Chapitre 13

7 0 0
                                    

SOL

J-3

M. Bubble est venu me chercher. Quand il a ouvert la porte, j'ai eu un mouvement de recul que j'ai immédiatement regretté. Je me redresse, j'ai l'impression que ma tête est extrêmement lourde, que mon crâne a triplé de volume. Et, merde, je frémis. J'aimerais qu'il n'ait rien remarqué, mais je ne suis pas dupe, il sait que j'ai peur, même si j'essaie de le cacher en serrant les dents et les poings. Il m'ordonne de me lever et de me taire. Nous sortons de la chambre. Qu'a-t-il fait de Zia ? Je n'ose pas poser la question. De toutes façons, c'est lui qui ouvre la bouche :

- Pas de chance, marmonne-t-il face caméra, te vautrer comme ça contre l'armoire en arrivant dans la chambre de Zia.

J'inspire profondément en regardant droit devant moi ? Ok, on joue à ça ?

- On n'a pas idée de courir si vite, poursuit M. Bubble d'un ton calme. Tu voulais lui dire quoi de si urgent, au fait ?

- Rien.

Il me jette un coup d'œil en biais. C'est bon, je crois que je connais les rouages de la Cita aussi bien que toi, connard, je ne vais pas me griller ni mettre Zia dans la merde, t'inquiète.

- J'ai fait un rêve. Elle était sortie, fais-je d'une voix blanche. Je voulais juste m'assurer qu'elle était là. C'était con, je sais, mais j'avais besoin d'être sûr.

- Et tu t'es pris les pieds dans le tapis en arrivant ?

- On dirait.

Il marque une pause puis reprend, adouci :

- Bah, ne te fais pas de souci, on veillera sur elle pendant ton absence.

Absence ? Je lève les yeux vers lui. Si seulement il n'était pas si grand, si baraque. C'est quoi cette histoire ? De quelle absence parle-t-il ?






ZIA

J-10

- Quoi ?

Mademoiselle Hélène répète ce qu'elle vient de dire pour l'ensemble de mon groupe d'études. Belline et Daemon me font signe de me rasseoir et de la mettre en veilleuse, mais je suis debout, les mains à plat sur mon pupitre. Ça m'évite de tomber à la renverse.

- Quoi ? fais-je à nouveau. Parti ? Parti où ?

- Il va vivre chez les parents de Lali jusque dimanche, me répond Mademoiselle Hélène avec un sourire forcé. Sol a besoin de s'acclimater davantage, de passer du temps avec sa promise...

Ma main se plaque toute seule contre ma bouche. Promise ? Depuis quand ? Rien n'est acté ! Rien n'est décidé ! J'attrape mon cou de mon autre main. Ça tiraille, ça pique. J'en ai les larmes aux yeux. Mes cordes vocales sont paralysées, ma voix réduite à un filet inaudible.

- Mais...

C'est le seul mot qui sort, et ça m'arrache la gorge.

- Pas de mais, Zia, assène Mademoiselle Hélène de son ton de maîtresse d'école, c'est ce qu'il y a de mieux pour Sol. Quant à Oggy et Lorna, ces deux amours de parents adoptifs potentiels, ils doivent prendre leur décision finale dimanche. Passer du temps avec Sol, mieux le connaître, ça les aidera sûrement à trouver en eux la bonté d'âme nécessaire pour mener à bien ce magnifique projet qui sauvera l'un des vôtres.

Elle m'adresse son fameux regard. Celui qui me fait inévitablement baisser les yeux. Celui qui m'oblige à me rasseoir sur ma chaise, celui qui me remplit de honte et me fait me sentir vraiment mal à l'aise.

- Sauver Sol, conclut-elle (et sa voix résonne jusque dans mes os), c'est ce que l'on veut tous, n'est-ce pas Zia ?





SOL

J-3

A la sortie du tunnel C2, quand nous passons dans l'angle mort, M. Bubble m'arrête et m'avertit : en haut lieu, on commence à en avoir marre de mes enfantillages. Enfantillages, c'est le mot qu'il emploie. Offrir du spectacle, divertir les masses, oui, mais pas à n'importe quel prix. Et là, ça commence à déraper. D'après M. Bubble, c'est ma dernière chance. Il faut que je donne aux citoyens ce qu'ils attendent : un sauvetage, une romance, et de futures émissions « Que sont-ils devenus ? ».

- Les gens t'aiment, c'est comme ça, fait M. Bubble en haussant les épaules comme si ça lui semblait insensé. Les statistiques montrent que c'est toi que visent plus de la moitié des zooms !

Super, ça me ravit.

- Si tu n'étais pas aussi suivi, les autorités n'auraient jamais laissé Oggy et sa femme se positionner pour toi.

Et pourquoi ? Question évidemment imprononçable, même hors champ.

- S'ils t'ont donné une chance, c'est parce que le public te plébiscite. Ils craignaient que ta sortie n'entraîne une déprime générale.

Je ne peux pas m'empêcher de me mettre à rigoler. Une déprime générale, n'importe quoi.

- Tu ne peux pas comprendre, s'agace M. Bubble, si tu voyais ma femme, toujours vissée à son écran, à suivre vos moindres faits et gestes.

C'est une blague ? Il m'a collé son poing dans la tempe à deux reprises et maintenant, il me parle de sa femme ?

- On n'a jamais pu avoir d'enfants (il hausse le ton, visiblement énervé). Elle vous regarde et pour elle, c'est comme d'être mère par procuration. Elle me pose sans cesse des questions, elle me raconte tout ce que je sais déjà, ce que vous avez bouffé à midi, ce qui s'est passé dans la salle commune, les bourdes de Zacharie, les impertinences de Zia, et bien sûr, toi, et ta gueule d'ange, vous tenez le haut du pavé.

Ok, je comprends pourquoi il a frappé si fort. On a un passif. Il s'est rapproché, il fulmine. Je ne reculerai pas, je ne lui ferai pas ce plaisir. Au contraire, je me penche très légèrement en avant, prêt à répliquer, mais je reste bouche bée. Je ne sais pas quoi dire. Il faut dire que c'est la première fois que j'entends M. Bubble parler autant. Je vous jure, d'habitude, quand il aligne cinq mots, c'est fête. Jamais je n'avais imaginé que je pouvais susciter ça. Cette rancœur, cette colère froide. M. Bubble meurt d'envie de m'envoyer au tapis, je le sens. Je souris en coin en imaginant sa femme, plongée dans son feuilleton made in Cita. Et, désormais, c'est dans mes yeux qu'il peut lire la pitié que j'avais décelée hier dans son regard.

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant