Evasion

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Il sortit doucement de son lit. La nuit était pleine, l'obscurité complète. Il entendait le souffle de la dormeuse. Inspiration grondante, expiration sifflante, apnée, reprise. Le confort du fauteuil était malcommode. Elle bougeait parfois avant de se recaler dans la même position. Il s'approcha d'elle silencieusement, la regarda, presqu'attendrissante dans son sommeil. Mais il devait le faire. C'était sa vie contre la sienne. D'un geste rapide, il attrapa sa tête. Elle n'eut que le temps de se réveiller et d'ouvrir la bouche. D'une torsion brutale, il fit pivoter son cou sur le côté, légèrement en arrière. Il entendit les vertèbres craquer, leur superposition précise se défaire. Il sentit ses soubresauts de protestation. D'un coup sec du tranchant de la main, il lui brisa le larynx et la lâcha. Le corps de l'Indifférente s'effondra dans le fauteuil.

Régis s'assit un moment sur le bord de son lit. Ses mains tremblaient, ses jambes flageolaient. Une sueur d'angoisse perlait sur son front, qu'il essuya. Il reprit son souffle. C'était la première fois qu'il disposait d'une vie. Les princes ont des guerrières, des tueuses, d'habitude, pour faire cela à leur place. Remis de son émotion il se leva et fouilla la morte pour chercher... il ne savait trop. Il trouva ses dés, qu'il jeta sur le tapis, découvrit un poignard, dissimulé dans une poche de son gilet de cuir, une sorte de cuirasse mais en plus souple et pas entièrement décorative, comme elle le révélait. Dans la poche, il y avait un anneau magique dont il s'empara aussi.

Dans la journée, il avait refusé la dague que l'Amicale lui avait proposée. Elle l'avait posée sans mot dire sur la table. Il lui avait dit de la reprendre.

« Comment expliqueras-tu que je l'avais en ma possession ! »

« Ce n'est pas la mienne je l'ai dérobée dans une salle d'armes, en ville... »

« Il y aura une enquête. Je ne veux pas que tu ais des ennuis... »

« Je veux t'aider ! » Dit-elle avec fougue. « Et je ne suis pas la seule ! »

« Pour l'instant restez tranquille. Je saurais vous faire signe quand j'aurais besoin. Monter les réseaux, organiser la résistance mais soyez prudentes et quand il sera temps, nous reprendrons le pouvoir. Pour l'instant, je me débrouille seul ! Ne t'inquiète pas pour moi. Je vais disparaître. Je te remercie de ton aide même si je n'en use pas. »

« Elles ont tué mon frère ! » Avoua-t-elle soudain, ressentant la nécessité de donner une explication à son geste. « Elles ont aussi tué sa compagne qui a voulu le protéger... » Sa voix s'étrangla. Puis elle reprit : « Il travaillait à l'intendance du palais. Il avait foi en toi. Il te servait avec gratitude. Il a toujours aimé le travail des étoffes et c'est lui qui les choisissait, passait les commandes et qui les réceptionnait. Tes beaux habits, c'est en partie à lui que tu les dois ! Sans tes lois, il n'aurait pu être qu'un fripier vendant ses tissus sur un marché ou dans une échoppe... »

« Nous le vengerons. » Dit doucement Régis. Il l'embrassa un court moment puis la relâcha.

« Va maintenant. L'indifférente va bientôt arriver. »

« L'indifférente ? » Elle riait.

« Oui, j'ai donné un petit surnom à mes gardes. Il y a l'Indifférente, l'Indélicate... »

« Ho ! Cela résume bien Aspéra ! Et moi, je suis ?»

« L'Amicale ! Mais désormais, je penserai à toi comme étant Nadine. C'est vraiment plus amical. »

Régis se secoua et chassa le souvenir de la jeune fée qui lui avait tenue compagnie pendant de si longs jours. D'un pas résolu il gagna la roberie. Rapidement, il s'habilla, chaudement et chercha un sac suffisamment grand pour contenir sa pelisse et être porté sur son dos. Il allait ramer et marcher. Il se réchaufferait rapidement. Il n'avait besoin du lourd manteau que pour s'envelopper dedans et dormir. Sa veste de laine était suffisamment chaude. L'hiver finissant n'était pas très froid, juste humide et brumeux au bord de la Sécane.

La Princesse des SteppesWhere stories live. Discover now