Luzerne détestait les planètes de l’orbite du lézard. C’était quelque chose de viscéral, quelque chose de cramponné à son estomac. C’était peut-être parce qu’elle était restée bloquée là-bas pendant des mois, une fois, peut-être à cause de la végétation luxuriante et du climat capricieux, peut-être, aussi, à cause du manque d’emprise qu’elle avait sur ce coin-là de l’espace en particulier. Il était difficile, après tout, d’utiliser ses pouvoirs lorsque la technologie la plus avancée des autochtone était le téléphone portable, difficile de trouver le moindre robot à contrôler, le moindre mécanisme à utiliser à son avantage, difficile. Elle n’avait encore gagné le titre de Corbeau, la première fois qu’elle avait foulé le sol de la planète. Elle n’avait pas encore fabriqué ses plumes, façonné ses ailes. Elle n’était que Luzerne, princesse déchue, à la dérive, échappée de Necropolis, rescapée du casino Lovelace, pas une thune en poche, pas une connaissance utile, rien à part ses pieds pour marcher et ses mains pour bâtir, un oeil en trop pour inspecter le passé de ceux qui croisait son regard, un pouvoir si différent de celui de sa mère, si volatile, si fragile. Elle avait souhaité pouvoir voir l’avenir, lorsqu’elle était enfant, peu intéressé par les visions qu’elle avait des gens. Des naissances et des morts et des drames, des mensonges et des cachotteries, rien qui n’intéresse une enfant. Ce n’était plus le cas maintenant.
C’était beaucoup trop utile pour surveiller ses arrières, pour avoir un pas d’avance, beaucoup plus utile que de voir trop loin. Il y avait des choses enfouies à l’intérieur du cerveau des gens, des choses subtiles dans leurs histoires. Elle ne pénétrait pas leur cerveau, comme pouvait le faire sa mère, elle se contentait de voir des films, projetés sur la paupière de son troisième oeil, des bouts, des morceaux. Elle connaissait le visage de la fille du prêtre. Elle connaissait son prénom. Elle connaissait la façon dont elle se suçait les doigts en mangeant des fruits. Elle connaissait les décennies qu’il avait passé à la mener à la vie, comme des flashs qui ne cessaient de lui arriver, la nécessité de la retrouver qui ne cessait de grandir.
Elle ne les aurait pas fait atterrir ici, si ça n’avait été pour cela. Elle n’aurait pas décidé de se poser ici. Elle aurait été plus loin, sur une planète à la même distance de la galaxie de la carte. Elle aurait pu, évidemment, mais elle savait aussi que c’était par ici que les planètes avaient eu le plus de chance de passer avant d'atterrir là-bas, parce que les habitants ne communiquaient pas avec le reste des galaxies, parce que les secrets qui atterrissaient ici n’en repartait pas. Arthur Lovelace était trop obsédé par le contrôle pour avoir laissé la moindre chose au hasard.
« Luzerne ! » avait ronchonné Aulne, ses lunettes repoussé sur le sommet de son crâne. « Tu vas finir par crever le vieux à gambader comme ça !
– Je ne suis pas vieux ! » avait protesté le prêtre. « Je vous ai déjà dit de m’appeler Saint.
– C’est un prénom, ça ? » avait marmonné Saule en la rejoignant d’un pas agile.
« C’est un titre ! »Elle les connaissait bien, les titres, Luzerne, les embrouilles de cour et les villainies pour avoir un mot presque trop joli accolé à son prénom. Elle les avait bien connus, oui, quand elle était gamine, quand elle était Princesse, plutôt que Luz, Princesse, plutôt que Corbeau. C’était un titre à part entière, quelque part, mais c’était un titre qu’elle s’était choisi, quelque chose qu’elle avait adopté, quelque chose qu’elle avait forgé.
« Saint ! » Elle avait grommelé. « Si vous ne vous dépêchez pas, nous n’atteindrons pas le village avant la nuit.
– La nuit ? Mais il fait encore plus jour que lorsque nous avons atterri ! »Elle était trop concentrée sur ses pieds pour regarder le ciel mais, lorsqu’elle avait levé les yeux, elle avait pu constater que la luminosité était un peu trop élevée. La pénombre aurait dû commencer à s’installer depuis un moment, lui avait indiqué sa montre et, au second coup d’oeil, elle avait pu constater que ce n’était pas la seule chose qui clochait.
Au loin, deux soleils surnuméraires brûlaient.
Au loin, une silhouette tombait du ciel et elle était presque sûre que, plus loin derrière la ligne d’horizon, deux ailes immenses se dessinaient.
Quelque chose lui soufflait que c’était trop beau pour être vrai.
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de poussière et d'étoiles
Science FictionFINIE | Quelque part au centre de la galaxie, une énergie palpite. Au-dessus des têtes, le Créateur dort. Au milieu de tout cela, le Casino Lovelace asservit la galaxie. Perchée sur les ruines d'un empire détruit, Corbeau veille.