversaire de Seishin. Toute la famille est dans la salle à manger; une partie de Puzzle Minute Rush est en cours. Le principe est simple: au centre de la table, un puzzle en miettes dont toutes les pièces sont faces visibles. Les participants se tiennent autour de la table et doivent compléter le puzzle. Chaque participant a une minute pour mettre le plus de pièces en place, puis passe son tour au suivant. Celui qui pose la dernière pièce du puzzle a gagné.
Lénéa est redoutable à ce jeu. Elle gagne pratiquement à chaque fois. C'est d'ailleurs à son tour. Elle fixe méticuleusement chaque pièce, les attrape avec une dextérité diabolique et les place méthodiquement, de manière à avoir sous les yeux toutes les pièces susceptibles de l'intéresser. Après un rapide passage en revue, elle passe à l'action. Ses doigts captent les pièces une par une et claquent chaque élément précisément là où il doit être, ses mains font un incessant va et vient entre les pièces et le puzzle, et le lourd silence de concentration ne laisse place qu'à une multitude de petits bruits craquant produits par les pièces qui s'emboîtent les une dans les autres. Le son strident du chronomètre vient rompre le ballet de mains et de morceaux de carton. Ça y est. La minute est passée.
Chahine se permet un modeste commentaire:
- Je n'ai jamais compris comment tu fais pour synchroniser tes yeux et tes mains à un niveau pareil. C'est vraiment impressionnant. Tu es presque aussi douée que moi...

La petite pique pleine d'ironie de Chahine laisse immédiatement place à un enchaînement rapide de pièces qui se posent une à une dans le puzzle, à une vitesse toute aussi impressionnante. Chahine est concentrée, ses mains semblent se diriger toute seule, sa tête ne bouge pas, seuls ses yeux balayent la table de droite à gauche pendant que les pièces s'écrasent une à une, complétant l'image centrale de manière aléatoire. Un énorme "BOUM" vient ponctuer l'impressionnante démonstration: Chahine pose violemment sa main au milieu du puzzle qu'elle vient d'achever. Le match est terminé. Le poing levé, serré et tremblant, le regard enflammé, elle lance un ultime "C'EST QUI L'PAAATROOOON???" avant d'entamer une danse de la victoire improvisée, en s'éloignant lentement de la table.
Gosuto, les yeux brillants et larmoyant regarde ses deux enfants d'un air menaçant et leurs lance:
- Le premier qui lui fait remarquer que ce n'était pas à elle de jouer, je lui fais manger le puzzle.

Milo fait son apparition soudainement au milieu de la table que les enfants sont en train de ranger:

- Maitre Gosuto, Maitre Seishin. Vous devez absolument voir ça.

Gosuto se méfie:

- Si c'est encore pour me montrer une litière hi-tech qui joue du hip hop quand on...

- Non, Maitre. Un message... dit Milo sans finir sa phrase.

- Papyrus? Demande Gosuto en abandonnant ce qu'il faisait.

- Je le crains, dit Milo.

Gosuto s'empresse de monter à l'étage. Milo lance un dernier regard à Seishin avant de s'évaporer dans un flash de lumière bleue. Le garçon reste les bras ballants dans la salle à manger. Il regarde Phoenix, se met à genoux et commence à le caresser, quand Gosuto passe la tête par l'escalier:

- Seishin, monte!

Le garçon embarque le chat, monte l'escalier, et traverse le couloir jusqu'à la chambre parentale. En entrant dans la pièce, il voit Gosuto un papier dans la main, devant la fenêtre. Face à lui se tient une imposante créature noire, aux yeux rouge feu. Une énorme tête de doberman, aux oreilles dressées, avec des cicatrices marquées, et un corps très athlétique, aux muscles saillants, des bras et des épaules gros comme des cuisses. Elle mesure plus de 2 mètres de haut, et ne porte qu'un protège épaule rayé de couleur or et bleu roi. À sa taille, une épaisse ceinture d'or à laquelle semble accrochée une toile légère formant une jupe. En voyant le garçon, une épaisse langue s'extrait de l'impressionnante dentition de la créature, et vient s'écraser sur son museau. Elle tourne la tête vers Seishin, et c'est finalement le corps entier qui pivote pour regarder le garçon. Une voix grave se fait entendre:

- Qui suis-je?

Les yeux rouges de la créature plongent dans ceux de Seishin, totalement pétrifié. La voix grave résonne dans la tête de Seishin, à nouveau, alors que la créature marche lourdement dans sa direction:

- Qui suis-je?

Seishin remarque que la bête ne bouge pas la bouche quand elle parle. Il entend la voix, il sait qu'elle vient de ce qui se tient devant lui, mais est abasourdi par ce qu'il se passe. La créature montre les dents de manière agressive, et insiste:

- QUI SUIS-JE??

- Vous êtes Anubis, aussi connu sous l'appellation Inpou, Dieu de l'embaumement, Gardien des Nécropoles et Premier Surveillant du Pays des Morts, le Dernier Dieu qu'une âme puisse rencontrer, lâche Seishin d'un seul souffle.

Démasquée, la créature se redresse et semble surprise:

- Waw! Encore un peu et tu m'aurais épelé mon numéro de sécurité sociale! Dit l'animal géant. Tu as tout bon, jeune serviteur de Bastêt. Je lui dirai à quel point tu m'as impressionné.

Anubis se retourne vers Gosuto et pointe du doigt le papier:

- Vous devez faire vite, Seigneur Serval. J'ai promis à Bastêt de vous donner ceci en main propre au plus vite, et c'est fait. Vous devez agir rapidement.

À ces mots, Gosuto serre le poing et le présente à Anubis, qui présente également le poing. Après un "check" dans les règles de l'art sous les yeux incrédules de Seishin et Phoenix, Anubis disparait dans un fin rayon lumineux.

Milo regarde Gosuto et pointe le papier de la patte:

- Je vous parie que La Déesse a encore écrit en langage "sms"...

Gosuto déroule le papyrus. Son regard se pose sur le papier et semble désespéré. Milo apparait sur la tête de Gosuto et lit le papier avant de dire calmement:

- Ouais... Ben ouais, j'en étais sûr. Une vraie gamine.

Milo regarde Seishin et lui fait signe de venir. Seishin s'approche, tend le cou et lit le papier. Il ne peut s'empêcher de lâcher son habituel petit "hein?" en lisant le papyrus:

"Slt. L.d.B P.45 L.3 M9-10. Mayotte. Urgent, T.d.T. Bsx"