Chapitre 5

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SOL

J-7

J'y ai cru. J'y ai vraiment cru. Quand ils se sont assis dans les deux fauteuils rouges, j'y ai vu, je ne sais pas, un signe. J'ai pensé qu'ils étaient là pour moi. Même maintenant, je n'arrive pas à cesser d'y croire. Je ne peux m'empêcher d'attendre un rebondissement. Peut-être que Cathi et Randall souhaitent adopter deux enfants, et non un seul. Ok, ça ne se produit jamais. Et puis une ouvrière et un gars qui bosse dans une école n'auraient jamais les moyens de subvenir aux besoins de deux enfants. Ils se lèvent, félicités par Carl Preston et par Mademoiselle Hélène qui a accouru pour donner quelques conseils à la jeune maman. Randall tient la main de Solveig qui ne se retourne même pas vers nous. J'ai du mal à être heureux pour elle. Trop dégoûté. Il faut que je digère. Je repars à zéro. J-7, presque J-6. J'ai besoin d'un bol de Mini A.




ZIA

J-14

La nouvelle famille sort par les coulisses. Carl Preston est toujours debout au milieu du plateau, il continue de tendre le bras vers eux alors qu'ils ont disparu. Son visage est rayonnant. Il se répand en éloges, à la fois sur Solveig et sur ses parents tout neufs. Il en profite pour refaire un petit tour des quatorze restants. Je soupire, j'aimerais qu'il mette un point final à cette horrible émission. Je n'en peux plus. Je veux rentrer, me coucher, enfoncer mon visage dans mon oreiller et hurler. Mais Carl Preston n'a pas l'air prêt à conclure.

- Chers amis, balance-t-il en fixant intensément la caméra, ne coupez pas la connexion ! Nous avons encore un invité mystère à vous présenter.

Quoi encore ?

Un homme, cheveux grisonnants, légère moustache, fait son entrée. Je fouille ma mémoire, mais rien ne me vient, je ne connais pas « l'invité mystère ». Est-ce un représentant de la Cita ? Que viendrait-il faire là ? Auraient-ils, en haut lieu, décidé de gracier SolènnDirine, tant il est aimé par le public ? Ou... Oh, peut-être que ce pauvre homme a une maladie incurable, peut-être qu'il se sait condamné et qu'il vient proposer son travail à SolènnDirine ! Non, c'est impossible. Les postes vacants sont gérés par la Cita, personne ne peut décider de donner son travail à qui il veut, excepté à son propre enfant. Oui, c'est ça, il vient adopter SolènnDirine pour pouvoir lui donner sa place ! Je le suis des yeux alors qu'il s'assied dans un des deux fauteuils rouges. Carl Preston s'installe dans le deuxième et lui fait face.

- Alors, Auguste, commence Carl en serrant la main de l'autre.

- Oggy, répond le grisonnant d'une voix timorée. Auguste Oggy Perez.

- Oggy, si vous voulez, concède Carl Preston en retirant sa main. Que faites-vous là ce soir ?

Oggy ouvre la bouche pour répondre mais Carl Preston l'en empêche :

- Tss, tss ! Attendez, Oggy ! (Carl lance un clin d'œil complice à la caméra en regrettant gentiment qu'Oggy n'ait pas le sens du spectacle). Chers téléspectateurs, enchaîne-t-il, on peut dire qu'émotionnellement, ça a été les montagnes russes ce soir ! Nous avons vu partir Jasmine (il pose sa main droite sur son cœur et ferme brièvement les paupières. Oggy hoche le menton solennellement). Nous avons aussi accueilli Randall et Cathi, deux formidables personnes qui sont reparties avec la lumineuse Solveig !

Oggy sourit. Il lui manque une dent. Il n'est pas riche. J'écarte donc ma première hypothèse, il ne travaille pas dans les hautes sphères de la Cita. Il me reste toujours la seconde. Je le scrute, à la recherche du moindre signe de faiblesse, tremblement, transpiration excessive, grimace étouffée... Rien. Il semble en bonne santé, dommage.

- Le suspense est insoutenable, n'est-ce pas chers téléspectateurs ? Que va nous annoncer notre cher Oggy ?

Le cher Oggy se tasse un peu, peu habitué à se trouver au centre de l'attention, dirait-on. Carl invite « ses chers amis téléspectateurs » à donner leur avis. Ils n'ont pas besoin d'invitation, ils nous inondent déjà de tous un tas de commentaires qui défilent en non stop sur un écran latéral.

- Où travaillez-vous, Oggy ?

Il fait partie d'une équipe de maintenance qui s'occupe des dômes. Ça conviendrait à SolènnDirine. N'importe quel boulot conviendrait à SolènnDirine. Je vous en prie, faites que je ne me sois pas trompée. Une photo vient d'apparaître derrière Carl. Je fronce les sourcils. Oggy, en plus jeune, accompagné d'une femme et d'une petite fille. Aurait-il perdu sa fille ? Il faut que je me souvienne, est-ce qu'une fillette est décédée dernièrement ? Non, pas dernièrement : Oggy a l'air d'avoir dix ans de moins sur cette photo. Que s'est-il passé il y a dix ans ? Si cette fille est morte, elle aurait peut-être mon âge aujourd'hui... Serait-il là pour moi ? Se pourrait-il qu'il ait décidé de me sauver, comme pour honorer la mémoire de sa fille défunte ? Carl réduit à nouveau à néant mes espoirs en quelques mots :

- Lorna et Lali, c'est ça, Oggy ? (l'intéressé acquiesce) Quel âge a votre fille maintenant, Oggy ?

- Presque quinze ans.

Quinze ans. Comme nous. J'avais raison. Est-ce que je devrais connaître cette fille ?

- Et c'est pour elle que vous êtes venu ce soir, n'est-ce pas, Oggy ?

Oggy fait « oui » de la tête, puis, sur un geste de Carl, se lance (ou essaie de se lancer) :

- Lali, ma chère Lali, elle est...

Il s'arrête, regarde Carl, puis la caméra, puis les enfants présents.

- Excusez Oggy, chers amis, reprend Carl. Vous aussi, vous serez sous le choc quand je vous aurai parlé de l'ultimatum que lui a posé sa fille Lali...

Carl tourne les yeux vers les coulisses, nous pivotons tous. La dénommée Lali apparaît.

Je la connais.







SOL

J-7

Bon sang, c'est la fille qui a essayé de forcer le tunnel C2 l'autre jour. Celle avec qui j'ai discuté dans les coulisses. Elle m'a fait la bise. Jamais aucune fille n'avait fait ça avant elle. Je dois dire que j'ai apprécié de la sentir toute proche. Elle était sympa. Je la regarde s'avancer. Ils l'ont maquillée, pas trop, et elle porte une robe noire qui lui va vraiment bien. Elle est jolie. Elle me sourit. Elle marche vers Carl Preston mais ne me lâche pas des yeux. Je ne détourne pas le regard et je ne peux m'empêcher de penser que Zia ne va pas aimer ça.

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant