1. Une famille normale...

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Le temps couvert et venteux de cette fin d'été ne rassurait pas le jeune Seishin. En réalité, très peu de choses le rassuraient, lui qui avait à peu près peur de tout : de ses nouvelles bottes, du vent, du bruit de la pluie sur la fenêtre de sa chambre... « Le vent crie dans mes oreilles » disait-il pour attirer l'attention de ses parents à l'heure du coucher. Heureusement, il était aussi facile à effrayer qu'à rassurer. La première astuce consistait à lui mettre tout simplement son bonnet, et ce, même l'été. Simple, efficace, pas cher. L'autre était de lui expliquer que le vent ne faisait que souffler ses bougies d'anniversaire, en lui faisant entonner un « joyeux anniversaire » à la gloire du vent. La peur ne disparassait pas, mais elle ne l'empêchait plus de dormir.

Plus le temps passait, et plus il apprennait à se rassurer tout seul. Les craintes initiales disparaissaient, mais d'autres apparaissaient. La plus terrifiante apparût le soir de son neuvième anniversaire, lui qui était né la veille de Halloween . Après une après-midi festive, pleine de bonbons et de gâteau au chocolat, il déballait ses cadeaux ; des jouets, du matériel pour faire des expériences scientifiques - idéal pour un enfant plein de curiosité - des habits de sport, des jeux de société... Après le départ des invités du jour, il décida de tout ramener dans sa chambre. En rentrant dans la pièce, il y trouva une atmosphère étrangement froide, voire lugubre, malgré le chauffage et la lumière allumée. Il rentra prudemment, avec l'étrange impression que son entrée dans la pièce avait interrompu quelque chose. Il regarda de tous les côtés avant de se figer sur le tapis qui bordait son lit. C'était là, c'était certain : « Il y a un fantôme sous mon lit... ».
Heureusement, là aussi la parade était prévue. Elle était même prévue de longue date, car utilisée par son grand-père Alexandre pour rassurer les terreurs de son propre fils Gosuto, le père de Seishin. Il lui disait : « les fantômes n'existent que pour effrayer les enfants »... La méthode avait le mérite d'exister, mais le père de Seishin, comme Seishin lui-même, ne comprenait pas très bien le sens de cette phrase, ni même en quoi elle était rassurante. Pour accompagner cette maxime improvisée, Gosuto remit à son fils un cadeau: sa petite bague, dorée, sertie de deux minuscules billes rouges, un rouge vif et profond. Trop grande pour être portée au doigt du jeune Seishin, et donc placée autour de son cou par un fin collier d'argent, reçu à l'occasion de son précédent anniversaire. « Quand tu seras plus grand, tu la placeras sur l'un de tes doigts, comme je l'ai fait pour moi, et zou, finis les fantômes ! » lui dit alors son père, montrant la trace laissée par son ancienne bague sur son auriculaire.

Seishin est maintenant un grand parmi les petits. Plusieurs mois se sont écoulés depuis cette fameuse nuit agitée, qui a depuis été reléguée au rang de vague souvenir. Preuve en est ce matin détonnant, où Seishin se réveille d'un bond, enfile les habits préparés la veille par ses parents et fonce d'un pas décidé dans la salle de bains pour se brosser les dents. Une attitude inhabituelle, lui qui était toujours le dernier à se préparer. Sa grande sœur Lénéa elle-même est surprise d'un tel entrain. Il est déjà là, se dit elle, elle qui était habituée à préparer les brosses à dents en attendant son petit frère. Même les parents ne comprennent pas ce qu'il se passait : Seishin est assis à la table de la salle à manger, prêt à prendre son petit déjeuner. Et ce, avant tout le monde, un fait suffisamment rare pour être relevé par son père :

- Hé bien dis donc mon bonhomme, tu as bien dormi ?

- Oui, très bien, répond le jeune garçon, en se secouant sur sa chaise de manière à se retrouver assis les fesses sur ses mains. Aujourd'hui on va en Égypte avec l'école et je suis pressé de voir les dessins !!

- En Égypte... Ah oui c'est vrai, c'est donc ça... Non, tu vas au musée avec ta maîtresse, tu ne vas pas en Égypte, dit son père le regard malicieux, amusé par la naïveté de son petit garçon.

- Et tu ne vas pas y voir que des dessins, renchérit sa maman Chahine en lui servant délicatement son lait chaud. Il y aura des statues, dit-elle, peut être même des sarcophages...

- C'est quoi un sarcophage ? demande le jeune garçon, presque hypnotisé par la vue du chocolat en poudre qui se mélange à son lait.

- C'est... euh... hésite son père. C'est comme une boite dorée, dans laquelle on met le pharaon quand il est mort...

- Ah oui, la boite avec le dessin du pharaon, qui tient un bâton et un crochet ?

- Oh ?! Oui c'est bien ça ! dit sa mère, surprise de voir que son fils ait retenu un détail pareil.

Mais il n'y a rien d'étonnant à cela. Seishin a grandi avec les récits de son grand-père, qui adorait par-dessus tout la mythologie égyptienne, ses dieux curieusement dessinés, ses coutumes mystérieuses et... sa fascination pour les chats. Son grand-père était si intrigué par cette dernière curiosité qu'il se refusa toute sa vie à adopter un chat. Les Égyptiens les vénéraient, les craignaient même, donc hors de question d'en avoir un chez soi, c'est sans doute plus prudent, disait-il à qui voulait l'entendre.

- Allez c'est parti. Sacs, manteaux et on y va ! lance le père à la petite famille qui vient de finir de petit déjeuner.

Sur la route, Seishin s'impatiente. Il regarde par la fenêtre de la voiture, apprécie la douce fraîcheur de cette matinée de fin de printemps, juge du trajet restant en retrouvant ses points de repère ; le boucher d'abord, la pharmacie, la bibliothèque. Puis, à la hauteur du cimetière, il ne reste qu'une ou deux minutes avant d'être à l'école. Oui, le trajet est court, très court même, mais La Couteville n'est pas une grande ville, pour ne pas dire un village. On est pourtant très proche de Paris et de son rythme effréné, mais suffisamment loin pour échapper au stress du cœur de la ville. Sans la moindre secousse, le véhicule familial s'arrête à hauteur du portail de l'école ;

- On y est, on se détache, bisous et à ce soir !

Le Gardien des ChatsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant