Il avait les pieds posés sur le tableau de bord. C’était une manie peu appréciable mais dont il n’arrivait pas à se débarrasser – les passages en hypervitesse était pourtant bien plus dangereux dans cette position et il ne comptait plus le nombre de fois où il avait dû faire réparer la mécanique de son mollet à cause de ça. C’était aussi la plus grande source d’exaspération de son associé qui, les mains calées sous les aisselles comme pour se retenir de lui attraper les chevilles, le fixait d’un air réprobateur. Enfin, il supposait qu’il le fixait – Aulne Wolf portait toujours ces fichues lunettes “pour éclipse” qu’il avait acheté dans une friperie vintage sur une des planètes où les humains avaient migré ce qui rendait parfois les choses un peu compliquée – et, dans le doute, il avait haussé les épaules.
Au lieu de le réprimander, Aulne avait soupiré.
« Il y en a encore un. »
S’il ne passait pas sa vie dans ce vaisseau, Saule Fox aurait peut-être demandé « de quoi ? » avec son plus bel air innocent. Malheureusement – ou heureusement, il ne savait pas trop – il vivait à plein temps dans le véhicule spatial qui commençait à franchement se cabosser et il savait parfaitement de quoi il parlait.
« Je pensais que le bouclier avait été réparé ?
– Visiblement pas suffisamment bien. Je pensais que tu avais choisi quelqu’un de compétent, cette fois.
– C’est toi qui a repéré la petite annonce ! »
Ce n’était techniquement pas un mensonge – Saule était de toute façon programmé pour ne pas mentir. Ce n’était pas tout à fait la vérité non plus – mais il n’était pas prêt à l’admettre parce que peut-être, juste peut-être, il ne savait pas très bien pourquoi il avait décidé de tirer au sort quel mécano embarquer sur le vaisseau avec eux.
« Luzerne ! » avait beuglé Aulne avant de sursauter lorsque le bruit métallique des semelles de la mécano avait fait vibrer le sol.
« J’écoute, boss ? » Elle faisait tourner autour de son doigt une clé à molette, l’air beaucoup trop négligent, une trace noirâtre sur le visage et les cheveux en pagaille. Négligé était peut-être un terme trop faible, en réalité, avait-il pensé lorsqu’elle s’était appuyé contre le mur, pas plus concernée par la chose qui se pressait contre le verre du vaisseau.
« Tu devais nous débarrasser de ça ! »
Ça, ce n’était pas très clair, il fallait en convenir, mais l’apparition qui leur faisait coucou à travers la vitre était difficilement qualifiable autrement. C’était un phénomène classique, quelque chose que tous les voyageurs avaient déjà rencontré, transparents, souriants, collants, presque. Dangereux parce qu’ils semblent inoffensifs, parce que lorsqu’ils vous touchent, ils vous aspirent à l’extérieur, repeuplent l’espace des cadavres des moins fortunés.
« Le bouclier antiplasmique est en train de se réinitialiser. » avait soupiré Luzerne en battant le rythme avec sa clé contre le mur. « Cinq. » Elle avait levé un doigt. « Quatre. » Un deuxième. « Trois. Deux. Un. »
La main comme un feu d’artifice alors que le bouclier vrombissait doucement à nouveau, aspirait dans l’espace l’espèce d’enfant fantomatique qui s’était accroché à eux.
« Il aurait pu nous tuer ! » avait pesté Saule en tapotant du pied contre le plastique, un pli agacé entre les yeux.
« Allons bon. » avait répondu Luzerne, quelque chose dans la voix qu’il n’arrivait pas à identifier. « C’était juste un bébé. »
Lorsqu’elle avait disparu dans les entrailles du vaisseau une seconde après, Wolf et Fox s’étaient regardés. Peut-être que pour une fois il y avait quelque chose qu’ils auraient préféré ignorer.
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de poussière et d'étoiles
Ficção CientíficaFINIE | Quelque part au centre de la galaxie, une énergie palpite. Au-dessus des têtes, le Créateur dort. Au milieu de tout cela, le Casino Lovelace asservit la galaxie. Perchée sur les ruines d'un empire détruit, Corbeau veille.