Aradante était debout devant la fenêtre, grande ouverte sur le fleuve. De l'autre côté, sur le quai, l'agitation du soir commençait à se calmer et la lourdeur de la chaleur à s'estomper. La tiédeur de l'eau en même temps qu'une vague odeur de vase montait jusqu'à elle. Après les pluies incessantes de l'hiver et du printemps, la chaleur et la sécheresse s'étaient installées. Le fleuve atteignait son étiage et découvrait sur ses rives des plages de boues malodorantes où venaient s'échouer poissons morts et autres détritus. Les bateaux fluviaux étaient à l'arrêt et l'activité réduite aux heures les plus fraiches du matin et du soir, en cette période de canicule.
La porte glissa sur ses gonds bien huilés dans un bruit feutré et Clément pénétra dans le bureau. Elle se retourna. Dans le contrejour de la fenêtre, la lumière du soir dessinait sa silhouette sous le voile de lin grège qui l'habillait. Elle avait pour tout vêtement une longue et légère tunique qui flottait jusqu'à ses chevilles. Aradante avait fait le choix d'une élégance simple. Les seuls éléments décoratifs de sa mise était les broderies ton sur ton du col profond et des manches trois quart de sa tunique avec le foulard marsalan ocre strié de brun de d'or qui dissimulait sa chevelure blanche. Clément s'approcha de sa démarche nonchalante, chaloupant discrètement. Ses jambes fendaient l'étoffe de sa tunique, ses pieds glissaient sur le tapis, ses épaules roulaient, ses bras ondoyaient et ses mains voletaient entre ses hanches et ses cuisses. Mais son visage était une lune sombre indéchiffrable. Une vibration chaude et tourbillonnante se leva en elle. Elle battit sa poitrine prête à exploser d'espoir impérieux et pulsa jusqu'entre ses jambes, la laissant ruisselante, éreintée de désir. Elle s'en était trop longtemps gardée, avait résistée. La mémoire de Rochenéré la liait, le souci de Solen l'habitait mais Clément était là et emplissait ses limbes.
Elle fit un pas de côté et la vision de son corps sous la transparence de l'étoffe, disparue. Le jeune homme s'arrêta au milieu de la grande salle, à une distance respectueuse et s'inclina cérémonieusement.
« Tu m'as convoqué ? » Demanda-t-il brusquement. Elle voyait sa respiration soulever un peu trop rapidement sa poitrine. Une fine pellicule de sueur faisait briller son front. Ses longs cheveux noirs étaient noués en tresse qui caressait son dos. Lui aussi, en ces temps chauds, ne portait qu'une simple tunique, une cotonnade blanche peinte d'éxubérantes roses trémières.
Elle inclina très légèrement la tête sur le côté et son sourire trembla.
« Je t'ai invité à venir me voir ! » corrigea-t-elle en modulant sa voix pour la rendre la plus gracieuse possible et masquer ainsi son trouble. Elle était Grande Sorcière et elle devait rester maîtresse.
Clément rompit la distance et s'approcha à deux pas d'elle. Elle n'avait qu'à tendre le bras pour le toucher. Sa présence irradiait et l'enveloppait.
« Clément... » Sa voix mourut. Son désir la submergea.
Au début, après les évènements, comme elle appelait cette journée épouvantable du retour du Prince Régis en la Capitale, elle s'était entièrement consacrée à son frère. Le perdre, après avoir perdu Rochenéré, était un deuil supplémentaire autant qu'insoutenable. C'était plus qu'elle n'en pourrait supporter et croyait ne pouvoir y survivre. Le souvenir la hantait comme un cauchemar. Lula avait crié « Le Prince ! Là-bas ! Elles sont là-bas ! C'est encore une duperie ! Vite ! » Dans un éclair fatal elle avait compris la supercherie. Elles avaient été distraites du véritable danger, Talila n'avait fait que détourner leur attention ! Aradante avait senti son corps se vider de toute vie, une brève seconde, puis elle s'était précipitée et avait jeté toute son énergie dans le sauvetage de son frère. Elle n'avait pu sauver Rochenéré, à cause de son absence et à nouveau, le pire se reproduisait : elle avait manqué à Solen ! Elle arrivait trop tard pour le sauver ! Lui aussi allait mourir !
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La Princesse des Steppes
FantasyLe Prince des Deux Peuples est parvenu à maintenir la Ville de Marsa attachée à son territoire mais nos héroïnes, ses fées les plus proches, sont gravement blessées. Aradante en convalescence découvre l'héritage de Héro. Sacha est en fuite de sa vie...