Chapitre 22

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Nous y étions...

Le jour J nous rattrapa enfin après dix-huit ans d'attente et nous espérait de pied ferme à la cérémonie de ce soir.

Je pensai étrangement qu'à mon réveil ce matin, j'allais me sentir différent, mais ce fut comme d'habitude. Seuls de légers picotements traversèrent de part et d'autre de mon corps : le stress comme on l'appelle plus communément, l'engouement du bouleversement de toute une vie. C'était une sensation que j'avais expérimentée quelques fois durant de grands événements, mais ils n'avaient rien à voir avec celui d'aujourd'hui.

Oui, aujourd'hui « La Promotion » allait changer nos vies à jamais. Il fallait dire au revoir à nos pacifiques Instituts, nos chères familles, notre petit havre de paix. Tout cela allait nous être ôté pour une affectation à laquelle nous allions être obligés de nous plier pour le restant de notre vie.

C'était trop tôt, trop tôt pour tout cela. Je n'étais pas prêt et ne le serais jamais. Pourquoi nous assigner une activité à seulement dix-huit ans ? Une activité où nous devions apprendre les bases pendant les deux mois de repos annuels nous étant retirés, allant à la place dans un complexe hors de la ville. Dans cet espace où nous résiderons en communauté, chaque spécialisation aura des cours pratiques et théoriques séparés des autres. Nous nous retrouverions seulement lors des temps libres et des repas, nous permettant d'échanger à propos de nos ressentis quant aux assignations.

Après cette formation, nous devions déserter le domicile familial. Les « Promus » vivaient dans le cœur de la ville, le Centre, à l'intérieur d'immenses édifices modernes qui marquaient, une fois de plus, ce grand pas vers la vie active. Les appartements nous étaient imposés jusqu'à ce que nous fondions une famille où nous avions le droit de prendre une résidence dans les différents secteurs de la capitale. Ce futur qui m'était tout tracé avait du mal à se frayer un chemin dans ma tête. Je n'allais faire rien de ça, non, ma destinée allait s'avérer tout autre. Plongé dans cette tempête assaillant mon esprit, je ne me connaissais plus. J'avais changé, changé du tout au tout, ces derniers mois avaient fait éclore une racine novatrice dans mon être.

Les effets des Purifications se dissipaient petit à petit de mon corps, je m'attendais à présent à tout. Ma nouvelle perception impactait mes intérêts pour certains domaines, ma vision du monde, mes relations, ma personne toute entière.

Depuis que je les avais arrêtées, je me redécouvrais au fur et mesure du temps, voyais plus clair et avais mes propres opinions sur la vie, les choses qui m'entouraient. Toute cette surveillance, ces caméras flottant dans les rues ou encore la présence perpétuelle des Protecteurs dans la ville m'oppressaient. Je craignais qu'à tout moment, un mal soudain ne s'abatte sur moi.

Nous n'étions pas libres de nos actions, non, on nous faisait croire que le choix dépendait de nous, mais étions observés à chaque instant, contrôlés pour rentrer dans la conformité prescrite par le Fondateur. Nous suivions bêtement et aveuglement des lois, des règles que les dirigeants, eux-mêmes, transgressaient. Je ne voulais plus continuer comme ça, cette prétendue normalité que je devais fournir pour ne pas paraître suspect m'exaspérait. Je n'étais pas infecté, j'étais bel et bien sain d'esprit et je n'avais plus envie de me cacher.

À quoi bon ?

Mes volets s'ouvrirent sous l'impact de main sur la tablette tactile. Bientôt, les doux rayons du soleil vinrent me chatouiller le visage, illuminer la totalité ma chambre. Je soupirai. Ma journée allait être chargée jusqu'au moment tant attendu, pas une seule seconde ne me serait accordée. J'étais effrayé.

En cette matinée, ma pensée était coléreuse, je n'avais aucune envie d'être ce soir. Ma vie, je l'aimais comme elle l'était et je ne voulais pas qu'elle soit changée de quelques façons que ce soit. Nous étions forcés et ça me révoltait. Ce n'était pas à eux de nous dicter nos vies, de nous diriger comme des pantins. Et pourtant, je n'avais pas le choix. Je devais garder mes idées, mes pensées anticonformistes cachées. Malgré cette envie d'exploser, de me libérer et d'affronter mes démons, ma survie se résumait au silence. Si je voulais retrouver Cassie, enquêter et être libre, je devais rester dans l'ombre, enfiler un masque, être un automate rentrant dans les cases.

- Les Éveillés - I. La PromotionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant