En mer

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Un choc brutal percuta la coque et un autre tout de suite après. Un rugissement assourdissant la vrillait. Elle émergea de son sommeil glacé, transie par un sentiment d'épouvante. Son hamac se balançait en tout sens et elle avec. Des coups violents cognaient, battaient, secouait le bateau qui craquait et se déchirait, menaçant à chaque fois de le fracasser. Des sifflements inouïs parvenaient de l'extérieur, accompagnés des fracas du tonnerre, de claquements, de grincements et d'un mugissement continu à peine modulé vers des aigus terrifiants. Elle tenta de se redresser mais le formidable roulis l'emprisonnait dans son hamac et la ballottait dans les airs. Elle put voir que Sacha n'était plus à côté d'elle. La plupart des marines étaient comme elle, recroquevillées dans leurs filets, agrippées aux cordes, et les autres étaient sur le pont, à la manœuvre, dans l'enfer de la tempête qui se déchaînait.

La veille, quand elle avait pris son quart de repos, la capitaine avait annoncé la tempête. Maintenant, elles étaient dedans.

Elle profita d'un bref moment de répit pour se glisser au sol. Mais le tangage reprit. A quatre pattes, elle se dirigea vers l'échelle de pont. Une féroce odeur de vomi, de saumure et d'autres odeurs qu'elle ne voulait pas tenter de reconnaître, saturaient le dortoir. La trappe était fermée et résistait. Elle la poussa de toutes ses forces et elle s'ouvrit soudain, manquant de la faire basculer tandis qu'un paquet d'eau glacée se déversait sur elle. Quand elle eut retrouvé son souffle, elle passa la tête. Une autre giclée la bouscula. Le bruit était pire qu'assourdissant et les masses qui déferlaient l'empêchaient de distinguer ce qui se passait sur le pont. Comment pouvait-on y rester ? Pourtant, la barreuse devait être à son poste et quelques gabières avaient dû s'occuper des voiles. Sous ses yeux incrédules, elle voyait le plancher du pont se tordre et onduler comme une pièce de linge que l'on secoue. La terreur liquéfia sa poitrine, tomba dans son ventre, fondit sur ses jambes. Elle n'entendit pas son gémissement de terreur, emporté dans le fracas terrifiant de la tempête. Elle reprit sa respiration après une nouvelle gifle trempée. La ligne d'horizon n'était plus discernable, noyée. Elle n'osa imaginer comment résistaient les mats. En réponse, elle étendit un craquement énorme au dessus de sa tête et perçut l'onde de choc du mat percutant le le pont. Demain, si elle était encore vivante et non pas emportée au fond de la mer dévorée par les gros poissons, elle aurait du travail. Mais où était passée Sacha ? Quelqu'une la tira par les pieds tandis qu'un paquet de mer l'assommait.

« Ferme ça tout de suite ! »

Elle dégringola l'échelle et tomba sur le plancher. Une fraiche puanteur de vomissure la suffoqua. Sacha s'éloignait déjà et tentait de remonter dans son hamac. S'était finalement le lieu le plus sûr. Un violent mouvement envoya Lula valdinguer contre la coque. Elle hurla de douleur. Quand elle eu retrouvé ses esprits, elle parvint à ramper jusqu'à sa toile et à le réintégrer.

Finalement, elle s'endormit après des heures de déchainements angoissants. Sans doute la tempête finit-elle par se calmer. On la secouait. Le vaisseau gitait sur le côté. C'était au tour des charpentières de s'activer, dont elle faisait partie. Elle se leva mal en point, le pied tremblant, la bouche pâteuse. Sur le pont éventré, le doux balancement de la mer, le soleil aveuglant et sa splendeur immaculée rendait le spectacle du désastre encore plus surréaliste. Pont déchiré, haubans et lisses enchevêtrées, voiles en lambeaux, bastingages arrachés, mâts, flèches et barres en charpies jonchant le plancher. Les charpentières se mirent au travail. D'abord réparer les bastingages avec les débris de bois pour sécuriser le pont. Les vagues en lames coupantes, masses d'eau furieuses, avaient réussi à défoncer une partie de la coque, un peu au-dessus de la ligne de flottaison. Il fallait radouber avec les morceaux de bois de charpente qui trainaient partout et calfater tant bien que mal. Elles firent ce qu'elles purent, une réparation de mauvaise fortune. Au final l'eau ne rentrait plus à flots mais par petits filets. Un groupe de marines fut assignées à l'écopage. On avait pris la route du port le plus proche. Cahin caha, le vaisseau parvenait à avancer, une gite importante le poussant de travers, penché du côté où il devait chavirer, malgré le mât principal à demi brisé et une partie des voiles emportées. Les gabières les avaient pourtant enroulées dès l'annonce de la tempête mais le vent était quand même parvenu à en arracher quelques unes et déchirer les autres. Toute la journée, l'équipage avait ravaudé, raboté, scié, cloué, goudronné, compté ce qu'il restait de vivres consommables, et d'eau potable. Pas grand chose ! Pourtant, on avait pu manger en abondance, plutôt que de jeter par dessus bord les corps des trois chèvres noyées durant la tempête et la cuistote avait déjà préparé les poules qui avaient subies le même sort. Encagées à fond de cale, elles avaient été secouées, brisée, submergées. Deux Gabières avaient disparu et une charpentière s'était faite défoncé le crâne par un espar. Le chat avait disparu mais on était débarrassé des rats qui n'avaient pas résistés non plus. Heureusement, depuis Marsa, « L'Etoile de Sud » louvoyait à portée de la côte. Le prochain port était à une journée de navigation.

La Princesse des SteppesWhere stories live. Discover now