- Les Éveillés - I. La Promotion

Chapitre 21

La tension était palpable, omniprésente, lorsque le regard noir du Protecteur se planta dans le nôtre. Dans notre malheur, devant cette scène atroce, un grain de chance s'était tout de même déposé. Les vitres des portes étaient fumées, dessinaient seulement deux maigres silhouettes floues à travers la matière, nous permettant de ne pas révéler nos identités à l'assassin.

— Eh ! Vous  deux ! hurla le soldat de fer de l'autre côté du couloir.

Je pris Leah par la main et la forçai à bouger malgré son état catatonique. Il fallait que l'on parte à tout prix, ce garde désirait tout sauf du bien, au contraire. Il allait sûrement vouloir nous éliminer pour avoir vu son action déshonorante, impardonnable. La politique Euclenienne interdisait formellement de donner la mort à autrui. Toute brutalité, quelle qu'en soit la raison, avait été proscrite, mais ce que nous venions d'apercevoir transgressait les principes fondamentaux de notre société. Ils ne savaient pas que notre esprit était bien clair sur les agissements de nos dirigeants, que la violence était pour nous devenue monnaie courante ces derniers temps. Non, il ne se savait rien de cela et allait s'assurer qu'aucun mot ne sorte de nos bouches.

Je voulais bien admettre que notre politique était corrompue, mais tuer de sang-froid m'horrifiait, était un acte encore trop inconnu. Si ce genre de besogne ne les dérangeait pas le moins du monde, je me demandais à quel point Le Fondateur et ses hommes étaient dangereux, jusqu'où ils étaient prêts à aller dans leurs actions. Ma vision faible en faveur de nos dirigeants avait fini de flancher aujourd'hui, de se briser, fissure après fissure, en des milliers de morceaux.

J'anéantis le boitier biométrique de la porte d'un coup de coude, nous faisant gagner du temps, mais c'était peine perdue. Le monstre de métal allait passer outre, ma dégradation de bien public n'allait pas le retenir éternellement. Le système d'ouverture d'urgence allait éventrer la surface vitrée, la tordre jusqu'à pouvoir laisser sortir notre assaillant.

Notre course était sans relâche dans les longs couloirs de l'établissement, tournant à chaque intersection se présentant devant nos yeux. Mon sang vint se glacer lorsque les pas macabres de l'assassin commencèrent à s'annoncer non loin, gagnant du terrain alors que l'intensité du choc de ses pieds contre le sol ne faisait que d'augmenter. Nous l'entendions, sa voix inhumaine criant de nous arrêter, qu'il n'allait rien nous faire, qu'il devait juste nous poser quelques questions.

Nous n'étions pas dupes, savions pertinemment que tout n'était que foutaises et qu'il ne voulait qu'une seule chose : effacer toutes preuves de son acte, éteindre nos mémoires à jamais. Voilà comment j'imaginais le pire scénario. Dans d'autres situations, il pourrait nous arracher nos souvenirs de l'évènement grâce au même outil utilisé par Joy. C'était tout à fait plausible, mais, au vu de sa cruauté, je n'y croyais qu'à moitié. Nous ne pouvions-nous permettre de nous faire attraper dans les griffes ce cette abomination. Non seulement le garde était doté d'aptitudes physiques dépassant largement les nôtres, mais, en plus de cela, était muni de calibre effroyable. Les clapotis incessants de l'arme meurtrière sur la carapace accompagnaient le mouvement de ses jambes lourdes, nous terrifiant plus encore.

— Ambrose, je n'en peux plus... On peut faire une pause s'il te plaît, demanda Leah le souffle saccadé.

Malgré sa guérison miraculeuse, je pouvais voir certains signes de faiblesses se présentant en guise d'effets secondaires.

— Oui. De toute manière, toutes les issues sont fermées, tourne à droite, maintenant ! ordonnai-je sans lui laisser le temps de répondre.

Nous débouchions devant la Division du Souvenir où la porte aux lions de cristal nous invitait à rentrer. Nous n'avions pas d'autres choix que d'y aller, c'était le seul moyen pour accéder à un endroit sûr où nous pouvions trouver refuge dans la densité d'ouvrage.