14 ; Je ressens à outrance

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« Ceux qui pensent que l'intelligence a quelque noblesse n'en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n'est qu'une malédiction. »

Martin PAGE

Tina

De toute mon âme, j'espère qu'il me comprendra et qu'il ne tombera pas dans les stéréotypes si souvent croisés. Il faut que je choisisse précautionneusement mes mots, que j'évite de croiser son regard. Toutefois, il semble avoir l'esprit ouvert alors je fonde tous mes espoirs là-dessus.

— Je suis différente, amorcé-je, jouant avec mes doigts.

— Tu possèdes des rayures quelque part ? s'enquiert-il.

Il soulève mon bras à la recherche de stries inscrites sur ma peau. Nerveusement, j'étouffe un rire. Il glisse sa main dans la mienne avec douceur et la presse, me donnant du courage.

— Il me manque une jambe alors, nous serions accordés, ajoute-t-il.

Je le sens tendu, appréhendant probablement cette discussion. À la réflexion, je n'ai pas de raison de lui cacher cet élément. Après tout, il a déjà suffisamment de mal à me déchiffrer comme ça. Lui mentir instaurerait une distance supplémentaire dont nous nous passerions bien.

— Non, il ne s'agit pas d'une dissemblance physique.

Nolan patiente, sans prononcer un traître mot. Le souffle court, il se concentre sur ma personne, à l'affût du moindre son émis de ma part. Finalement, je me lance :

— En réalité, je ne réfléchis pas comme toi.

— Dis que je suis stupide aussi, marmonne-t-il, faisant mine d'être vexé.

Je démens cette information en lui donnant un léger coup dans les côtes. Il s'esclaffe tandis que mon cœur s'emballe à cette idée. Voici la représentation que la majorité possède. Pourtant, c'est bien plus complexe que cela...

— Je ne suis pas plus intelligente que toi, mais je le suis différemment, je tente d'expliquer.

— Je ne vois absolument pas le rapport avec les zèbres, déclare-t-il, désorienté.

Et voilà, je m'emmêle déjà les pinceaux. Entre le vivre et l'expliciter, il existe un grand pas que je peine à franchir. Je dois parvenir à formuler mon côté atypique, sans embrouiller l'Irlandais. Puisque j'ai moi-même du mal à me décrypter, cela promet d'être complexe.

— Pour me définir, il s'agit du meilleur terme. Leurs rayures leur servent à se cacher, ils s'occupent beaucoup de leur progéniture. Son pelage peut se rapporter à une empreinte digitale : nous sommes tous zébrés mais, différemment. Chacun possède sa spécificité tout en ressemblant aux autres membres du troupeau, tu vois ? Plus que tout, ces animaux ne peuvent pas être apprivoisés par les Hommes.

J'énonce chacune de ces spécificités et, comme de coutume, ils trouvent tout leur sens en moi. Je m'identifie facilement à cet équidé : me camoufler dans la masse, tout donner à mon entourage, différente et pourtant si banale, une énigme à déchiffrer. J'incarne tout ceci, rendant ma conception difficile.

— Par contre, je déteste le nom « surdoué », comme si j'étais supérieure aux autres alors que ce n'est pas le cas.

Malgré moi, une grimace de dégoût étire mes traits. Pour la plupart des personnes, être un Haut Potentiel ou HP représente une chance. Posséder cette intelligence devrait nous aider à accomplir de grandes choses. Pourtant, 70% sont en échec scolaire, dont moi. Ils en attendent tous trop de nous alors, quand nous échouons quelque part, nous nous sentons sans valeur. Après tout, nous avions les capacités pour réussir. Du coup, nous devenons seuls responsables de cette défaite.

ZébrésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant