J'étais tout à coup devenue spectatrice de ma propre vie. Les parents venaient de sceller mon avenir sous mes yeux, sans se préoccuper de me demander mon avis auparavant. J'étais raide comme un piquet sur le fauteuil sur lequel j'étais assise, ne sachant pas trop ce qui venait de se passer. Alors, comme ça, Salem et moi allions être mariés ? J'allais pouvoir contempler son beau visage tous les jours, mais aussi supporter ses railleries en permanence ? J'étais à la fois terrifiée et follement excitée.
Nos deux mères s'étaient déjà levées pour aller s'enfermer dans le petit salon d'en-haut, sûrement pour élaborer les plans de notre futur mariage. Je suis sûre qu'elles ne me laisseraient même pas placer un seul mot, et ne prendraient pas en compte mes choix et mes envies. Il ne restait plus que Salem et moi dans le salon, ainsi que tonton Sahnoun et Papa qui discutaient de la vie politique Tunisienne. Ressentant sûrement mon malaise persistant, Salem s'est enfin levé, et m'a pris la main :
_Salem : Viens chérie, on va dans ma chambre.
Mon père n'avait rien dit, à peine semblait-il nous avoir entendus. Quant à Tonton Sahnoun, il n'a pas protesté non plus, mais a veillé à nous jeter un regard menaçant qui en disait long sur ses mises en garde. Je me suis laissée diriger avec docilité vers la chambre. Salem eût la présence d'esprit de laisser la porte ouverte. C'était mieux ainsi puisqu'apparemment nous étions incapables de bien nous tenir tous les deux, à chaque fois que nous nous retrouvions à huis clos.
_Salem : Tu sembles très peu heureuse pour quelqu'un qui s'apprête à se marier. Ce n'est pas vers la tombe que je vais te mener Sarah, mais plutôt vers le bonheur éternel.
_Moi : Je ne suis pas malheureuse. C'est juste que je ne m'y attendais pas du tout. Tout cela est juste...trop précipité. Ça en fait beaucoup pour une journée.
Il se renfrogna. Il semblait déçu et blessé par mes mots, mais c'était ce que je ressentais sur le moment. J'avais VRAIMENT la frousse.
_Salem : Bon d'accord, je vais de ce pas parler aux parents et leur dire de repousser le mariage à dans 5 ans. Tu seras peut-être alors prête quand tu auras atteint la trentaine.
Il fit mine de se lever, et j'eus envie d'éclater de rire. Je savais qu'il ne pensait pas un seul mot de ce qu'il disait : il souhaitait juste me secouer.
_Moi : Je n'ai jamais dit que je ne voulais pas de ce mariage. J'ai juste un peu peur, c'est normal, ne penses-tu pas ?
_Salem : Justement, tu n'as pas à avoir peur. Je te protégerai, et je te chérirai toute ma vie. Viens-là.
Je me suis réfugiée confortablement dans ses bras. Il m'a serrée très fort dans ses bras, et je me suis dit que j'étais vraiment bête d'avoir aussi peur de me jeter à l'eau. Tout irait bien dans ma vie, du moment où j'aurais Salem à mes côtés. Prenant mon courage à deux mains, je lui dis : _Moi : Je n'ai plus peur. C'est passé...Je suis prête.
Il m'a regardée intensément sans ciller, jusqu'à ce que n'en pouvant plus, j'ai baissé mes yeux. Amusé par ma soudaine timidité, il a lentement soulevé mon menton en déposant un léger baiser sur mes lèvres, puis m'a chuchotée d'une voix susurrante :
_Salem : T'en es sûre ?
_Moi : Ouais, sûre et certaine.
_Salem : Tant mieux alors car j'ai super hâte que tu deviennes ma femme.
Hélas, notre petite séance en amoureux a très peu duré. Malick et Naima sont venus nous interrompre et nous sommes tous allés jouer à la Play-Station, jusqu'à ce que ma mère vienne me chercher moi et mon petit-frère pour nous annoncer qu'on devait aller au plus vite chez ma grand-mère avant qu'il ne fasse tard.
Dans la voiture, ma mère n'arrêtait pas de jaspiner à propos du mariage. Pour quelqu'un qui jusqu'à récemment était plutôt réticente envers notre relation, elle semblait plutôt enthousiaste.
_Ma mère : Tu vas voir Sarah, on va te faire une grosse fête de mariage : de grosses bâches allant de Sacré-Cœur à Mermoz...Tu verras. Tous mes parents du Fouta vont venir, sans compter ceux de Matam. Ah la la, ma fille aînée va enfin se marier. Dieu merci, je commençais à désespérer.
Elle a commencé à renifler, submergée par l'émotion. Mon père, en véritable tyran, a très vite calmé ses ardeurs :
_Mon père : Calme-toi, femme. Il n'y aura absolument pas de grande fête. Aussitôt qu'ils viendront demander la main de ma fille, je la leur donnerai sans délais, et elle partira le même jour chez son mari. D'une pierre, d'un coup. Pas de khoumbaye, ni de moumbaye, ni de roumbaye (=pas de bruit, ni de brouhaha). Je ne veux pas de ça chez moi !
Pour une fois, ma mère ne se laissa pas faire : elle a commencé à lui sortir un tas d'arguments :
_Ma mère : Ah non non non ! On parle de ma fille aînée là, et de surcroît ma fille unique. Même si je devrais louer une maison, je la ferai, mais en tout cas je compte inviter toute ma famille et faire honneur à ma fille Point de négociation là-dessus.
Ils se sont mis à débattre là-dessus tout au long du trajet. C'était bien la première fois que je voyais ma mère s'opposer à mon père. Ça se voyait vraiment que ce sujet lui tenait à cœur.
Bref, la première chose que je fis en arrivant à la maison, fut d'appeler Nabiha pour le lui annoncer. Cette folle s'est mise à crier à tue-tête :
_Nabiha : Wouyaye Sarah nous allons nous marier, nous allons nous marier !!! Je n'arrive pas à le croire. Wouuuuuuuuuuuuu.
Nabiha était aussi émue que moi. Beaucoup d'entre vous ne comprendront sans doute pas le sens du « nous » qu'elle a utilisé, mais c'était comme ça qu'on procédait toutes les deux. Nous partagions tout : bonheur comme malheur, rires comme larmes. Et même si elle était mariée à Abdou, elle vivrait de façon intense mon mariage comme j'ai vécu le sien. Elle était juste ma jumelle de cœur.
Après avoir raccroché avec Nabih, direction Skype pour mettre Assie au parfum des événements. Elle était comme d'habitude affalée sur son fameux canapé (qui devenait certainement de plus en plus creux à force de supporter son gros postérieur), bébé Sarah calée sur son épaule.
_Assie : Eh bah, tu as bonne mine. Tu reprends des joues, j'aime ça.
_Moi : N'importe quoi, je n'ai pas pris un gramme depuis que j'ai quitté Toulouse.
Je faisais genre, mais je savais pertinemment que je recommençais à reprendre du poids, d'autant plus que j'étais comblée et épanouie grâce à l'amour. Je suis rentrée dans le vif du sujet en racontant tout à Assie, sans omettre aucun détail. Bien-sûr, elle s'est d'abord foutue de ma gueule avant de me féliciter.
_Assie : Ayii le vieux a bien fait en tout cas ! Il faut vite vous marier Salem et toi car vous êtes chauds comme la braise. Si on ne vous marie pas très vite, vous allez nous faire un bébé Assie haha
_Moi : T'es trop bête pffff. J'ai peur Assie, je t'assure.
_Assie : Hey, ne recommence pas avec tes émotions à la toubab là. Comme tout couple marié, vous aurez des hauts et des bas, c'est normal. Il faut juste surmonter ta peur. Et puis, regarde le bon côté des choses : tu pourras enfin goûter à la sauce.
_Moi : Assie, on ne se marie pas pour goûter à la sauce, comme tu dis. Le mariage est un engagement envers Dieu et envers son homme ou sa femme. C'est à la fois la consécration d'un amour pur et...
_Assie : Rooooh, épargne-moi ta philosophie à deux balles. Dès demain, je vais commencer à te dégoter des petits trucs coquins.
J'avais juste envie de la gifler à travers la cam, mais force est de reconnaître que notre conversation m'avait grandement détendue. Il n'y avait qu'Assie pour me faire marrer à ce point. J'en oubliais même toute frayeur et réserves par rapport à mon prochain mariage.
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Environ deux semaines passèrent :
C'était un samedi que je n'étais pas prête d'oublier. Jusque-là, il représente un des plus mémorables jours de ma vie. En effet, ce samedi-là fut le jour où Tonton Sahnoun devait envoyer ses émissaires (le parrain et les oncles paternels de Salem entre autres) pour demander ma main. Du côté de ma famille, nous n'étions pas en reste non plus. Mes oncles maternels étaient aussi convoqués à la maison, ainsi que deux amis proches de mon père. Notre living-room avait été astiqué avec grand soin pour l'occasion. Inutile de vous dire que j'étais stressée comme tout, même si mon rôle se réduisait ce jour-là à rester tranquille dans la chambre de ma mère. Même Salem, le principal concerné ne serait pas de la partie non plus. Il était aussi condamné à rester chez lui avec quelques-uns de ses amis, pendant que les représentants respectifs de nos deux familles converseraient et tomberaient d'accord pour lier nos deux sorts à jamais.
C'était certes une étrange coutume que de marier des gens sans leur présence, mais c'était notre tradition, et nous ne comptions nullement y déroger. Le parrain de Salem et ses oncles paternels sont venus chez moi aux abords de 15H30. Je n'avais pas posé d'yeux sur eux. Je n'y avais pas droit, donc je ne saurais vous dire comment la discussion entre les vieux s'est réellement passée. Tout ce que je sais, c'est que nos familles respectives ont de suite accroché et ont décidé qu'ils iraient à la mosquée près de chez moi durant la prière de Takussan afin de sceller le mariage religieux le jour-même. La famille de Salem avait naturellement ramené l'argent du cola ainsi qu'une dot fort considérable dont je tairais la somme pour des raisons d'intimité. En tout cas, ma mère a sauté au plafond quand mon père nous a remis la somme. J'avais été super gâtée par ma belle-famille, même si je n'accordais pas trop d'attention à ce genre de choses, cela m'a prouvé que mon mari avait une forte estime envers ma personne.
Tout au long de la célébration du mariage religieux à la mosquée, je me suis retrouvée dans la chambre de ma mère, avec cette dernière ainsi que ma tante. Elles m'avaient fait asseoir sur le lit immense de mes parents, la tête recouverte par une lourde couverture dont le poids et la chaleur m'étouffaient. Ma mère m'avait donné l'ordre de ne point émettre un son durant tout le temps où ils seraient à la mosquée. Donc j'essayais de subir en silence la chaleur, sans râler et sans remuer, malgré ma position inconfortable. Je ne pouvais m'empêcher de penser à Salem : que faisait-il ? Ressentait-il les mêmes empressés battements de cœur que moi ? Moi qui était apeurée par le mariage, j'avais subitement hâte d'en finir avec tout ça, afin d'être en mesure de m'occuper de mon mari comme il le mérite.
Les vieux sont enfin revenus de la mosquée. Je pouvais entendre leurs exclamations de joie ainsi que leurs rires discrets. Enfin, ma mère m'a libérée en me disant d'une voix solennelle avec une émotion contenue :
_Ma mère : Te voilà mariée maintenant, ma fille. Que Dieu vous guide ton mari et toi.
S'en est suivi d'un long speech de ma tante qui me prodiguait des conseils (certes arriérés mais o combien judicieux) à propos de la manière de gérer son foyer et de s'occuper de son homme. J'étais juste trop émue pour pouvoir parler. J'ai versé silencieusement des larmes de joie. En ce moment précis, rien ne comptait à part Salem. Mes pensées se dirigèrent vaguement vers toutes les péripéties subies avant d'en arriver à tout cela : le chemin fut sinueux et tortueux, mais le résultat valait largement toutes les souffrances. J'étais enfin officiellement mariée à l'homme que j'aimais. Et Salem, je ne l'aime pas parce que Dieu l'a doté d'un physique magnifique. Je ne l'aime pas non plus parce qu'il a des origines tunisiennes qui nous donneraient probablement de beaux enfants métis. Je ne l'aime ni pour la chaîne d'hôtels de sa famille en Tunisie, et encore moins pour son intelligence ou ses prouesses scolaires depuis tout petit. Je l'aime pour une raison qui m'échappait et que Dieu seul connaissait. C'est bien pour cette raison que je comptais me comporter comme la plus parfaite des épouses de ce monde.
Après m'être enfin débarrassée de ma mère et de ma tante, je suis allée m'enfermer dans ma chambre afin de savourer toute seule ce moment de pur bonheur. Mon portable clignotait. J'avais reçu un message de mon mari qui disait : « Nous voilà liés par les liens du mariage. Je suis tellement fier que tu portes mon nom Sarah Yamina Wane Sahnoun. Dorénavant, tu es ma vie. Je suis la tienne. Je t'aimerai pour l'éternité. ».
A suivre
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TOME 1 : Entre désillusions et trahisons, notre amour survivra-t-il ?
RomantizmJe sortis à la hâte de son building dont l'air était devenu étouffant, et m'apprêtai à héler un taxi pour m'y engouffrer moi et ma peine insupportable, lorsqu'Ismaël se pointa. _Ismael : Je t'avais bien dit que je ferai de ta vie un enfer sur terre...