Chapitre 25 (fin)

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ZIA

J-7
Aïe ! Douleur aigue, irradiante. Merde, quelque chose m'a mordue au sang ! Mon âme se retrouve d'un coup aspirée. Elle atterrit violemment. La douleur rassemble les parties du puzzle. Je sens mes muscles, maintenant, tétanisés, contractés à l'extrême. Douleur cuisante, impossible. Mon cœur bat trop lentement, on dirait qu'il râle, comme un vieux moteur au bord de la faillite. Mes poumons ne veulent plus non plus faire leur boulot. J'inspire mais rien ne rentre. Ma tête va exploser. Et soudain, le haut-le-cœur, terrible. Un bout de bois sort de ma bouche, expulsé. Je me tortille au sol comme un ver, incapable de me redresser. Tout autour de moi, la brume sombre a disparu, remplacée par une obscurité opaque. Je n'y vois rien. C'est tombé si vite. Ou peut-être pas. Après tout, ça fait peut-être des heures que je suis là. Mon estomac se tord, entraînant dans son mouvement le bas de mon corps qui se convulse dans la poussière noire. Mes yeux sont grands ouverts mais je ne distingue rien. Je suis aveugle. C'est ça, l'Antafarax m'a pris la vue. J'ouvre la bouche pour hurler, de la bile en sort, brûlante. Ça m'arrache l'œsophage au passage. Je hoquète, crache, pleure des larmes acides. Mais ça n'est pas fini. Mon estomac se serre à nouveau comme un fou. Deuxième round. Je ne peux que subir. Aucun de mes muscles ne répond plus. C'est comme une gigantesque crampe qui racornirait chaque muscle, jusqu'au plus petit, en lui appliquant une tension insoutenable. Je crois que je vais mourir. Je n'ai jamais eu aussi mal.






SOL

Jour J
Je l'ai mordue, elle s'est réveillée. Elle s'est mise à vomir et à se contorsionner. Je la sens dans le noir. Je voudrais l'aider, mais je ne peux rien pour elle. Heureusement, la nuit est tombée très vite et elle est tellement dense que la caméra du sas ne peut même plus apercevoir nos silhouettes, c'est sûr. Ce n'est pas la Cita. Dans la Cita, les dômes amoindrissent l'obscurité, la recouvrent de leur voile blanchâtre. Je ne savais pas qu'il pouvait faire aussi noir que ça, dehors. Zia roule dans la poussière comme un animal blessé. Je n'ose même pas la toucher tant sa douleur est palpable. J'aurais peur d'en ajouter à la souffrance. Pas une partie de plaisir, avait dit M. Mestre. Si un jour je le revois, je lui dirai ce que je pense des litotes.
Si un jour je le revois.
Quand Zia aura moins mal, quand toute mon attention ne sera plus focalisée sur ce qu'elle endure, je pourrai me réjouir de ce que mon cerveau enregistre en parallèle. Je n'ai même pas toussé. Ça pique la gorge, ça gratouille, mais c'est respirable. Je respire. Il paraît qu'on ne peut pas tenir plus de quelques minutes dans l'air vicié qui nous englobe ici. Je ne sais pas qui a décrété ça. Pour l'instant, je respire. Pour combien de temps ? Difficile à dire. Mais dans l'immédiat, c'est respirable. Je ne sais pas ce que nous allons faire. Partir, dans cette immensité insondable où l'on ne verra même pas nos pieds en marchant ? Attendre que le jour se lève ? Je ne sais pas. Chaque chose en son temps.







ZIA 

J-7
Ça se calme, ça reflue. Le raidissement s'amenuise, mes cellules défusionnent les unes des autres, mes muscles reprennent progressivement leur place. J'ai cru que ça ne s'arrêterait jamais. Mon corps est tout endolori, meurtri, épuisé. Mais, étonnamment, je suis toujours en vie. Aveugle, manifestement, mais en vie. Je m'essuie la bouche et entreprends de me redresser. A genoux, d'abord. On verra après. Trop éreintée pour tenter quoi que ce soit d'autre. Je passe mes mains sur mon visage et partout sur mon corps, pour vérifier que tout est là. Et tout est là. J'ai soif, j'ai mal, je suis crevée, mais je suis là. Le soulagement, cependant, est de courte durée. Un mouvement furtif dans mon champ de vision m'arrache un cri de stupeur.
- Zia, c'est moi !
La tension retombe d'un coup. Moi ? SolènnDirine ?














ZIA

Jour 0.
Deuxième jour 0 de notre vie. Quand tout bascule. Quand l'équilibre se rompt d'un coup et que nous sommes aspirés dans tout autre chose que ce que nous connaissions jusque là. Il semblerait que le destin aime nous voir faire les grands sauts ensemble, SolènnDirine et moi.
Je sens sa présence, tout près. Une seconde embarrassée plane entre nous puis nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Mes mains s'agrippent à son dos, je ne veux plus qu'il me lâche, plus jamais. Sa respiration dans mon cou est d'une telle douceur. Rien que pour ça, ça valait le coup de sortir avec une semaine d'avance, non ? Il m'embrasse sur la tempe, j'adore la légère décharge qui se répand dans mes veines. Je ne sais pas ce qui adviendra. J'inspire son odeur, je le serre le plus fort possible. Je veux pouvoir me souvenir de ça. Quoi qu'il arrive.
- Pourquoi tu as fait ça ? chuchote-t-il en prenant mon visage à pleines mains.
Il parle tout bas, à cinq centimètres de mon visage.
- Tu es complètement folle, tu sais ?
Sérieux, c'est lui qui me dit ça ?
Je ne réponds pas, je me laisse envelopper par sa voix. Ça fait comme un cocon rassurant. Je le laisse parler. Il dit que je ne suis pas aveugle. Lui non plus n'y voit rien dans cette espèce de nuit compacte qui nous entoure. Il dit que ça fait peut-être une heure qu'on est dehors et qu'on n'est pas morts, il dit que Jasmine avait peut-être raison. Qu'il existe peut-être autre chose. Il dit qu'on va marcher droit devant, à tâtons, en espérant trouver une brèche dans le mur d'enceinte. Il dit :
- Il y a de l'espoir, Zia.
Son ton est grave, mais j'entends son sourire dans le noir profond. J'inspire l'air vicié qui nous maintient en vie, du moins pour le moment. Je savoure le mot « espoir ». Je regarde SolènnDirine sans le voir.
J'ai bien envie de le croire.

Fin

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant