1er Décembre, J-24 avant Noël.

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     La ville commençait à s'habiller de décorations de Noël et des airs musicaux de fêtes résonnaient dans les rues. Nous avions, enfin j'avais décoré la vitrine de notre café d'autocollants de flocons de neiges, de pères noël et de la fausse neige en bombe. Le patron nous avait donné l'ordre de porter des serre-têtes avec des petits chapeaux festifs. Je venais de terminer mon service officiellement. Il est près de dix-sept heures trente. J'étais à bout de nerf et de force : je n'attendais qu'une chose, rentrer chez moi et me caler dans mon canapé avec une bonne série et un bon thé. Bien que j'aime mon métier, c'est mon patron que je déteste et aujourd'hui malheureusement il était présent. A l'instant où je sortais des vestiaires de l'arrière boutique, ma veste d'hiver sur le dos, mon patron m'interpella depuis le comptoir.

— Je peux savoir où tu vas Enora ? gronda-t- il de sa voix rauque.
— C'est Eléanore, et je m'en vais, j'ai fini mon service, répondis-je, rebelle.
— Tu auras terminé quand je l'aurais décidé, reprends ton tablier maintenant ! fit-il en me lançant un plateau entre les mains.
— Mais j'ai fini ma journée, c'est à vous de fermer ce soir ! ripostai-je.
— Tu préfères un licenciement peut-être ? menaça-t-il à quelques centimètres de mon visage.

Sa mauvaise haleine vint me chatouiller mes narines. Chantage. J'ai lâché un soupir à contrecœur, puis j'ai enlevé ma veste et j'ai déposé mon sac à main derrière le comptoir. J'ai pris quelques secondes pour envoyer un message à Will, que je prévienne au moins la seule personne qui peut m'attendre. Il comprendra, j'en suis certaine. Nous ne pouvions pas nous permettre de vivre sans mon travail pour payer les factures.

— Elora, dépêche-toi, la table quinze attend une serveuse ! grogna-t-il.
— C'est Eléanore, bordel, E-léa-no-re, c'est pas compliqué, marmonnai-je encore accroupie derrière le comptoir.

Je pris mon tablier, un des carnets de commande et je me dirigeais vers la fameuse table quinze en changeant radicalement mon humeur : un faux sourire se dessina sur mon visage, et une fausse bonne humeur me gagna. La journée était tellement longue et servir des lattés au chocolat, des cafés allongés ou toutes autres pâtisseries m'épuise à un point. Seulement voilà j'aime voir le sourire que les gens me laissent.

— Qu'est-ce que je vous sers Mesdames ?
— Nous sommes désolées de contribuer à votre journée interminable, s'excusa l'une d'entre elle.
— Ce n'est rien, ne vous en faites pas, souris-je.
— Nous prendrons deux cafés allongés ainsi que des tartelettes au citron.
— C'est noté, je vous rapporte cela dans quelques minutes, continuai-je faussement joyeuse.

Je préparais cette petite commande quand une dame avoisinant la soixantaine, magnifiquement bien coiffée et maquillée entra dans la boutique précédent un homme âgé et visiblement malade dans un fauteuil roulant poussé par, comme qui dirait, un garde du corps, relativement jeune pour le coup.

— Excusez-moi, Mademoiselle, m'interpela-t-elle derrière mon comptoir qui m'obligea à relever les yeux de mon plateau que je préparais.
— Oui, fis-je poliment en souriant.
— Auriez-vous une table accessible pour un fauteuil roulant s'il vous plait ? demanda-t-elle dans un anglais parfait.
— Bien sûr, suivez-moi. Je dépose juste cette commande et je suis à vous.

Je pris mon plateau préparé et me dirigeai vers les dames de la table quinze qui discutaient entre elles de bijoux. Je leur souhaitais un « bon appétit » aimablement avant de retourner auprès de cette dame parfaite.

— Nous avons une table proche de la vitrine qui donne une magnifique vue sur la rue, ou alors nous avons une table un peu en retrait dans la salle, proposai-je en désignant les endroits d'un geste amical de la main. La petite dame se retourna vers l'homme âgé.
— La table de la vitrine sera parfaite, sourit-il.
— Je vous invite à me suivre alors.

J'hésitais encore à dire si l'homme âgé était le mari ou non de la dame ; leur contact n'était pas aussi affectif que le petit couple qui avait l'habitude de venir tous les mercredis après leur cours de danse contemporaine. J'enlevais la chaise en trop autour de la table afin que le fauteuil passe.

— Vous avez raison, la vue sur la rue est magnifique, s'enjoua l'homme.
— Je crois bien que c'est mon endroit favori de la boutique, surtout en cette période de Noël, les décorations sont tellement belles, rêvai-je. Voici la carte.
— Inutile, nous prendrons trois chocolats chauds, fit-il avec un geste de la main.
— Très bien, je vous rapporte ça très vite.

Je repartis en notant la nouvelle commande sur mon petit carnet. Je m'arrêtais à d'autres tables pour ranger des chaises, ramener des tasses ou des assiettes, prendre de nouvelles commandes. Entre temps le patron avait quitté la boutique me lançant que je faisais une énième fermeture. Je revins en salle avec six assiettes sur les bras. Je me déplaçais sur l'air de « Jingles Bells » repris par le groupe The Vamps. Je tentais de mettre en avant le peu de grâce et de légèreté que je possédais. En même temps, une serveuse qu'est-ce que ça peut avoir comme grâce franchement ?

— Et voici pour vous, trois chocolats chauds, m'enjouai-je.
— Merci Mademoiselle, sourit la dame.

Je souris à mon tour et je repartis en direction de nouvelles tables. Je m'afférais au ménage de la boutique pour tenter de gagner quelques minutes après la fermeture entre deux clients.

— Coucou ma puce, lança Kevin en entrant dans la petite boutique.

Je m'arrêtais quelques secondes pour embrasser mon petit ami tout en continuant mes services. Je lui donnais ses cafés allongés habituels qu'il passait prendre pour sa patrouille du soir.

— Tu fais encore la fermeture ?
— A ton avis ? Si je suis encore là... fis-je tout en faisant deux garnitures de tartelettes.
— Faut vraiment que tu fasses quelque chose, tu te fais royalement exploiter !
— Je sais, mais j'ai besoin de mon salaire, et servir les gens ça me plaît, voir leurs sourires, les yeux des enfants qui pétillent en prenant leurs viennoiseries, expliquai-je. Oui bon ça va, on va pas revenir sur ce débat là Kevin, lançai-je voyant son regard accusateur.
— Tu fais beaucoup plus d'heures par rapport au salaire que tu as ! Il pourrait au moins faire l'effort de te payer à l'heure ce....
— Ne dis pas un mot de plus Kev', le coupai-je, s'il te plait. J'ai dis qu'on ne reviendrait pas sur le sujet, j'aurais ma dose avec mon frère en rentrant t'inquiète pas ! soupirai-je en prenant mon plateau pour aller servir une table.

En revenant près de mon petit ami, je décide de prendre quelques minutes pour discuter avec lui, accoudé au comptoir. Il m'explique son programme de la soirée, me disant qu'il ferait le tour de la ville en patrouille avec son collègue et que ça serait très certainement une nuit très calme, sans la moindre animation. Avec un peu de chance ils croiseraient un chat ou un SDF qu'il amènerait dans un centre pour la nuit...

Plus loin, le trio qui venait d'être servit quelques minutes plus tôt, discutait simplement entre eux, sur la petite serveuse.

— Qu'en dites-vous Monsieur Georges ? Nous avons tout de même fait tous les lieux les plus fréquentés de la ville.
— C'est elle. Regardez cette petite, elle respire la joie et la gentillesse, définit-il. Que pensez-vous John ?
— Hum... Je pense que mon avis importe peu, mais ça m'a tout l'air d'être une bonne personne.
— Vous avez raison, votre avis importe peu John, plaisanta la femme.  

L'héritière de Noël - Avent 2018Où les histoires vivent. Découvrez maintenant