6 Décembre, J-19 avant Noël.

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Alors que je terminais mon service dans quelques minutes, je m'affairais à nettoyer un peu de vaisselle pour éviter le reproche. Trice était déjà partie et j'étais seule avec le patron. Ce soir il fermait, de toute façon je devais partir pour mon premier « cours » de bonnes manières. J'avais reconnecté et remotivé mes troupes dans la nuit, comme on dit « la nuit porte conseil ». Effectivement, maintenant j'étais d'attaque à devenir une descendance parfaite ! J'avais donc pratiquement deux semaines pour devenir une dame de la haute société (mais pas trop non plus, je resterais Léa!) avec des cours de danse, de bonnes manières et des tenues d'un grand couturier. Je devais également en apprendre d'avantage sur cette famille, ce qu'elle défend, ce qu'elle honore, encore plus en détail encore que ce que l'on trouve sur internet.

Je vis une grande voiture noire passer devant la boutique au ralenti et tourner quelques ruelles plus loin. Je pense avoir ma petite idée sur le conducteur. Je regardais l'heure sur la grande horloge murale et je m'enjouais en voyant qu'il ne me restait que quelques minutes de service. Je me dépêchais de finir le lavage de mes dernières tasses et de prendre mes affaires pour partir. Comme à son habitude le patron râla, m'ordonnait de rester pour faire la fermeture, mais je partis sans y faire attention car ce n'est pas à moi de fermer, presque pressée de retrouver Catherine pour mon premier cours..
J'avançais dans la rue entre les passants à la recherche de la berline noire que j'avais vu passer, elle ne devait pas être très très loin. Lorsque je passais devant l'une des petites ruelles en cul de sac, au fond attendait patiemment John, appuyé contre le capot de la voiture, toujours ses lunettes de soleil sur le nez. On aurait pu le confondre de loin à un agent secret et cette pensée me fit sourire.

— Je n'avais pas rêvé, je savais bien que c'était vous. Lançais-je à son attention.
— Je vois que vous avez compris le message, je me suis dis que cette ruelle était pas mal pour éviter que l'on vous voit monter dans cette voiture, détailla-t-il en m'ouvrant la portière arrière.
— Je serais en si grand danger que ça ?
— Si vous saviez les risques qui planent sur vous...lâcha-t-il sur un ton sérieux en fermant la portière.

Cette dernière phrase me laissa sans voix et me glaça le sang. Il l'avait dit avec un tel suspens que j'en eu un frisson dans le dos en y repensant. Il est vrai que je vais devenir une grande héritière si ce n'est la plus grande du pays d'ici quelques semaines, mais ça ne fait pas de moi une cible quand même, quoi que... j'imagine que ma place est convoitée. Je pense que je ne mesure pas la chose en fait.
A travers les vitres tintées, je regardais défiler les paysages. Et dire que je voyais le monde mais qu'eux ignorait qui j'étais encore. Je sens que ce mois de décembre et cette nouvelle vie va totalement m'embarquer dans une aventure inimaginable jusqu'alors.
En arrivant dans la cours de la demeure, je fus toujours autant émerveillé par la beauté de la façade. Je me persuadais que je m'habituerais mais en fait je pense que je serais toujours autant admirative devant cette bâtisse de plusieurs siècles. J'attendis patiemment que John se gare, sorte de la voiture et vienne m'ouvrir la porte. C'était le protocole qu'il m'avait expliqué dans la voiture et il y tenait, enfin Catherine, tenait à ce qu'on l'applique.

— Eléanore, je suis ravie de vous revoir, s'avança Catherine sur le haut des marches pour me faire une bise délicate sans me toucher les joues.

Il valait mieux pour elle d'ailleurs, je sentais encore la crème pâtissière vu que je sortais tout juste du travail. Non mais quelle présentation. Une dame de maison s'avança à côté de moi en me demandant poliment si elle pouvait prendre mon manteau et mon écharpe. Je ne vais vraiment pas m'y faire à tant d'amabilité et de protocole de la haute.

— Je suis désolée pour ma tenue... je sors juste du travail, m'excusai-je en touchant mes cheveux emmêlés par la journée au café.
— Ce n'est rien, nous comprenons. Vous venez, allons prendre le thé avec Monsieur Georges, il nous attends, sourit Catherine.
— Je vous suis, fis-je en lui entamant le pas.
— Mademoiselle Eléanore, je pense qu'il est temps de vous donner une petite leçon de manière, commença-t-elle en agitant son index, Monsieur Georges voudra sûrement que vous lui fassiez une bise amicale comme je vous ai fais à plusieurs reprises, expliqua-t-elle. Le secret est donc que vous ne touchiez pas les joues et que vous soyez délicate.
-D'accord, j'essayerais d'appliquer, répondis-je maladroitement. 

Ça y est, je vais commencer à saluer comme une grande dame ! J'étais toute excitée et à la fois je ne réalisais pas encore ce qui m'arrivait. J'entrais dans le petit salon, adorablement décoré de rouge et de doré. Monsieur Georges jouait aux échecs avec un homme de maison.

— Monsieur, Eléanore est arrivée, annonça Catherine en me désignant.
— Ma petite Eléanore, lança-t-il en faisant tourner son fauteuil. Approche, viens donc me saluer s'il te plait, souris-t-il en m'ouvrant ses bras.

Je jetais un regard à Catherine comme pour m'encourager, j'avançais doucement près de lui avec une démarche peu assurée et je me penchais avec la grâce d'une girafe pour lui faire une bise amicale comme venait de m'apprendre Catherine. Ce fut maladroit, mais plutôt pas mal tout de même et je me consolais comme ça.

— C'est parfait ! S'exclama-t-il. Je vois que Catherine vous a donner votre première leçon de courtoisie !
— C'est exact, souris-je.
— Venez, approchez, allons prendre le thé.
— Avec plaisir, m'enjouai-je.

Une délicieuse odeur de pomme et de cannelle flottait dans l'air réveillant mes papilles. Je m'installais dans le petit canapé au côté de Catherine tandis que Georges s'avançait vers la petite table basse. John était toujours près de la porte ; je posais mon regard sur lui en partant dans mes pensées.

— Alors, Eléanore, racontez-moi votre journée, proposa le maître de la maison.
— Oh, lâchai-je en sortant de mes pensées et en riant nerveusement. J'ai l'impression que je vais raconter ma journée à mon grand-père, sans vouloir vous offusquer bien entendu. Oh mais quelle maladroite je suis, me repris-je en chuchotant, allez Léa ! Il sourit amicalement, ainsi que John également que j'aperçus dans mon champ de vision.
— C'est vrai, je pourrais être votre grand-père, rit-il. Alors racontez-moi votre journée.
— Vous savez, ma journée n'a rien eu de passionnant : j'ai servi des chocolats chauds, des cafés et des cupcakes toute la journée. Tentai-je. En revanche il y a eu ce client, qui passe quatre fois par semaine qui est venu. Il est adorable dans son genre, gentil et aimable avec moi en caisse. Bon par contre, je pense qu'il a un côté un peu... arrogant.

Je sentais le regard lourd du garde du corps sur moi et je n'osais pas regarder dans sa direction. Catherine et Georges m'écoutaient déballer ma journée. Je leur racontais ensuite ma mésaventure à la plonge et mes maladresses qui les faisaient sourire. En ce moment, j'ai la véritable sensation de vivre au jour le jour sans vraiment savoir ce qui m'attend le lendemain. 

— Eléanore, commença Catherine. Je vous annonce que demain nous commencerons les cours de danse.
— De danse, répétai-je en posant ma tasse de thé. Ça se voit que vous ne m'avez jamais vu danser Catherine, on dirait un veau ! La dernière fois que j'ai dansé la macarena j'ai envoyé trois personnes à l'hôpital ! Le garde du corps étouffa un rire dans sa manche faignant de tousser.
— Je suis certaine que vous dansez la valse comme une princesse ! S'empressa d'ajouter Georges.
— Oh, ce genre de danse...
— Oui, pourquoi ? C'est ce « genre » de danse que nous pouvons retrouver lors des galas et des soirées mondaines, précisa la dame. A quoi pensiez-vous ?
— En fait je ne sais pas à vrai dire.

Nous nous sommes tous mis à rire. Je ne tardais pas trop afin d'être en forme pour demain. Autant d'appréhension en si peu de jours, c'est beaucoup. Mon petit cœur ne tiendra jamais à ce rythme là. Cependant je prends de plus en plus confiance auprès de ces gens et j'arrive doucement dans mon élément... Attendons de voir la danse.
Catherine avait insisté pour que John me ramène chez moi. Et moi j'avais insisté pour monter devant prétextant que j'avais des voisins fouineurs et que ça déclencherait une émeute. Puis pour lui indiquer la route ça serait plus facile si j'étais devant. Nous étions en bas de mon loft, et je m'apprêtais à sortir de la voiture quand le garde m'interpella.

— Léa.
— Oui ?
— Tenez, voici ma carte. Me tendit-il. Si vous avez besoin d'un déplacement, vous n'avez cas m'appeler ou m'envoyer un message. Fit-il. Ou même si vous voulez tout simplement parler.
— Je vous remercie . Je vous avoue qu'en ce moment je suis un petit peu perdue, ça va trop vite. Avouai-je en jouant avec la carte dans mes mains.
— Je comprends, mais juste vous devez vous faire confiance, vous allez y arriver j'en suis certain. Je souris. J'attends votre message pour avoir votre numéro.
— Pas d'soucis, Bonne nuit John.
— Bonne nuit Léa, souffla-t-il avant que je n'ouvre la porte.

Je poussais la porte de l'immeuble tout en jetant un dernier regard à la berline noire. Je souris de nouveau et gravit enfin les marches qui menaient à notre loft. Je réfléchis encore et toujours à cette nouvelle vie qui m'attendait. Je regardais de nouveau la carte que le chauffeur m'avait donné : elle était toute simple, blanche avec des écritures noires, aucun dessin juste un nom, un numéro et une signature.

L'héritière de Noël - Avent 2018Où les histoires vivent. Découvrez maintenant