||Eighteen||

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Clic. Ma mère avait raccroché. Purée ! Mon monde venait de s'écrouler pour de bon.

La sempiternelle question revenait : qu'avais-je fait au bon Dieu pour mériter cette vie mouvementée ? Tout ce que je désirais en venant au Rendez-Vous d'Ibrahima, c'était rompre avec lui de manière courtoise afin de nous quitter en de bons termes, et enfin m'investir à fond dans ma relation avec Salem. Bon sang, je ne souhaitais qu'un Happy Ending. Était-ce trop demander ? Ma rancune amère n'avait pas pour cible Ibrahima. En effet, je comprenais la frustration et la déception d'Ibou, même si je n' adhérais pas à sa façon de les faire évacuer. Non, je n'en voulais pas à Ibrahima, l'objet de mes tourments était bel et bien Ismaël, ce connard en face de moi qui n'en avait cure de m'octroyer que des peines et de faire de ma vie un enfer. Avez-vous déjà sérieusement ressenti l'envie de tuer quelqu'un ? Ce brûlant désir d'abréger la vie de quelqu'un ? C'était exactement ce que je ressentais à ce moment précis : en finir une bonne fois pour toute avec Ismaël.

_Moi : Tu peux être fier de toi ! Ibrahima n'a pas perdu de temps pour appeler ma mère, et tout cela est de ta faute. Mais ne crie pas aussitôt victoire : même si je ne suis avec aucun des deux, je ne me remettrai jamais avec toi. Même si tu étais le dernier homme sur terre ! N'y pense absolument pas. Je préfère être seule que mal accompagnée.

Je lui avais parlé d'un ton étrangement calme, en prenant soin de bien détacher mes mots. Ma haine et mon mépris envers lui étaient à leur paroxysme.

_Ismael : Bah tant pis alors ! Tu risques de mourir vieille fille alors. Sarah, seuls deux choix s'offrent à toi : Moi, ou personne.

Cet homme était devenu fou à lier. Comment avais-je pu rester aussi longtemps avec lui ? Ma foi ! De nos jours, les fous ne sont plus internés dans les hôpitaux psychiatriques, ils vivent libres parmi nous, au sein de notre civilisation à l'esprit sain.

_Moi : Tu veux que je te dise ? Je ne t'aime pas. D'ailleurs je ne t'ai jamais aimé. Je restais avec toi juste pour respecter le « politiquement correct » que notre société nous impose : avoir un copain qui deviendrait éventuellement mon futur mari et donc, père de mes enfants. Toi non plus tu ne m'aimes pas, tu es juste obsédé par moi et par ton orgueil mal placé d'homme rejeté. Mais vois-tu, ce qui est rare et précieux, c'est le vrai amour que je vis avec Salem. Et cela, ni toi, ni Ibrahima ne pourrez nous l'enlever. Nous nous aimons inconditionnellement. Et j'ai pitié de toi Ismaël parce que jamais au grand jamais, tu ne connaitras ce sentiment, car tu es tout simplement dépourvu d'un cœur. Tu n'es pas humain, tu es un monstre.

Sur ces mots, je me détournai de lui et me jetai dans le premier taxi qui se présenta devant moi, sans même chercher à négocier le prix du transport. Je luttai contre la profusion de mes larmes. Non je n'avais pas envie de me déshydrater à force de pleurer. Non je n'allais plus continuer à verser des larmes à chaque échec cuisant et à la moindre humiliation reçue. La vie était faite ainsi : dure comme un roc, et aussi cruelle que cynique. Je ne lui octroierai guère le plaisir de me voir brisée en mille morceaux.

Les mémorables vers de William Henley me vinrent soudainement à l'esprit :

Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu'on m'accuse et qu'on me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Le capitaine de mon âme.

Dorénavant, je ne laisserai plus jamais personne guider mes choix, et encore moins prendre des décisions à ma place. Ce sera à moi, rien que moi, et uniquement moi, de tenir le guidon de ma vie. Je me proclamerai fermement « le maitre de mon destin » et le « capitaine de mon âme », et cela envers et contre tous, quitte à me liguer contre ma propre mère.

Fidèle à ses mots, ma mère m'attendait de pied ferme à la maison. Elle avait une mine austère et les lèvres pincées. Madre de Dios ! Avait-on insufflé une parcelle de l'âme de Margaret Thatcher dans celle de ma mère ? Me demandais-je en mon for intérieur.

_Ma mère : Je n'ai qu'une seule chose à te dire : arrête de fricoter avec ce garçon. Je veux que cette relation cesse dès maintenant. Je ne veux plus que tu fréquentes Salem. C'est tout ce que j'ai à te dire. Ah, juste une dernière chose : Sarah, je n'ai jamais été autant déçue de toute ma vie, et je n'aurai jamais cru que ce serait toi mon ainée, l'origine de cette désillusion.

_Moi : Mais Maman tu es injuste ! Au nom de quoi m'interdis-tu de fréquenter Salem ? Tu n'as absolument aucune raison. Il est de bonne famille, donc très fréquentable, et instruit, et par-dessus-tout ambitieux. Où est le problème ? Je suis plus âgée que lui d'à peine un an. Et alors ? L'amour n'a pas d'âge !!!!

_Ma mère : L'amour n'a pas d'âge, dis-tu ? C'est surement un pédophile qui a créé cette maxime. Sarah, nous ne sommes pas des toubabs. Nous sommes des Africains, dans notre culture, nous ne sommes pas familiers avec le fait de laisser nos filles se marier à des garçons. Nous préférons plutôt donner leur main à des hommes. Salem est juste une autre réplique d'Ismaël : un autre jeune garçon. Tu es bête ou tu fais exprès ? Ibrahima est l'homme parfait pour toi. Et à cause de tes enfantillages, tu as réussi à le faire fuir. Il était le gendre idéal pour moi. Tu n'es qu'une sale égoïste bornée par des idéologies modernes de toubabs.

_Moi : Non Maman, c'est toi l'égoïste ici ! Tu as déjà fait ta vie. Laisse-moi faire la mienne maintenant, quitte à commettre mes propres erreurs. Je ne compte pas calquer ma vie comme un dessin sur la tienne. J'ai bien l'intention de la construire à ma manière, que ça te plaise ou non.

Clac. Une claque retentissante de ma mère. Je tressaillis de douleur. Cela faisait plus d'une décennie que ma mère n'avait plus levé la main sur moi, depuis mes bêtises d'adolescente rebelle. Cette gifle faisait affreusement mal. Elle avait des mains d'acier, la vieille !

_Ma mère : Sur ce coup-ci Sarah, je ne compte pas te couvrir. Au moindre faux pas, au moindre indice qui me fera croire que tu persistes à revoir Salem, j'en toucherai un mot à ton père. En attendant, ton horloge biologique continue de tourner ma chère. Vas-y dé, ne te gêne pas, continue à faire ta gamine en chassant tous les bons partis et en t'entêtant dans ta poursuite de l'amour : tu finiras vieille fille édentée, et sans enfant. Et là, ta douleur sera vive et profonde. Ne compte pas sur moi pour essuyer tes larmes amères, à ce moment-là.

Sur ces remarques acerbes, ma mère venait de sonner le glas de notre discussion.
Je venais de perdre celle qui m'avait toujours soutenue dans toutes mes batailles. Ma mère venait de me laisser tomber au moment le plus crucial de ma vie, au carrefour du dénouement de l'intrigue de ma vie. Comment pourrai-je gagner ce combat sans elle ? Force est de reconnaitre que mes chances de l'emporter étaient dores et déjà infimes. Mon combat était hélas perdu d'avance. Mais Salem était tout simplement mon oxygéne. Comment étais-je censée vivre sans air ?

Tell me how I'm supposed to breathe with no air. Can't live, can't breathe with no air, that's how I feel whenever Salem ain't there.

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TOME 1 : Entre désillusions et trahisons, notre amour survivra-t-il ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant