||Fifty||

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Salem s'est approché de moi, en souriant toujours, et en penchant la tête d'un air triomphant. J'adorais le voir ainsi, tout sourire, car cela me rappelait nos moments de complicité d'antan, quand on était encore Sarah et Salem. Actuellement, nous étions seulement deux ex disposés à se retrouver en tête à tête, après un fort long moment. Je n'étais vraiment pas prête à retourner avec lui. D'accord, je l'avais « trompé » (dans ma tête, c'est Ibou que j'ai trompé, pas lui. Mais c'est du pareil au même, vous me direz), mais son comportement m'avait énormément blessée.

Salem me fit délicatement la bise. Un parfum mâle sentant divinement bon a aussitôt chatouillé mon odorat, et je me suis faite violence pour ne pas m'accrocher désespérément à sa veste, et me réfugier dans ses bras qui me manquaient tant. Je remarquais au passage que ses lèvres pulpeuses étaient toujours aussi rougeâtres. Je ne pus m'empêcher de me demander si elles avaient toujours ce goût sucré qui me faisait perdre tous mes moyens. Pfff, que raconte-je ? Je suis sûre que cette Madjiguéne, qui me faisait penser à une horrible mante religieuse, a dû récurer tout le goût sucré de ses lèvres. Rien qu'à l'imaginer embrasser Salem, j'avais juste envie de sauter du haut de la falaise de Bandiagara. Salem me tira de mes pensées :

_Salem : Alors, comme ça, t'allais te terrer dans ton bureau sans manger ? Ça ne va pas la tête ? En plus, t'as tellement maigri ! Tu dois reprendre des forces.

J'avais juste envie de lui répliquer un cinglant « A qui la faute ? ». De toute façon, j'ignorais comment je pourrais avaler quoi que ce soit, puisque sa seule présence à mes côtés suffisait à me nouer l'estomac.

_Moi : Je n'ai pas super faim. C'est tout.

D'un geste, il m'invita à rentrer et m'installer dans sa voiture, ce que je fis sans broncher. Le silence dans la voiture commençait à devenir pesant : je n'entendais plus que les battements affolés de mon pauvre cœur, cognant rudement dans ma poitrine.
A chaque fois qu'on devait s'arrêter à cause de l'embouteillage infernal, Monsieur me ressortait le même manège que l'été précédent : il en profitait pour me jeter des regards soutenus. J'essayais au mieux d'éviter son regard, mais en vain. Lassée par ce petit jeu, je brisais enfin la glace :

_Moi : Tu peux arrêter de me regarder, STP ?

_Salem : Ne me demande pas l'impossible. Allez descends, on y est.

Notre halte était en fait un petit restaurant à l'allure coquette et servant de la cuisine traditionnelle. Comme mon ventre ne criait guère famine, je me suis contentée d'un cocktail léger que j'ai siroté en silence. Quant à Salem, il s'empiffrait d'un mets local. Repu, il a délaissé son plat et s'est remis à scruter toutes les moindres parcelles de mon visage. On aurait dit un peintre qui essayait de se concentrer pour mémoriser les traits de son chef d'œuvre en devenir. Au moment où je m'y attendais le moins, il m'a pris la main et m'a dit d'une voix susurrante (sûrement pour mieux m'amadouer) :

_Salem : Pourrais-tu, juste pour une seconde mettre ton orgueil de côté, et admettre qu'on a eu tort tous les deux dans cette histoire, et enfin passer à autre chose ?

Je ne savais pas quoi lui répondre, j'avais du mal à me concentrer : ses caresses sur ma main avaient rendu mon esprit embrumé. Mon Dieu, puisse-t-il ne jamais s'arrêter !

_Moi : Je reconnais que j'ai eu largement tort. Jamais je n'aurai dû sortir avec deux mecs en même temps. J'ai dérogé à mes principes, et je n'en suis pas fière du tout. Mais nul n'est infaillible. Tu aurais pu me comprendre, mais non, tu as préféré pas seulement rompre, mais aussi me rayer de ta vie, comme une vulgaire chaussette.

_Salem : D'accord, je te le concède. Je n'y suis pas allé de main molle. Je suis rancunier, c'est mon plus grand défaut. Mais tu ne peux pas me condamner pour une erreur que ton infidélité a provoquée. Ce serait injuste, Sarah.

_Moi : La vie est injuste, mon petit.

_Salem (vexé, d'un coup) : Quoi ?? Ne me dis pas que tu vas encore me ressortir ton excuse bidon genre t'es plus âgée que moi ? Nous sommes au 21e siècle, STP. Reviens sur terre. La question de l'âge dans un couple ne fait même plus débat, pour te dire. Bref, ne me traite plus de « petit », je ne suis pas ton pote.

J'avais subitement envie d'éclater de rire, mais je me suis retenue. Je sais que si je cédais à mon envie, il risquait d'entrer dans une rage folle. J'ignore pourquoi la question de l'âge le faisait toujours sortir de ses gonds, au point de rougir de colère.

_Salem : Remettons nous ensemble, veux-tu ? Laissons cette histoire derrière nous, et repartons sur des bases claires. Je parlerai à ta mère, et je lui dirai que mes intentions sont louables. J'essaierai de gagner sa confiance pour lui prouver que mon âge ne définit ni ma maturité, ni ma personnalité. Je ferai ce que tu veux Sarah, mais STP ne tourne pas le dos à notre amour. C'est un genre d'amour qui ne se rencontre pas souvent dans le cours d'une vie.

J'avais juste envie de me boucher les oreilles, car au fond de moi, je savais que ces mots étaient empreints de sens et de vérité. J'étais aussi pleinement consciente du fait que je n'aimerai plus jamais quelqu'un comme j'ai aimé Salem. C'est une sorte d'intime conviction qu'on peut ressentir jusqu'aux tréfonds de son être. Mais je n'étais juste pas prête à tourner définitivement la page de cette histoire. J'avais encore à la bouche le goût cuisant de mes pleurs et longues nuits d'insomnie à Toulouse, dûs à la rancune et l'intolérance de Monsieur. Il n'a pas voulu me pardonner à l'époque, pourquoi devrais-je le faire à mon tour, là maintenant ? Mon esprit me disait explicitement de refuser fermement tandis que mon satané cœur me criait haut et fort de l'écouter en cédant. C'est donc avec la mort dans l'âme, que je retirais enfin ma main de la sienne et lui dis d'un air résolu :

_Moi : Je suis désolée, mais je ne peux juste pas Salem. Ce jour-là, dans ta chambre, tu m'as jetée, humiliée. Je ne suis pas une vulgaire poupée que tu peux rejeter et reprendre à ta guise, comme bon te semble. Je ne veux pas retourner avec toi. D'ailleurs, j'ai quelque chose pour toi.

J'ouvris mon sac et y pris mes fameuses « reliques » qui m'avaient tant aidée à surmonter notre séparation. Il était grand temps de m'en séparer pour de bon. Elles étaient toujours enrobées dans le même papier kraft que Naima m'avait remis : il s'agissait de la chainette en argent où était écrit : Salem Sarah et de la minuscule bague argentée où étaient imprimés nos deux initiales S &S. Il avait l'air ahuri en me voyant les lui déballer.

_Moi : Ta sœur est un amour. Elle les avait récupérés quand tu les avais jetés à la poubelle, et me les a remis en main propre. Ce serait plus judicieux de te les rendre. Fais en ce que tu veux, rejette les à la poubelle si tu veux, ou change les initiales en y mettant un M comme Madjiguéne.

Son étonnement avait cédé la place à une colère noire. Je ferais mieux de déguerpir avant qu'il ne se ressaisisse. J'ai pris mon sac à la hâte, et d'un pas vif, je me suis dirigée vers la sortie du restau. Salem n'a pas cherché à me retenir, et c'est tant mieux d'ailleurs.
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Deux semaines passèrent depuis cette fameuse mini-altercation avec Salem au restau. Et je n'avais plus eu de ses nouvelles. Je pense qu'il avait dû comprendre que mon « non » était catégorique cette fois-ci. Mais ce serait mentir, si je vous disais que je ne souffrais pas de mon côté, en silence. Cet amour ne se dissipait pas du tout, et j'avais même l'impression qu'au contraire, il augmentait au fil du temps. J'essayais tant bien que mal de me convaincre que j'avais pris la bonne décision, et que je finirais par l'oublier avec le temps. Leila Sadiya, et Nabiha n'arrêtaient pas de me taxer d' « idiote orgueilleuse », mais je faisais la sourde oreille. Même Assie s'était ralliée à la cause de Salem, en fin de compte. Mais personne n'a réussi à me faire fléchir...enfin presque. J'avais eu, entretemps, Michael sur Skype et il m'a annoncé :

_Michael : Je retourne à New-York, baby. L'aventure Toulouse est presque terminée.

_Moi : Oh non ! Mais pourquoi, donc ?

_Michael : Mon pays me manque, Sarah. Et ma mère aussi, plus que tout. J'avais juste besoin de prendre du recul. Là, c'est fait. Il est temps que je retrouve mon environnement familial. Et puis, de toute façon, tu n'es plus à Toulouse, donc à quoi bon rester ici ?

_Moi : lol t'es méchant. Assie risque de ne pas être contente si elle entendait cela. Sinon, tu viens me voir quand à Dakar, alors ?

_Michael : Je ne sais pas encore, baby, mais j'essaierai, promis. En tout cas, c'est prévu avec ma mère : nous devons impérativement venir tous les deux à Dakar et à Banjul un été, histoire de revoir toute ma famille maternelle.

_Moi : Ce serait trop bien. Tu me manques beaucoup, en tout cas mon Mickey Mouse.

_Michael : A moi aussi, tu me manques, mon glaçon ambulant chéri. Alors, tu vas lui pardonner ?

_Moi (surprise) : Hein ? De quoi tu parles ?..... Comment sais-tu que je l'ai revu ?

_Michael : Pfff je lis en toi comme dans un livre ouvert. Alors, je réitère ma question : vas-tu oui ou non, lui pardonner ?

_Moi : Non. Les choses sont mieux ainsi, pour tout le monde.

_Michael : Tu l'aimes, il t'aime. Où est le problème ? En amour, il faut savoir mettre son orgueil de côté. Et n'oublie pas la leçon que je t'ai apprise : never give up on your love (=ne jamais renoncer à son amour).

_Moi : lol Tu veux juste te débarrasser de moi, en me jetant dans les bras de Salem, parce que tu sais que dès que tu retourneras à New-York, tu te remettras avec cette Olivia. Tchiiip

_Michael : Pourquoi Assie et toi vous aimez faire ce bruit bizarre ? Ce n'est point élégant. Bref, tu as tort. Livvie s'est mariée, depuis un bon bout de temps. Et je regrette toujours d'avoir renoncé à notre amour, juste à cause des difficultés. Et crois-moi, il n'y a rien de pire que les regrets pour te pourrir la vie. C'est juste que je ne te souhaite pas le même sort : passer chaque jour de ton existence à te demander comment serait ta vie si tu étais toujours resté avec cette personne que t'a aimé comme jamais. Réfléchis bien, et prends la bonne décision pour toi. Pour une fois, sois égoïste, et ne pense qu'à toi. Et rappelle-toi, si à 30ans, tu ne trouves personne pour supporter ton sale caractère, je serai là pour céder à tes caprices de glaçon lol

Oh là là ! Mon Mickey avait toujours le mot pour me faire rire. Pourquoi tous les mecs de cette planète n'étaient pas aussi matures et charismatiques que lui ? Bref, ce soir-là, je me suis endormie en repensant aux conseils qu'ils m'avaient donnés. Un, en particulier, n'arrêtait pas de résonner dans mon esprit : « Pour une fois, sois égoïste, et ne pense qu'à toi. ».

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Quelques jours après :

Je me plaisais toujours autant à mon travail. Mon salaire n'était certes pas faramineux, mais assez correct quand même. Les membres du personnel avaient bien veillé à m'intégrer, et je m'y sentais vraiment dans mon élément. De plus, je pouvais voir tous les jours le sourire de mon petit frère, au réveil et voir mes meilleures amies autant que je le voulais. Que demander de plus ? En gros, tout allait bien dans ma vie : d'ailleurs mon quotidien commençait même à devenir monotone jusqu'à un certain mercredi après-midi. J'avais fini ma journée comme d'habitude aux alentours de 17h, et quelle ne fut ma surprise de voir la bagnole de Salem garée en bas de l'immeuble de ma banque. J'ai écarquillé les yeux de surprise en le voyant assis tranquillement sur son siège, en m'attendant sagement. Il sortit de sa voiture dès qu'il m'aperçut :

_Salem : Salut. Je dois te parler.

Bon d'abord, il ne m'a pas fait la bise, et ne m'a pas souri gentiment comme il le faisait souvent. Au contraire, il avait une mine sévère, et paraissait irrité. Ce n'est qu'après un quart d'heure de trajet que je compris enfin que Monsieur m'emmenait chez lui. A quoi jouait-il, enfin ? Je n'allais pas tarder à le découvrir. Arrivés chez lui, Naima, l'éternelle portière, s'est chargée de nous ouvrir. Elle s'est aussitôt jetée dans mes bras, en me voyant. Eh bah, dis donc ! Quel accueil ! D'habitude, elle était si timide.

_Naima : Sarah, tu m'as trop manqué. Tu vas bien ?

_Moi : Tu m'as manqué aussi ma puce. Bien et toi ?

_Naima : Impec. Je vais chez une amie, à côté, bouge pas hein. Je reviens.

J'en avais presque oublié l'existence de Salem.

_Salem : On monte.

Je le suivis, d'un pas docile. Ça me faisait bizarre de revenir dans cette maison : on y avait vécu tellement de beaux moments. Ce fut pire quand il me fit entrer dans sa chambre : rien n'y avait changé, tout était aussi pareil que dans mes souvenirs.

_Salem : Mets-toi à l'aise. J'arrive, je rattrape juste mes prières.

Je hochai la tête timidement en priant silencieusement pour que j'aie la force de survivre à cette ultime confrontation. Quelque chose me disait que c'était loin d'être gagné. Une fois ses prières accomplies, il revint me rejoindre dans la chambre. Il avait le visage et les cheveux encore mouillés par ses ablutions, et les manches de sa chemise retroussées lui donnaient un petit air décontracté qui ne me laissait pas indifférente. J'aimais sa façon de marcher, et tout dans ses gestes était accompagné d'une grâce indescriptible. Il s'assit enfin sur le lit, à mes côtés et me dit :

_Salem : Sarah, je veux que toi et moi on se remette ensemble.

Je pense que mon cœur a arrêté de battre pendant une fraction de seconde, à ces mots. Il sortit de sa poche un papier kraft. Je devinais aisément que les bijoux que je lui avais remis la dernière fois y étaient toujours. Il me les tendit et me dit :

_Salem : Ils sont à toi, et uniquement à toi. Reprends-les et redonne-nous une chance. Sarah, remets-toi avec moi STP. C'est la dernière fois que je te le demande. Si tu me dis non, j'accepterai ton choix, et te laisserai vivre ta vie.

A suivre

TOME 1 : Entre désillusions et trahisons, notre amour survivra-t-il ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant