||Fifty five||

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Tétanisée par l'ordre qui venait de m'être intimé par Tonton Sahnoun, je pus à peine détacher ma langue de mon palais. D'une voix aussi faiblarde que celle d'un malade sur son lit de mort, je lui répondis en évitant soigneusement son regard :

_Moi : D'accord.

Tonton Sahnoun ne prit pas la peine de me répondre, il s'en est allé d'un pas vif, en égrenant toujours avec autant de piété son long chapelet blanc. Ouf ! Une fois dehors, l'air frais me fit un grand bien. Il faut dire que dès l'instant où le vieux nous avait surpris, je me suis mise à retenir ma respiration. Contrairement à moi qui avais la tête de quelqu'un à qui on venait de surprendre en plein pacte avec le diable, Salem paraissait serein. Il me prit la main, en silence, me fit assoir sur le siège avant de la voiture, comme une enfant. Il démarra en vitesse, puis s'arrêta au bout de la rue, détacha sa ceinture et me prit dans ses bras pour me consoler:

_Salem : Chuuut mon bébé, calme-toi. Ce n'est rien. Ce n'est pas bien grave. Ne t'inquiète pas pour demain, je prendrai entièrement mes responsabilités. Je dirai à tes parents que tu n'y étais pour rien, c'est moi qui t'aie sauté dessus comme un barbare. T'inquiète, c'est moi qu'ils blâmeront, pas toi.

Au lieu de me réconforter, ses consolations eurent pour effet de faire perler les larmes aux coins de mes yeux.

_Salem : Sarah, toi aussi ! Calme-toi. Les larmes ne résoudront rien à rien. Je te dis qu'il ne se passera rien, ma chérie. Ils vont juste nous sermonner, et ils passeront à autre chose sous peu. De toute façon, je leur dirai de façon très claire que tu n'y étais pour rien, c'est moi aie provoqué tout ça.

_Moi (en reniflant) : Snif. Ma mère va me tuer si ton père lui raconte ce qu'il a vu. Mon père, n'en parlons même pas. Il serait capable de me mettre en quarantaine, je serai privée de sortie éternellement et condamnée à être ibadou (=bonne sœur) pour toute la vie.

_Salem : lol Sarah, tu es tellement candide et naïve que ça me fait souvent rire. Tu penses réellement que c'est ce qui va se passer ? Ce sont des adultes. Ils feront enfin ce qu'ils auraient dû faire depuis longtemps. De toute façon, ça n'a que trop tardé. Vois le bon côté des choses, je pense sérieusement que ceci est un petit coup de pouce que le bon Dieu a bien voulu nous donner, après tant de péripéties.

Hein ? Je ne comprenais pas grand-chose au charabia que Salem me déblatérait, ou peut-être mon inconscient ne voulait pas le comprendre à l'époque. Je ne saurais dire...Tout ce que je sais, c'est que j'ai passé le trajet à pleurnicher comme une fillette, sous les regards moqueurs de Salem qui en avait marre de me consoler. Excédé par mes pleurs et mes plaintes, il s'était résigné à me laisser pleurer lamentablement sur mon sort, non sans pousser des soupirs d'énervement. Arrivés chez moi, il éteignit le moteur, et me prit dans ses bras. Pour une fois, je ne pris pas la peine de savourer ce doux contact. Me sentant amorphe dans ses bras, il me dit :

_Salem : Sarah, sèche tes larmes et arrête tes gamineries pour une fois STP. Pourquoi tu passes ton temps à pleurer à la moindre occasion ? Je suis sûr que si ta grand-mère t'appelait demain pour te dire qu'une brebis ou qu'une chèvre de votre maison familiale de Fouta était morte, tu allais pleurer pendant des jours et des jours.

Loin de me faire rire, sa remarque eut le don de me mettre dans tous mes états. Je lui ai souhaité bonne nuit du bout des lèvres, en boudant, et je suis sortie de la voiture pour rentrer chez moi.

Inutile de vous dire que j'ai eu vraiment du mal à m'endormir ce jour-là. Salem m'a envoyé un message qui disait : « Arrête de pleurer STP, tu sais bien que je n'aime pas te voir dans cet état. Ça ira pour demain, je te le promets, mon amour. Je t'aime ma Sarahchou. ». Toujours fâchée contre lui à cause du coup de « la brebis et de la chèvre », j'ignorais royalement son message, mais force est de reconnaître qu'il m'avait grandement apaisée, au point de m'aider à sombrer dans un sommeil profond.

Le lendemain, c'était un dimanche. Et comme tous les dimanches, je fis ma grasse matinée. Je me suis prélassée sur mon lit presque toute la matinée, histoire de retarder l'échéance du moment où j'aurai à annoncer à ma mère qu'ils étaient convoqués chez les Sahnoun. Telle que je la connaissais, elle allait me questionner afin de savoir pour quel motif ils devaient y aller, et si je lui en donnais la raison, ce serait un enterrement qu'on célébrerait, et non une rencontre entre nos deux familles.

Heureusement pour moi, je n'eus pas à faire connaitre à mes parents la directive donnée par tonton Sahnoun. En effet, après ma douche, je suis descendue au salon pour saluer toute la petite maisonnée. Mon père et Malick étaient affalés devant la télé. Vu le visage résigné que Papa affichait, Malick avait encore dû lui imposer un de ses fameux dessins animés barbants.

Maman était en train de se mettre du henné sur ses pieds. Dès qu'elle me vit, son visage s'illumina :

_Maman : Ndéye Fama (la mère à Salem) vient de m'appeler. Ils veulent qu'on passe chez eux cet après-midi, avec ton père.

_Moi : Aah d'accord...

_Maman : Vas-y, dépêche-toi de manger qu'on y aille vite. Tu sais bien que ton père ne peut pas se permettre de ne pas passer chez sa mère les dimanches après-midi, et il commence à se faire tard.

J'avais l'estomac noué par l'anxiété et la peur, et par conséquent, je ne pus avaler quoi que ce soit. Je me suis juste contentée de me mettre en boubou traditionnel (une taille-basse verte), en nouant sur ma tête le foulard qui allait avec. Cette vision changerait de celle que tonton Sahnoun avait de la fille d'hier qui était en jean slim et bustier, sur les genoux de son fils, par-dessus-tout.

Aussitôt arrivés chez les Sahnoun, Tata Ndéye Fama nous accueillit avec le sourire. Si son mari l'avait mis au courant de notre fameuse « escapade » d'hier, elle n'en a rien laissé paraître. Elle me prit affectueusement dans ses bras, en me faisant deux bises sonores, comme à son habitude. Il y'avait toute la famille dans le salon : Salem, Naima, et enfin leur père. Naima salua mes parents, et partit avec Malick en haut, surement pour jouer à la PlayStation. Salem paraissait aussi calme que la nuit dernière. Il me fit un sourire qui s'effaça aussitôt dès qu'il vit le regard assassin que je lui jetai en retour. J'ai salué Tonton Sahnoun, en lui donnant la main, et en faisant des génuflexions. Je n'osais pas le regarder droit dans les yeux. Rien qu'à repenser au fait qu'il m'avait vue hier avec son fils en train de nous bécoter, j'avais juste envie de me fendre le crane avec une hache.

Les parents étaient toujours en train de s'adonner à leurs fameux salamalecs interminables, pendant que Tata Ndéye Fama s'affairait à nous servir des boissons.

Tonton Sahnoun attendit que celle-ci finisse de s'activer autour de la table, après que tout le monde soit servi, pour annoncer sans préambule :

_Tonton Sahnoun : Je suis désolé de vous avoir fait appeler comme ça un dimanche normalement dédié à la détente et au repos, mais il le fallait absolument.

Mon cœur s'est mis à battre la chamade à ces mots. Si l'heure n'était pas aussi grave, je me serais marrée à cause de son accent tunisien qui teintait affreusement son wolof. En désignant du doigt Salem et moi, il enchaîna son speech en ces termes :

_Tonton Sahnoun : J'ai remarqué les va et vient de ces deux-là entre nos deux maisons, ils sont toujours fourrés ensemble. Je les ai trouvés hier soir ici, dans le salon, dans le noir. Ils ne faisaient rien de grave certes, mais ça ne m'a pas rassuré du tout, en tant que parent responsable.

Un cri de soulagement que je retenais avec grande difficulté, voulut sortir de ma gorge. Que Dieu te bénisse tonton Sahnoun ! Waouh, je n'arrivais pas à croire qu'il avait maquillé la vérité à notre profit. Mais alors, si cette convocation n'avait pas pour motif de mettre mes parents au courant de mes escapades nocturnes dangereuses, à quoi rimait tout cela ? Je n'allais pas tarder à le découvrir :

_Tonton Sahnoun (cette fois-ci s'adressant à mon père) : Les enfants d'aujourd'hui sont intenables. Je ne le souhaite pas, mais ils sont capables de nous faire des gosses hors-mariage, sans crier gare. C'est pourquoi je te propose Wane, en tant que Kilifa (notables) qu'on les marie sans tarder, pour le bien de nos deux familles, et selon les préceptes religieux.

Oh mon Dieu ! Pourquoi n'étais-je pas surprise ? Tonton Sahnoun était à fond sur la religion. Il avait propulsé Salem au sommet de l'entreprise familiale, en partie pour pouvoir mieux se consacrer à ses pratiques religieuses. D'ailleurs, il était en plein construction d'une mosquée qu'il finançait lui-même.

Ma mère et celle de Salem hochaient frénétiquement la tête pour marquer leur consentement.

_Mon père : Je suis parfaitement d'accord. Ils sont des adultes maintenant, et sont donc capables de se prendre en charge eux-mêmes. L'une a 25 ans et l'autre 24 ans, avec des boulots stables. Que demander de plus ? Marions-les sans tarder.

Mais attendez, ces vieux-là sont sérieux ? Nous marier sur un coup de tête, comme ça, juste parce qu'ils jugent qu'il en est grand temps ? D'accord, j'aime Salem certes, mais je nous voyais mariés dans une année, ou une année ou demi, pas là maintenant. Tout s'enchainait tellement vite en l'espace de deux jours, que j'en avais le vertige.

_Tonton Sahnoun : Fiston, tu en penses quoi ?

Salem (le visage grave) : Je pense que c'est parfait papa. Je l'ai toujours voulu, c'est Sarah qui ne se sentait pas prête. Moi je le suis depuis bien fort longtemps.

_Mon père : Voilà qui est dit, Sahnoun, fixez votre date et envoyez-moi vos émissaires. Le mariage sera scellé au plus vite.

Ils se sont serrés solennellement la main, sous les yeux ravis de nos deux mères. En implorant du regard l'aide de Salem, je le vis sourire de contentement. Quel traître alors, celui-là ! lol

A suivre !

TOME 1 : Entre désillusions et trahisons, notre amour survivra-t-il ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant