Amour de fées

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Elle fut brusquement tirée de son hébétude. On la soulevait, on la tirait. Le froid la saisit à nouveau, le sang se remit à circuler douloureusement dans ses membres gelés. Elle se débattit mais Sacha la secoua et la poussa. « Marche ! » Lui ordonna-t-elle. Elle n'en avait plus la force. Elle la reprit par le col et la malmena brutalement jusqu'à ce qu'elle tienne sur ses jambes. « Nous sommes presqu'arrivées. Le col est à deux pas ! » Lula aurait voulu lui répondre qu'elles avaient déjà marché plus que deux pas. Mais ses lèvres étaient comme gelées. Elle ne parvint à en faire sortir aucun son. Elle vit tout à coup la cavale devant elle. Sacha la hissa sur son dos, attrapa les rênes et repartit.

« Et ta magie ! Petite sotte ! Ta magie ? Tu en as fait quoi ? Je croyais que tu étais la meilleure pisteuse de Marsa et de tous les territoires ! »

La magie ? Y a t-il une magie qui puisse faire face à un tel déchirement des éléments ? A une telle perdition ? Elle n'avait plus la force de parler mais elle parvenait encore à aligner quelques pensées à laquelle Sacha, infiltrée, répondait.

Doucement tandis que la bête avançait lentement dans la neige, sur les traces de Sacha qui sondait méthodiquement la neige de son bâton, la panique se dissipa dans l'esprit de Lula. Sacha non plus ne se fiait pas qu'à sa magie, pour se repérer, elle avait besoin du bon vieux bâton de berger ! Pensait-elle.

« Mais moi, je suis une poétesse enchanteresse, pas une pisteuse... » Sembla lui répondre Sacha.

Peu à peu, à la place de sa terreur se glissa un sentiment de joie glorieuse : elle ne l'avait pas abandonnée ! Elle était revenue la chercher !

« Pour qui me prends-tu ? » grommela Sacha.

Pour une fée ingrate qui la houspillait et la repoussait depuis des semaines... Mais Sacha ne répondit pas à cette dernière remarque, ou bien elle ne l'entendit pas. Lula avait sombré dans une somnolence bienheureuse.

Un courant d'air frais glissa sur son visage. Elle se réveilla. Elle balaya d'un œil ahuri la pièce où elle se trouvait. Murs en rondins grossiers, porte en bois calfeutré de laine, une petite fenêtre par où un rai de soleil aveuglant pénétrait, un poêle à bois qui ronflait, une bouilloire posée dessus qui chantait. Sacha apparut de dos et s'en empara. Lula se redressa sur son coude et aperçut la petite table où était posée une tisanière que Sacha emplissait.

« Tu en veux, je suppose ? » demanda-t-elle sans se retourner.

Lula se rendit compte qu'elle avait soif... et faim.

« Tu peux te lever seule ? J'ai déposé ta veste sur le bout du lit. »

Elle s'assit. Elle se sentait un peu faible mais sans plus. Elle attrapa sa veste, la passa et se leva. Elle fit quelques pas avec précaution et vint s'asseoir sur le tabouret à côté de celui où Sacha s'était posée. Elle vit les victuailles sur la table : tranches de pain bis, fromages et charcuteries sèches, poignée d'amandes et de pistaches que Sacha commençait à casser.

Lula avala une gorgée de tisane, qui la brûla. Elle grimaça. Sacha rit et la traita de goinfre en lui tendant un morceau de pain dans lequel elle mordit avec délice. Elle n'avait pas le temps de s'étonner de son amabilité. L'urgence était de manger. Quand elle fut repue, elle rota avec délice et se frotta le ventre avec reconnaissance.

« Merci. » Dit-elle. Elle ne savait de quoi exactement, d'être en vie, d'avoir chaud, d'être rassasiée, de retrouver la Sacha qu'elle aimait.

Lula se redressa. Dehors, il semblait faire un temps radieux.

« Habille-toi. » Lui intima Sacha et lui lançant ses culottes et son pantalon et en décrochant son manteau qui pendait près du feu. Elle fut prête en même temps que Sacha qui avait débarrassé la table et mis les vivres à l'abri. Elle lui ouvrit la porte. Le soleil l'éblouit puis le ciel d'un azur fantastique et une neige d'un blanc invraisemblable. Elle resta un moment béante devant tant de beauté inconnue. Sacha la secoua. Elle fit trois pas dans la neige qui crissait sous ses pas. Sa compagne contourna le refuge tandis que Lula resta à contempler l'horizon : une dentelle de pics rocheux s'étendait si proche devant elle qu'elle pouvait en discerner les anfractuosités et les saillies qui accrochaient la neige, les pins maigrelets qui se cramponnaient dans les failles, le grain irrégulier de la roche, ses stries, ses éclats... A ses pieds, une prairie alpine descendait doucement vers le creux de la vallée. Toutes les aspérités avaient été gommées par le manteau neigeux. Lula s'avança. Elle apercevait un chemin de traces s'enfonçant dans la neige. Elle s'accroupit. Elle reconnu les pattes d'un lièvre. Croisant sa route un oiseau genre grive avait piétiné. Un appel lugubre la tira de sa rêverie. Un loup, puis un autre lui répondant, au loin. Elle songea à sa vieille jument. Elle se redressa et se retourna en entendant une cavale encenser derrière elle. Sacha la tenait par son licol et vint jusqu'à elle.

La Princesse des SteppesWhere stories live. Discover now