Il gardait les yeux clos, penché au-dessus de la balustrade des buildings flottants, les cheveux longs et cotonneux, le corps comme de l’encre liquide tracée dans le ciel pourpre. Il gardait les yeux clos, pour ne pas se réveiller, gardait les yeux soigneusement fermés, pour ne pas cesser de rêver, pour ne pas briser la bulle qu’il avait créé, cosmogonie fragile d’êtres vivants qui s’agitaient en bas sur les planètes, s’ébattait sur les mondes qu’il avait créé.
Il ne les aimait pas ; on n’aime pas ce qui nous retient prisonnier, on n’aime pas ce qui nous attache, ce qui nous empoisonne, on n’aime pas ce qui nous blesse, on n’aime pas, évidemment pas, on attend, on patiente, on laisse gronder la colère qui s’agite lentement, on laisse tomber sur les sols les larmes qui disséminent avec elles d’étranges infections, d’étranges maladies, les gouttes perfides qui répandent la destruction sans se faire remarquer. Il ne les aimait pas. Il ne les aimait plus. Il les avait aimé, au début, les bris de son imagination, les personnages qui émergeaient de la fange de ses rêves. Il les avait aimé, les multitudes fragments de lui-même, s’était attaché. On l’avait averti, pourtant, on lui avait parlé du danger de s'éprendre de ses créations. On lui avait dit, évidemment, on lui avait montré, les univers des autres rêveurs, des autres endormis, de tous les autres qui gisent, allongés près de lui, incapable de se résoudre à couper le cordon des mondes qu’ils ont enfanté, incapable de démolir les réalités qu’ils ont pris tant de soin à ériger.
« Pi. » avait soufflé une voix, en dehors, loin, très loin de lui. « Pi. » avait murmuré gentiment la voix, prière d’un égal plutôt que voeux adressés à un dieu, nouveau Rêveur qui tentait de le rejoindre dans sa tour de cristal. Ce n’était pas la première fois, ce n’était jamais la première, il avait vécu trop de vies et trop d’éternité pour céder, avait passé trop de temps enfoncé dans sa propre réalité pour laisser quiconque s’y immiscer, pour laisser quiconque l’observer, pour laisser quiconque le regarder, l’Endormi aux yeux vides et aux lèvres bleues, fantôme de ce qu’il était, les doigts crispés sur la brume des pouvoirs qu’il avait un jour manié.
« Il est l’heure. » avait chuchoté la voix alors qu’une larme roulait au creux de sa gorge. « Tu meurs. »
Au milieu du rêve, au centre de la dernière galaxie, la larme avait commencé à pulser.
Il ne pouvait plus revenir en arrière.
VOUS LISEZ
de poussière et d'étoiles
Science FictionFINIE | Quelque part au centre de la galaxie, une énergie palpite. Au-dessus des têtes, le Créateur dort. Au milieu de tout cela, le Casino Lovelace asservit la galaxie. Perchée sur les ruines d'un empire détruit, Corbeau veille.