◊ Chapitre 13 ◊

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« Avez-vous déjà ressenti l'étrange impression de ne pas appartenir à ce monde ? Ressentez-vous ce sentiment oppressant, cette sensation, vous faisant vous sentir différent des personnes vous entourant ? Je parle de quelque chose de profond que nous pouvons éprouver dans les abysses de nos êtres, d'un vide qui ne peut se combler, d'un manque imperceptible, mais pourtant bien réel. Prenez comme exemple le schéma répétitif de notre jeune vie d'adulte, est-ce que se renouvellent incessant vous intéresse véritablement  ? Se purifier, étudier, obéir puis, pour clôturer la boucle, dormir. Voilà à quoi ressemblait notre existence à tous dans le fond. ». 

Voilà ce que s'acharnait à gribouiller mon cerveau dans mon esprit en cette journée et surtout, après l'intervention des Protecteurs.

Malgré les quelques divertissements que nous avions, notre présence sur Terre était régie par ces limpides activités. Nous n'étions pas maîtres de notre destinée, tels des pantins, nous obéissions bêtement aux règles et étions tués pour nos différences.

Tout le monde devait se ressembler, sans exception, tel un troupeau. Si par malheur, vous veniez à être singulier, vous étiez rejeté, désigné comme le mouton noir au sein d'une confrérie blanche immaculée. Vous étiez le rare envoyé vers le cocon de la Renaissance, vous vous évaporiez comme si de rien était. Nous devions tous penser d'une certaine façon et cela paraissait normal, pour tout le monde.

Mon jugement avait été obscurci par une brume opaque qui ne laissait passer que les idées de notre politique, rien d'autre n'était admis. J'étais le petit mouton noir de notre société, un être à part entière. J'étais l'anomalie, un être déviant qui s'était libéré de ses chaines. Il était soutenu qu'après notre Promotion, à l'arrivée de notre majorité, l'assignation que nous obtenions nous correspondait à la perfection. Que la balance entre nos aptitudes mentales et physiques avait été parfaitement faite. Je ne l'imaginais pas comme ça, du moins je ne le pensais plus. J'étais presque certain que tout était manipulation, contrôle, et cela, depuis l'éclosion.

La Purification et son processus me répugnaient à présent. Le coup de massue que j'avais reçu par la mystérieuse voix m'avait placé dans un état noir, je ne me reconnais pas. Une inédite facette de ma personnalité avait surgi des méandres de mes synapses, comme une seconde naissance, je me redécouvrais.

Le tournant que prenait mon existence changeait radicalement mon point de vue sur la vie, les gens, le gouvernement et cela de façon me semblant irréversible. Les drames, les tragédies, la tristesse et son lot de misère avaient fait éclore quelque chose de nouveau. Je m'étais ouvert au monde qui nous entourait. Je pensais que nous étions libres de nos songes, de nos mouvements et de nos décisions, mais cela s'avérait être une pure illusion. C'était inconcevable de nous faire endurer inconsciemment cela, nous n'étions que de pauvres pions suivant bêtement une vie dérisoire. La question qui me torturait le plus était de savoir si cet éveil que je subissais était rationnel ou non. J'étais peut-être tout simplement déviant. Une anomalie qui ne voyait rien comme tout le monde, qui entendait la voix de sa défunte sœur et qui se réveillait dans la grande Étendue au beau matin, les pieds mouillés par la rosée, comme échappé d'un asile. Après tout, peut-être que vivre dans l'ignorance était le seul moyen pour nous d'être heureux...

Il fallait que je trouve des réponses à mes questions, je ne pouvais pas rester dans le doute et l'incompréhension plus longtemps. C'était le but que je m'étais donné envers et contre tout. Une fois des éclaircissements à ma portée, j'allais enfin pouvoir répondre à cette simple interrogation : étais-je fou ou juste réaliste ?

— Monsieur Rivers ?! résonna subitement la voix grave de Mademoiselle Sulivan, m'arrachant de mes pensées et me ramenant à ma triste existence.

- Les Éveillés - I. La PromotionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant