En descendant de la montagne

3 0 0
                                    

Elles restèrent cinq longues et magnifiques journées. La neige était blanche et radieuse illuminée par un ciel d'un azur aveuglant. Il y eut un épisode de neige, mais pas aussi spectaculaire que celui qu'elles avaient connu à la montée. C'était une petite averse, légère et régulière qui recouvrait la montagne de sa poudreuse blanche. Les pins et mélèzes montaient à l'assaut de la montagne habillé de blanc. Le torrent serpentait en chantant au fond de la vallée et tout au fond du cirque, le grondement de la cascade qui les appelait et qu'elles vinrent admirer. Immobiles, stupéfaites face aux rubans d'eaux furieuses qui dégringolaient du haut de la falaise.

Des cavales sauvages vinrent souvent roder autour de leur chalet. Certain matin, elles découvrirent avec elles une troupe de chamois. A la tombée de la nuit, chaudement enlacées à l'abri de leurs couvertures, avec pour compagnon le poêle qui ronronnait, elles entendaient les loups hurler. Au matin, elles découvraient les traces du lièvre qui approchait jusqu'à leur porte. De grands corbeaux formaient une nuée noire qui tournoyait au dessus du cirque en émettant leurs cris rauques et tristes. Un jour, elles aperçurent même un couple d'aigles, très loin au dessus d'elles, qui décrivit quelques cercles avant de disparaître de l'autre côté des cimes.

Leurs journées se déroulaient voluptueuses et lentes, manger, dormir, amour, promenades dans la neige, batailles de boules de neige, amour, manger, dormir, dressage du poulain, amour... jusqu'au jour au Sacha décida qu'il fallait repartir. Elles n'auraient bientôt plus de nourriture et en cette saison, il était difficile de vivre sur la nature qui avait gelé tous ses fruits. Le poulain, qu'elles appelaient beau mignon, faute de mieux, n'était pas encore dressé pour la monte, loin s'en fallait, mais il accepta de porter leurs bagages de linges et les quelques vivres restant. Elles décidèrent de monter tour à tour la cavale de Sacha. De toutes façons, malgré le temps toujours aussi beau, la descente était encore plus périlleuse que la montée, entre sentiers étroits, éboulements de boues, de neiges et de pierres, provoquées par le réchauffement, et qu'il fallait parfois déblayer, à pic vertigineux, hurlement des loups, sifflement des marmottes, croassement des choucas. Leur chevauchée lente et malaisée les mena à la tombée de la nuit, dans un village qui semblait désert. Peut-être un village d'estives ? Elles ouvrirent une grange où restait de la paille dans le fenil et quelques boisseaux d'avoine pour les cavales. Tandis que Sacha s'occupait d'elles, Lula partit en reconnaissance dans le village. Bien grand mot : il s'agissait d'un regroupement de quelques masures autour d'une placette. Elles semblaient en bon état, avec une belle toiture de lauzes et le bois bien rangé sous le balcon. Il suffisait de soulever la barre qui bloquait la porte pour entrer. Silence et froidure. Lula s'approcha de la petite cheminée. Un fagot était placé dedans, n'attendant que d'être enflammé. Elle trouva un pot d'étoupe sur le manteau de la cheminée. Une belle flambée et il faisait déjà meilleur. Elle fit le tour des placards et trouva un peu de farine de seigle et des céréales mélangées et concassées dans un pot bien fermé, avec lesquelles elle pourrait préparer un brouet enrichi des fruits secs qu'il leur restait. Elle se mit aussitôt au travail en allant chercher d'abord quelques bûches de bois qu'elle mit à sécher auprès de la cheminée. Les trois qu'elle avait posée à l'intérieur seraient vites brûlée ! Puis elle ramassa un peu de neige pour la faire fondre, la filtrer et préparer sa soupe.

La cheminée avait du mal à réchauffer la pièce humide et elles passèrent une nuit exécrable. A l'aube, elles étaient déjà prêtes à partir, toilettées sommairement, habillée, bagages faits, cavales sellées et chargées.

Au fur et à mesure qu'elles descendaient, l'humeur de Sacha s'assombrissait en même temps que le ciel s'abaissait et prenait une teinte grisâtre qui se mit à peser sur elles. Peu à peu, la Sacha, claire, rieuse, tendre, aimable s'estompa. Quand elles atteignirent les piémonts, sous la pluie, elle était redevenue la Sacha distante, froide, presque méchante. Avec un peu de soleil, la chevauchée eut été une splendeur, dans ce paysage doucement vallonnée émaillée de champs, de bosquets, de rivières et de villages avec le terrible massif désormais enneigé dans leur dos, pour l'heure, perdu dans la grisaille. On les accueillait toujours avec générosité et l'on s'étonnait de leur périple quand Lula racontait qu'elles avaient traversé la montagne sous la tempête, fait halte dans ce grand cirque qui semblait avoir ici une belle réputation. On reconnaissait le poulain et l'on s'extasiait de cette prise que la jeune fée racontait comme un combat épique. Le plus souvent, Sacha restait muette quand elle ne bousculait pas sa compagne pour lui intimer de cesser ses contes d'enfants. Mais elle négocia une vieille cavale pour Lula, contre deux poèmes d'amour et trois chants d'anniversaire pour l'une de leurs hôtesse après lui avoir révélé qu'elle était poétesse, un soir qu'elle avait trop bu d'une eau de vie traitre et qu'elle entonnait un chant d'amour lugubre qui leur tira les larmes.

La Princesse des SteppesWhere stories live. Discover now