||Fifty three||

227 17 1
                                    

6 mois plus tard......Décembre 2009 :

Salem et moi sortions de nouveau ensemble depuis près de six mois et tout allait comme sur des roulettes. Monsieur n'avait rien changé à ses habitudes : il continuait à venir me chercher au boulot tous les jours de la semaine pour me déposer chez moi. On mangeait ensemble durant nos moments de pause, sans compter les week-ends que l'on passait ensemble le plus souvent. Bref, nous avions notre petite routine de couple qui berçait notre amour toujours aussi passionné qu'au premier jour. Salem était même devenu proche de Leila Sadiya et de Nabiha, allant même jusqu'à devenir l'ami d'Abdou (le copain de Nabiha). Au début, j'étais un peu réticente à l'idée de l'intégrer dans notre petit cercle d'amis, par égard pour Leila qui était tombée amoureuse de lui. Mais depuis peu, j'ai remarqué qu'elle était très à l'aise avec lui, et semblait avoir clos ce chapitre. Tant mieux !

Nabiha devait célébrer son mariage avec Abdou le samedi 26 décembre. Les préparatifs du mariage allaient bon train et nous prenaient tout notre temps, surtout que Leila, Sokhna et moi étions supposées être les demoiselles d'honneur. Nous avions eu vraiment du mal à tomber d'accord sur le modèle de robes que nous devions mettre, puisque nous avions toutes les trois des styles et des goûts différents en matière vestimentaire. Ce qui était, par conséquent, gênant dans la mesure où le modèle de nos robes devait vaille que vaille concorder. Leila voulait un modèle classique (une vraie mémé celle-là !) tandis que Sokhna souhaitait un modèle frou frou traditionnel (une vraie bledarde !). Quant à moi, je préférais plutôt un modèle alliant la simplicité et la modernité. Finalement, mon choix l'emporta puisque Nabiha et sa maman tranchèrent en ma faveur.

Les jours défilaient à vive allure comme pour nous narguer, et très vite, le jour-J arriva. Nabiha était super anxieuse et craignait qu'il y ait d'énormes failles dans l'organisation du mariage. Mais elle s'était faite un sang d'encre pour rien : tout s'était très bien passé dans l'ensemble. Ce ne sont pas les Guewel (griots) qui diront le contraire en tout cas. Moi, tout ce qui m'intéressait, c'était le bon déroulement de la réception. La journée était plutôt dédiée aux adultes, et comme ils ne viendraient pas à la réception, on pourrait donc s'éclater comme des fous, entre jeunes. Mon Salem était aussi de la partie. Il était juste magnifique dans son smoking noir. Je l'observais de loin, mais comme d'habitude, il avait senti mon regard sur lui : ç'en était alors suivi d'un long regard électrique entre nous. J'ai dû faire appel à toute ma force mentale pour ne pas aller le rejoindre à l'emplacement réservé aux invités et l'embrasser fougueusement.

Une table royale était dressée au fin fond de la grande salle qu'on avait louée. Les mariés y étaient assis, ainsi que nous autres demoiselles d'honneur et amis proches. En gros, la cérémonie avait été une vraie réussite. Nous avions même versé quelques larmes de joie, et de mélancolie : il faut souligner que nous trainions ensemble toutes les trois depuis le collège. Avant leur départ en Lune de miel le soir même pour la petite côte, Leila et moi avions aidé Nabiha à enlever son chignon encombrant. Heureusement que nous lui avions déjà préparé avec soin une valisette contenant quelques habits et effets, sans oublier une foultitude de nuisettes aguichantes que nous y avions fourrées. Nous étions donc en train de nous démener pour enlever son chignon en conversant, pendant qu'Abdou trépignait d'impatience :

_Moi : Tu as vu comme ton mari a l'air empressé de partir ? Je te plains, ma vieille.

_Leila : Aah ça ! Pas de doutes là-dessus. La nuit va être longue ma chérie.

Nabiha nous ignorait royalement. Elles avaient les lèvres pincées, comme à chaque fois qu'elle était contrariée. Mais je ne m'en préoccupais nullement, il fallait que je la titille jusqu'à la dernière minute. Ah ! Que ne puis-je me transformer en une mouche pour me retrouver dans leur chambre d'hôtel et assister à cette nuit fatidique ! Je surenchéris en ces termes :

_Moi : Tu auras beau crier, le griffer, le gifler...Personne ne viendra à ta rescousse. Toutes les filles passent par-là, leur première nuit. Tu n'as pas le choix.

_Leila : Si ça se trouve, les mariées en font tout un plat. Je ne pense pas que la première fois soit si horrible que ça, quand même. Tu nous raconteras tout dans les moindres détails, hein Nabih ? Et ne t'inquiète pas, Abdou a l'air doux. Fin', je l'espère en tout cas pour toi.

_Moi : Ce n'est pas grave. On te massera avec du beurre de karité, quand tu reviendras. Ta mère te fera surement de la bouillie aussi.

_Nabiha : Vous pouvez vous taire une minute ? Au lieu de me rassurer, vous êtes là à me stresser. Continuez à jacasser comme des poules dans une basse-cour. Je risque de ne rien vous raconter, à mon retour. Et puis, de toute façon, il y a une première fois à tout. Après, je pourrais m'y adonner à loisir, selon mes envies pendant que vous autres, resterez abstinentes toute votre vie, espèces de vieilles filles ! Allez-vous dégoter des maris au lieu de m'embêter.

Nous avions continué à papoter jusqu'à qu'on en finisse avec la préparation de Nabiha, et qu'Abdou vienne la chercher. Les derniers invités commençaient d'ailleurs à prendre congé, par petits groupes. Salem se fraya un chemin, et vint enfin me rejoindre. Je n'avais pas eu l'occasion de trop lui parler ce jour-là, étant occupée à gérer la bonne tenue de la réception. Un large sourire fendit mes lèvres dès que je le vis. Après tout ce temps, il me faisait toujours le même effet. Il fit la bise à Leila, et se contenta de m'embrasser sur le front en me faisant un petit clin d'œil qui signifiait « Je meurs d'envie de t'embrasser sur les lèvres, là maintenant, mais je ne peux pas ».

_Moi : T'étais passé où ?

Depuis mon règlement de compte avec Madjiguéne au téléphone, j'étais devenue assez suspicieuse. Mais force est de reconnaitre que je n'avais plus trop de raisons de m'inquiéter, puisqu'elle ne l'avait plus appelé depuis la dernière fois. De plus, Salem avait décidé de son plein gré d'arrêter de participer à leurs réunions de Jeunes Leaders Africains. Je savais pertinemment qu'il l'avait fait pour moi, afin d'apaiser mes craintes.

_Salem : J'étais là pourtant. Je suis juste sorti un moment, pour prendre de l'air. T'as fini ? On y va ? Leila, tu veux qu'on te dépose ?

_Leila : Non merci, les amoureux. Mon chéri va venir me chercher dans pas longtemps. Sarah, vas-y. Il n'y a plus grand-chose à faire de toute manière.

Salem et moi avions donc rejoint tranquillement sa voiture, main dans la main. Quelques personnes nous dévisageaient ouvertement. J'y étais dorénavant habituée : pour je ne sais quelle raison, notre couple attirait beaucoup les regards.
Salem avait l'air préoccupé et était resté bizarrement silencieux durant tout le trajet. J'ai donc respecté son silence, me disant qu'il avait peut-être des soucis au boulot. Ce n'est qu'une fois arrivés à notre lieu de destination qu'il daigna enfin éclaircir ma lanterne :

_Salem : Sarah, il faut qu'on parle sérieusement une bonne fois pour toutes.

A ces mots, mon cœur a fait des soubresauts dans ma poitrine. Que se passait-il encore ? Je savais bien que ces six mois de bonheur parfait étaient trop beaux pour être vrais. Je savais que tôt ou tard quelque chose allait finir par clocher.

_Moi : Que y a-t-il ?

_Salem : Sarah, on ne peut pas continuer ainsi, à nous voir que dehors, ou chez moi. Ma mère sait que nous sommes ensemble, ma sœur aussi. Mais la tienne reste toujours aussi réticente. Je ne suis pas dupe. Je sais qu'elle n'approuve pas notre idylle, raison pour laquelle tu évites au max qu'on se voit chez toi. J'ai dépassé l'âge des amourettes. Alors, STP parle-lui sérieusement, ou laisse-moi lui parler. Choisis un des deux. Mais il est hors de question qu'on continue dans cette lancée. Nous ne faisons rien de mal. Je t'aime, tu m'aimes. Où est le problème ?

Je m'attendais à ça. Je l'avais senti frustré depuis quelque temps par la réticence de ma mère, à son égard. Et je le comprenais parfaitement. Sa maman à lui savait que j'étais plus âgée que son fils, et ça ne la dérangeait aucunement, elle m'accueillait toujours avec le sourire et me taquinait même souvent au sujet d'un mariage potentiel. Ma mère, quant à elle, était tellement vieux jeu : elle ne concevait tout simplement pas le fait que sa fille veuille faire sa vie avec un homme moins âgé qu'elle. Le pire, c'est qu'elle-même clamait haut et fort qu'elle ne reprochait rien à Salem, hormis son « jeune » âge. Bref, Salem avait raison. Je me devais de régler cette situation au plus vite.

_Moi : Ne t'en fais pas. Je vais lui parler.

_Salem : Hé, je suis sérieux. Parle-lui, ce soir ou demain au plus tard. Je veux qu'on soit fixés pour de bon.

_Moi : Ne me fixe pas d'ultimatum. Je t'ai dit que je lui parlerai, donc je lui parlerai. Au revoir.

Je pris mon sac en boudant comme une fillette. D'habitude, il cédait toujours quand je faisais mes caprices, mais ce-jour-là, il m'avait à peine accordé un regard. Ça sautait vraiment à l'œil que ce sujet lui tenait à cœur.

_Salem : Au revoir, mon amour.

Il avait le visage renfrogné et dur, mais ses yeux trahissaient toute la tendresse qu'il éprouvait pour ma personne. C'était juste trop mignon. Je lui souris, et résigné, il me sourit en retour en pressant ses lèvres contre les miennes. Je pus enfin sortir de la voiture, l'esprit léger.
________________________________________________

Le lendemain dimanche :

J'avais passé toute la nuit à me tourner et me retourner dans mon lit, l'âme tourmentée. Je n'arrêtais pas de me répéter dans ma tête, telle une incantation, une série d'arguments plausibles en faveur de ma relation avec Salem, que je pourrai sortir pour convaincre la tête de mule qui me servait de mère. Ce n'est que vers l'aube que je succombais enfin au sommeil. A mon réveil, après avoir pris ma douche, et pris un copieux petit-déjeuner digne d'un dimanche matin, je pris mon courage à deux mains, et partis toquer à la porte du « bureau » de mon père. En effet, ce dernier avait une chambrette dans la maison, qui lui faisait office de petit bureau pour travailler. Ma décision était purement réfléchie : pour gagner ce bras de fer contre ma mère, je devais me trouver un allié, comme dans toute guerre. Si Malick restait le petit dernier chouchouté par sa mère, il n'en demeurait pas moins que j'étais la fille à son papa. Mon père, pouvait tout me laisser passer, à condition que je défende mon cas. Je restais confiante là-dessus, en espérant de toutes mes forces que mon intuition ne me trompe pas.

_Moi : Papa, je dérange ?

Il avait ses lunettes affaissées sur son nez. Notre ressemblance hors du commun me frappa encore de plein fouet. Il me sourit gentiment, en posant sur la table de bureau le dossier volumineux qu'il tenait en main.

_Papa : Non, ma fille. Que y a-t-il ? Tu viens encore me grappiller des sous ?

_Moi : lol nan pas cette fois-ci. Je voudrais juste te parler de quelque chose qui me tient à cœur.

Son visage se rembrunit d'un coup. S'il y avait un homme sur terre qui détestait littéralement les prises de têtes, et les échanges houleux, c'était bien mon père. D'ailleurs, il parlait très peu. En ce sens, je l'admirais beaucoup, même si parfois j'aurai bien aimé qu'il soit plus expressif.

_Papa : Sarah Yamina, kodoum woni ? Diodo. (Que y a-t-il ? Assieds-toi).

Je me suis assise sur la chaise qu'il ma indiquée en triturant mes mains, afin de me donner une certaine contenance. Il valait mieux que je sorte le tout d'une traite :

_Moi : Voilà Papa : en fait, j'aime quelqu'un et nous sommes ensemble depuis quelque temps. Il est sérieux, instruit, a un travail stable et est musulman pratiquant par-dessus tout. Mais le hic, c'est que Maman ne veut pas de lui.

Je ne pouvais m'empêcher de bouger dans tous les sens en parlant et gesticulant, puisque c'était la première fois que j'avais ce genre de conversation avec le daron.

_Papa : Sarah, je t'arrête de suite. S'il s'agit d'Ismaël, je suis tout à fait d'accord avec ta mère. Il est hors de question que tu fréquentes ce garçon. Il est un mythomane doublé d'un petit con.

_Moi : Mais non, Papounet. Il s'agit d'un autre. Tu le connais d'ailleurs.

_Papa : C'est qui ? J'espère que tu n'es pas allée te dégoter un de ces jeunes rastamans du quartier qui boivent et qui fument du chanvre indien. Je comprendrai alors la désapprobation de ta mère.

_Moi : Mais noooon !!! C'est Salem, le fils de Tata Ndéye Fama.

Mon père observa un petit silence qui me parut durer des siècles, puis me dit enfin :

_Papa : Le petit Salem ? Ah oui ? C'est bien ça ! C'est un brave jeune homme, très brillant dans ses études de surcroit. Il aide beaucoup son père dans leur entreprise familiale. Je l'aime bien, lui. Mais où est le problème ? Qu'est-ce que ta mère lui reproche au juste ? En plus, son père est mon ami.

Encouragée par sa réaction, je lui dis :

_Moi : Oui, Salem est un jeune homme très sérieux. Mais je suis plus âgée que lui d'un an. C'est pourquoi Maman n'approuve pas le fait que je le fréquente. Je voudrais que tu m'aides à la convaincre qu'il n'y a rien de mal à ça. Nous nous aimons, et nous sommes dans une relation sérieuse.

_Papa : C'est quoi encore, ces sottises ? Vraiment ta mère se croit toujours au Fouta. Où est ce qu'elle va chercher ses idées ? Va me la chercher !

Galvanisée par notre conversation, je partis prestement chercher ma chère mère dans sa chambre, en souriant intérieurement. Décidément, les choses se présentaient beaucoup mieux que je ne le pressentais. Je fis irruption dans sa chambre sans toquer. Elle était allongée sur son lit, en train de suivre une rediffusion d'une série hindoue.

_Moi : Maman, Papa te fait appeler. Il veut te parler.

Elle se redressa vivement du lit, enfila ses sandales et partit à sa rencontre. La vielle génération était vraiment bien formatée : elle allait répondre à son mari en plein milieu de séance télé sans broncher. Je ne suis pas du tout sûre d'avoir son abnégation lorsque je me marierai. Je la suivis, et on pénétra ensemble dans le bureau. A peine ma mère eut-elle le temps de s'asseoir que mon père l'attaqua verbalement :

_Papa : Femme, j'ai entendu dire que tu fatiguais ma fille ainée avec tes vieux principes de Haal pulaar. Je veux que tu la laisses tranquille vivre sa relation avec le petit Salem. C'est un gentil garçon. Tu n'as absolument rien à lui reprocher. Où est ce que c'est écrit qu'une relation où la femme est plus âgée que l'homme est considérée comme maudite ? N'es-tu pas musulmane ? Ton prophète n'était-il pas moins âgé que sa 1ere femme de plus d'une dizaine d'années ? Laisse ces jeunes vivre en paix. Tant qu'ils n'outrepassent aucune règle de bonne conduite, je ne vois pas où en est le mal.

Ma mère me foudroyait du regard. Elle était toute penaude, et évitait le regard de mon père. Elle était la parfaite femme exemplaire, qui ne répondait jamais en retour lorsque son mari haussait le ton. Elle se contentait juste de hocher la tête. J'évitais soigneusement son regard. Mon père termina son speech ainsi :

_Papa : Voilà qui est dit ! Quant à toi Sarah, tenez-vous bien Salem et toi. Pas de bêtises, hein. On vous a à l'œil. Bon laissez-moi tranquille maintenant, j'ai des choses à finir.

J'attendis que ma mère sorte d'abord de la pièce pour faire pareil. Une fois dans ma chambre, je pus enfin pousser le hurlement de joie que je retenais. Sarah et Salem 1-La madre 0 lol

TOME 1 : Entre désillusions et trahisons, notre amour survivra-t-il ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant