XII/ THE STREET KING

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« Saule. » Luzerne avait une voix tendue, presque menaçante et il avait relevé les yeux vers elle pour la scruter. Elle était différente depuis qu'Eliezer avait rejoint leur vaisseau. Il ne savait pas si elle craignait pour son poste ou si l'homme lui avait dit quelque chose qui l'avait vexée mais il y avait quelque chose qui clochait. Elle semblait plus sûre, moins fuyante, le dos plus droit et le port de tête plus haut, moins maladroite, moins socialement inepte. « Saule. » avait-elle répété et, lorsqu'il avait relevé la tête, il avait failli se cogner contre un tuyau.

« Luzerne. On a pas le temps pour tes petites blagues alors si tu voulais bien avancer on-
- Tu le trouveras pas là.
- Corbeau ?
- Ouais. Tu le reconnaîtrais pas si tu le voyais, de toute façon. »

C'était sans doute vrai. Après tout, Corbeau était censé régner sur le plus grand réseau d'information de Necropolis, il ne pouvait pas le faire à visage découvert et certainement pas avec un gros corbeau tatoué sur le front. Agacé, il s'était passé une main dans les cheveux. Il aurait eu l'information, probablement. Il les aurait fait payer, probablement aussi, mais rien que Saule ne puisse négocier - il pouvait pratiquement tout négocier.

« Tu le reconnaîtrais, toi ? » Il lui avait demandé tout en poussant du bout du pied quelque chose qui flottait dans le liquide visqueux dans lequel ils marchaient. Il demandait parce qu'il savait que Luzerne avait longtemps vécu dans les bas-fonds, qu'elle s'en était échappé, qu'elle avait traversé la même chose que lui, à peu de choses près.

« Probablement pas. » Elle avait réfléchi, avait fini par se corriger. « Peut-être. À défaut de lui, on peut peut-être trouver un de ses informateurs.
- Ils sont connus ?
- Plus ou moins. Il faut aller à La Cour des Miracles. »

La Cour des Miracles, contrairement à ce que son nom laissait penser, n'était en fait pas une cour mais un bar construit dans les débris d'un immeuble écroulé. Luzerne lui avait conseillé de ne rien boire et de ne surtout rien accepter de personne gratuitement et il avait hoché de la tête, sagement, avant de la suivre entre les bancs et les déchets humains qui s'accumulaient. Si lui ne savait pas où ils savaient, elle, en revanche, semblait extrêmement bien connaître les lieux et il s'était demandé si elle ne l'emmenait pas ici pour tenter de boire un coup en douce.

« Zim. » Elle avait appelé, en s'installant à une table, en face d'un type qui avait une crinière verte qui flottait autour de la tête. « J'ai besoin d'une information. »

Saule était presque sûr que quelque chose était passé entre eux. Il y avait eu les regard de Zim, en direction de Luzerne puis vers lui, un nouveau regard vers elle, un battement de cil, un clignement des dizaines d'yeux qui décoraient les tentacules qui s'agitaient autour de sa tête.

« Quel genre ? » avait-il fini par glisser d'une voix trop plate pour être sincère.

« On a besoin que le Corbeau nous déniche une planète.
- Quel genre de planète ? Vide, habitée ?
- Une planète qui héberge une fille.
- C'est vaste.
- Une fille qui a été volée.
- Arthur Lovelace ?
- Probable. »

Zim avait plissé ses mille yeux avant de se lécher le doigt et de faire défiler sur son écran des cartes que Saule n'arrivait même pas à identifier.

« Je ne sais pas si le Corbeau pourra vous aider. » Il avait haussé les épaules. « Mais vous êtes en veine, j'ai la carte qu'il vous faut. »

Sur le bout de papier qu'il lui tendait, l'impression tremblante d'une galaxie qui lui semblait trop parfaite pour ne pas avoir été créée, des coordonnées loin de toutes les routes commerciales et des planètes qui lui semblait étrangement familière. Du bout de l'ongle, il avait tracé les reliefs d'un des ronds qui maculaient le papier, avait serré les dents.

« Ce sont les planètes détruites de l'Empire, je me trompe ?
- Oui, tu te trompes. » avait répondu Luzerne, et il était à présent certain que quelque chose clochait parce qu'il avait la distincte sensation de lui être inférieur. « Elles n'ont pas été détruites. C'est notre destination. »

Il avait dégluti, presque angoissé, avait pensé à la tronche qu'allait tirer Aulne quand il allait lui raconter, avait dégluti une nouvelle fois.

Il n'était pas certain qu'ils étaient prêts pour cette affaire là.

de poussière et d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant