ZIA
J-14
Qu'est-ce que c'est que ça ?!
C'est cette fille, celle qui a sauté sur SolènnDirine dans les coulisses le mois dernier. Si elle avait pu, elle lui aurait léché le visage. Le Mini A n'empêche pas la vague d'énervement qui afflue de me remplir toute entière. Carl se lève et offre sa place à la fille qui s'assied face à son père. Elle nous tourne légèrement le dos, maintenant, mais on peut voir sa tête en gros plan sur les écrans, ce qui est bien suffisant. Je voudrais interroger SolènnDirine des yeux, mais je reste figée pendant que Carl poursuit sa petite conversation avec Auguste Oggy :
- Donc, Oggy, vous disiez que Lali (Carl appuie ses propos d'un large sourire vers la fille) vous avait posé un ultimatum...
En vérité, c'est Carl qui a dit ça, mais bon.
- Lorna, Lali et moi... commence Oggy.
On le voit hésiter, visiblement mal à l'aise.
Carl l'encourage d'un geste, mais, Oggy restant muet, il ajoute :
- C'est bon, Oggy.
Oggy déglutit :
- ... nous étions à l'école centrale le jour de la catastrophe il y a huit ans.
Carl hoche la tête, il voit de quoi Oggy veut parler. On voit tous, même si, en tant qu'orphelins respectant scrupuleusement les règles édictées par Mademoiselle Hélène, on est censés avoir effacé tout ça de nos têtes. Je sens ma température interne chuter d'au moins deux degrés. Il n'a pas le droit de faire ça, parler de notre catastrophe. Pourtant, il continue :
- Lali a toujours été scolarisée à l'école de la rivière, c'est dans ce quartier qu'on habite, mais elle faisait partie du spectacle.
Evidemment, comme tous les gamins de la Cita. Si c'est pour dire des évidences, arrête de parler de notre jour. Notre jour.
- Elle était sur scène quand ça s'est effondré. C'était horrible.
Je serre les mâchoires. Oggy a l'air sérieusement secoué, il a presque les larmes aux yeux. Jamais je ne m'étais demandé ce que les autres gens avaient pu éprouver. Et je m'en fous. Je veux qu'il s'en aille avec ses yeux rougis. Qu'il dégage, qu'il cesse de parler de tout ça.
- Bon, fait Carl en touchant ostensiblement son oreillette, nous allons arrêter de parler du passé...
Oggy se raidit en entendant ce dernier mot. Je trouve ça bizarre. On dirait que pour lui, c'est plus qu'une marque de franche impolitesse de parler de tout ça. Il se fige, comme nous quand nous craignons les remontrances de Mademoiselle Hélène. Peut-être a-t-il été élevé à l'orphelinat, ce serait possible après tout.
- Mais on peut tout de même dire que Lali en fait encore des cauchemars, complète Carl sur le ton de la confidence.
Oggy acquiesce d'un air malheureux. On entend Miss Lorie renifler, tant l'air triste d'Oggy est contagieux. Lali affiche un air dépité. Ah, c'est elle qui fait des cauchemars ? C'est elle qui étouffe toutes les nuits sous un tas de décombres ? C'est elle qui sent, encore et encore, le dernier souffle de sa mère dans son oreille ? Le regard que Mademoiselle Hélène me lance me cloue sur place. Je souris intérieurement, elle me connaît bien. Elle sait que je suis prête à sauter de mon siège et à mordre. Elle sait que je suis entièrement plongée dans ce passé que j'aurais dû effacer de ma mémoire. Heureusement qu'elle est là pour me tempérer, pour m'empêcher de faire n'importe quoi. Je vais arrêter d'écouter, arrêter de penser, de me souvenir, je vais me mettre sur off. Je vais contempler mes ongles, tiens, ou lire les messages qui défilent là-bas. « Allez, Oggy, crache le morceau ! » Oui, Oggy, crache le morceau. « Lali, t'es trop jolie, tu passes super bien à l'écran ! » Jamais je n'ai autant détesté mes couettes. J'ai trop envie de tirer sur les élastiques, de les balancer par terre, et de m'essuyer les joues avec la manche de ma magnifique robe. « Alors, Lali, t'es obnubilée par les rescapés depuis que tu es petite ? » J'inspire profondément. Tout ce qu'on vit ne suffit pas, il faut en plus qu'on se coltine des obsédés. Bravo ! Il faut que je respire et que je me concentre sur les messages. La voix d'Oggy alterne avec celle de de Carl, ils continuent de jacqueter, mais j'ai décidé de faire abstraction. Leurs voix font comme un flot de sons informes autour de moi. Mais ce que je lis maintenant ne m'inspire rien de bon : « Bien vu, Lali ! » « Bonne chance Lali » « T'as raison, ne le laisse pas tomber ! » Le ? « Quelle belle histoire ! » « Quel chanceux, ce Sol ! » Sol ? SolènnDirine ? Je déglutis et me tourne de nouveau vers Oggy et son affreuse fille. Elle est là, tout sourire, et je suis obligée de me répéter les paroles que Carl prononce à l'instant pour être sûre de bien comprendre :
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Sept jours
General FictionJ-14 Il ne lui reste que 14 jours. Bientôt, il devra sortir de la Cita, quitter sa bulle protectrice. Dehors, l'air est vicié, impossible à respirer. Il ne peut pas rester, il ne veut surtout pas sortir. Sortir, c'est mourir. J-8 Plus que 8 jours. N...