Chapitre 12

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ZIA 

J-11

Allongée sur mon lit dans le noir, les mains sur le ventre, les paupières closes, je ne suis plus bonne à rien. Le néant m'enveloppe, suffoquant, quand soudain, la porte de ma chambre s'ouvre à la volée.

- Zia !

Je m'assieds sur mon matelas et cligne des yeux.

- SolènnDirine ?

C'est incroyable, la vitesse à laquelle le trou béant se met à se reboucher. Je peux presque sentir mes cellules se rapprocher les unes des autres.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Il fallait que je te voie, halète-t-il.

Il est lumineux et c'est contagieux. Je plonge dans son regard, je le retrouve, il est là. Essoufflé, souriant. Je m'apprête à me lever mais c'est déjà trop tard. M. Bubble apparaît dans l'embrasure de la porte, brisant l'ambiance. On dirait bien qu'ils jouaient au chat et à la souris dans le couloir, ces deux-là. SolènnDirine repart à reculons, un sourire aux lèvres. Une fois la porte refermée, j'entends M.Bubble grogner. Un 'clac' sonore (SolènnDirine vient de se prendre une gifle) et leurs pas, à tous les deux, qui s'éloignent dans le couloir. Je me rallonge, fébrile. Je ne sais pas si je vais savoir dormir, je suis en ébullition.






SOL

J-3

Je suis dans le sas. Dans le sas. C'est trop tôt, mais j'ai beau tambouriner contre la porte, personne ne vient m'ouvrir. J'ai mal aux mains à force de taper. J'ai encore du temps ! Je hurle. Laissez-moi revenir ! Laissez-moi ! Je sursaute en sentant quelque chose se poser sur mon épaule. Une main. je me retourne, Zia est là. Elle me sourit tristement.

- C'est la fin, me dit-elle.

J'abandonne instantanément mes espoirs de retour en arrière. Zia attrape ma main, ce qu'elle n'aurait jamais pu faire avant, et nous nous approchons de la sortie, ensemble. Par la lucarne, j'aperçois une silhouette. Je plisse les yeux et la silhouette fait volte-face. Jasmine. C'est elle, elle nous fait un signe, sourit et s'enfonce dans le brouillard qui l'engloutit. Disparue. Un bip retentit. Zia serre mes doigts. La porte extérieure s'ouvre dans un souffle. Zia et moi retenons instinctivement notre respiration. Un dernier regard, appuyé, puis nous sortons, main dans la main. Je suis dehors. Pour la première et dernière fois de ma vie, je suis hors de la Cita. La Cita, seule bulle d'air encore présente sur la surface de cette planète devenue si dangereuse. Je fais quelques pas avant de sentir l'air ambiant attaquer mes muqueuses, ma peau, mes yeux. Ma gorge me brûle. Mes poumons sont en feu. J'essaie de crier mais aucun son ne sort. Je lâche la main de Zia et je m'effondre. Mes mains, posées au sol, commencent à se cloquer. Le sang qui coule aux commissures de mes lèvres atterrit dans la poussière. Courbé en deux, je lève la tête vers la brume. Le cri de douleur qui me transperce m'arrache les tripes. Le sang coule maintenant à flot. Je crache du rouge. C'est dégueulasse. Ça fait trop mal. Zia ! Où es-tu ? Je ne vois plus rien ! Mes yeux fondent ! Putain ! Mes yeux fondent ! Zia !

Je me redresse d'un bond et projette la couverture au loin. Je saute de mon lit et aspire une énorme goulée d'air, bouche grande ouverte. Putain de cauchemar. Il me faut une seconde pour en être certain : je suis vivant, je n'ai pas fondu. Quelle horreur. Putain, quelle horreur ! J'écarquille les yeux au moment où le message me frappe de plein fouet : Jasmine ne s'est pas contorsionnée. Elle est tombée d'un coup. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Elle s'est affalée par terre, sans gesticuler de douleur, sans attraper sa gorge de ses deux mains, sans essayer d'arracher sa combinaison pour tenter d'enrayer la formation de cloques sur sa peau. Elle est tombée... comme quelqu'un qui aurait pris l'Antafarax. Ils le lui ont donné. Elle n'a jamais eu le choix. Mais pourquoi ? La question interdite flotte devant moi. Je suis toujours debout, à côté de mon lit, les bras ballants. Pourquoi ? Pour lui éviter d'inutiles souffrances ? A d'autres. Pour l'empêcher d'aller voir plus loin ? Savent-ils ce qu'elle aurait trouvé ? Combien de temps aurait-elle marché ? Maintenant que j'y pense, ça fait quelques jours que Mademoiselle Hélène bâcle la fin de ses histoires du soir. Elle n'agite plus sous notre nez toutes ces horreurs qu'elle détaille d'habitude avec insistance. Les horribles souffrances, l'acidité de l'air. Passe-t-elle cela sous silence pour nous éviter de faire le rapprochement avec Jasmine ? Pour nous tenir éloignés de questions légitimes sur ce qu'il y a dehors ? Oh, merde... Je dois en parler à Zia.

Je me retrouve à nouveau à courir à perdre haleine dans les couloirs. Je glisse en bifurquant, me rattrape in extremis pour éviter de m'étaler au sol. Je déboule comme un fou dans sa chambre. Derrière moi, la caméra bourdonne.

- Ça va devenir une habitude ! sourit Zia en frottant ses yeux endormis.

- Zia, écoute !

Je m'approche tout près. Et la voir comme ça, toute endormie, le sourire jusqu'aux oreilles, un peu gêné, les cheveux en pétard, ça me met le cœur en vrac. Ils n'ont pas le droit de lui voler son avenir. Si ça tombe, il y aurait un avenir possible. Dans mon dos, j''entends déjà la porte s'ouvrir. C'est pas vrai, ils ne peuvent pas me lâcher une seconde ? Je ne vais pas avoir le temps de lui exposer mes doutes, mes craintes. Mes espoirs fous. M. Bubble grogne mon nom. Les mots se bousculent dans ma bouche.

- Dimanche prochain, ne les laisse pas...

Je n'ai pas le temps de finir, un bras enserre soudain mon cou. M. Bubble me relève de force, son avant-bras m'écrase le larynx. Zia s'est mise à crier, ce qui semble faire hésiter mon agresseur.

- Ne prends... soufflé-je au moment où il relâche légèrement sa prise.

Le poing de M. Bubble atteint ma tempe, la douleur se propage jusque dans ma mâchoire. Impossible d'aligner deux mots de plus. Zia est une vraie furie, elle s'accroche au bras du molosse et gesticule dans tous les sens en criant. L'Antafarax, Zia. Ne prends pas l'Antafarax. Ma bouche s'ouvre pour tenter de bredouiller une ou deux syllabes. De mettre Zia sur la piste. Le poing de M. Bubble revient à la charge. Douleur aigue. Voile noir. Puis plus rien.






ZIA

J-10

M. Bubble m'entraîne dans le couloir.

- On va laisser Sol se reposer, dit-il tout haut à l'intention de la caméra.

Je me demande qui pourrait être derrière son écran en plein milieu de la nuit. M. Bubble me serre le poignet trop fort. J'ouvre la bouche mais son regard dur, féroce, m'empêche de protester. Il a frappé SolènnDirine comme une bête, je n'en reviens pas qu'il ait osé faire ça, et puis il l'a abandonné sur mon lit. J'ai vérifié qu'il respirait. Il va avoir un sacré mal de tête en se réveillant. S'il arrive à se lever, il verra qu'il est prisonnier, M. Bubble a fermé ma porte à clé. Qu'est-ce que SolènnDirine s'apprêtait à dire de si important ? Je ne crois pas que M. Bubble lui ait mis son poing dans la figure sans une bonne raison. Ce n'était pas seulement pour protéger ma vertu ou pour lui faire regretter sa petite escapade nocturne, il y a autre chose. Ne les laisse pas... Ne prends... Dimanche prochain. Ma dernière émission. Ne les laisse pas te faire croire que je suis amoureux de Lali ? Ne prends pas ce qu'on te dit pour argent comptant ? M. Bubble et Mademoiselle Hélène mettent tant d'ardeur à garder SolènnDirine en vie, même contre son gré. Je repense aux paroles de ma conseillère et au vide en moi qui se rebouche à grands pas depuis que SolènnDirine est apparu sur le seuil de ma porte hier. Si je veux qu'il vive, il faut que je le laisse tranquille. Je le sais parfaitement, mais ça n'empêche pas une petite voix de me susurrer sans cesse à l'oreille : « Est-ce vraiment vivre que d'être séparés ? »

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant