Il y avait une balafre sur la joue de Saule et un noeud dans la gorge d'Aulne. Ce n'était rien de grave. Ils étaient tous abimés, tous un peu flingués, c'était normal, c'était logique, c'était le prix à payer lorsqu'on s'en prenait à l'empire Lovelace, le prix à payer lorsqu'on rendait service à un dragon, le prix à payer lorsqu'on collaborait avec des gens sans rien connaître de leur identité. Il était presque sûr d'avoir lu son CV, pourtant, presque certain, aussi, qu'elle n'avait mentionné nulle part contrôler l'un des plus grands réseaux d'informations des galaxies.
Il y avait une balafre sur la joue de Saule. Les doigts crispés dans le sol, Aulne tentait de se contrôler. Arriver à l'abri avait été simple : c'était Saule qui leur avait indiqué le passage, Saule qui leur avait permis de naviguer entre les étages, charmant et souriant, les yeux brillants malgré la terreur qui tendait sa nuque, Saule qui avait toqué, quatre fois, trois, deux, avant que la bouche d'égout ne s'entrouvre, Saule qui les avait poussé à l'intérieur, Saule qui riait avec un homme, adossé contre un mur, la tête renversée contre la pierre froide du tunnel.
Il lui avait dit qu'il avait vécu des années à Necropolis. Il lui avait parlé, au milieu de la nuit, des fantômes contre le pare-brise et les pieds sur le tableau de bord, sa joue pressée contre son épaule. Il avait parlé de choses et d'autres. Il n'avait jamais mentionné la façon dont il avait survécu. Il avait posé les yeux sur la jambe mécanique de Saule, avait tracé sur regard la table d'opération un peu rouillée qui gisait dans un coin et sur les gants en plastique jetés négligemment sur le dossier d'un fauteuil qui avait vécu de meilleurs jours. Il avait frissoné.
« Tu sais où on est ? » avait demandé Carmine en s'asseyant près de lui, la gangue ignifugée à nouveau sur ses pieds.
« Aucune idée. Tu savais, pour Luzerne ?
– Bien entendu. Je ne savais pas que c'était un secret. Elle a des pouvoirs beaucoup trop utiles pour être ignorés.
– Pardon ?
– Les insectes ? La mécanique ? Je l'ai vue voler. »
Il avait froncé les sourcils, une seconde, avait repensé à toutes les fois où le moteur s'était mis à magiquement fonctionner, à toutes les fois où ils n'avaient pas été forcé de changer des pièces que la logique aurait voulu qu'ils doivent complètement remplacer. Il y avait eu le genou de Saule qui s'était remis en place sans explication après toute une nuit à grincer dans leur cabine, des tas d'autres fois où ils auraient dû s'alarmer mais où ils s'étaient dit qu'elle n'était pas grand chose.
Ils s'étaient fait avoir et peut-être que c'était mérité. Ils s'étaient fait avoir et il peinait à le digérer.
« Elle s'est servie de nous.
– Elle m'a dit que c'était un échange de bons procédés. »
Il avait serré les dents.
« Aulne. » avait appelé Saule, de l'autre côté. « Mettons nous en route. Caz pense que la route est dégagée.
– La route ? Jusqu'où ?
– Jusqu'au bord de Necropolis. Ils nous attendent là-bas. »
Si n'importe qui d'autre lui avait proposé un voyage pareil, Aulne aurait hurlé de rire mais, de l'autre côté de la salle, Saule attendait, la main tendue vers lui. Il n'avait hésité qu'une seconde avant de se lever, qu'une seule seconde avant d'hocher de la tête.
Il n'avait pas d'autre choix que de l'accompagner.
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de poussière et d'étoiles
Ciencia FicciónFINIE | Quelque part au centre de la galaxie, une énergie palpite. Au-dessus des têtes, le Créateur dort. Au milieu de tout cela, le Casino Lovelace asservit la galaxie. Perchée sur les ruines d'un empire détruit, Corbeau veille.