SOL
Jour J
Je n'avais pas prévu que voir la Cita de l'extérieur me ferait un tel effet. Les dômes ronds, symboles de vie dans cet univers décharné, me semblent sortis de nulle part. Comme si un géant les avait posés là, au milieu d'un gigantesque noman's land. Face à moi, à quelques dizaines de mètres, se dresse le mur d'enceinte. Sur ma droite, sa trajectoire s'incurve, il se rapproche du dôme principal. Je plisse les paupières, je n'y vois pas grand-chose. L'air ressasse un amas de petits points noirs qui m'encerclent comme des moucherons. Le sol est gris. Rien ne pousse. Il n'y a rien. Des cailloux, c'est tout. Tout ce qu'on entraperçoit au moment des sorties est vrai : gris et mort, c'est le monde de dehors. La Cita n'avait pas menti.
Je garde une respiration superficielle, la plus superficielle possible. Tout pour éviter de laisser l'acidité ambiante me brûler de l'intérieur. Mes yeux s'habituent progressivement à la pénombre mouchetée. Le soir réduira bientôt la visibilité à néant. Je regarde derrière moi une dernière fois. Le sas est comme une bouche ouverte, béante. Un trou dans la paroi parfaite qui m'a protégé jusqu'à aujourd'hui. Aurais-je dû prendre un autre chemin ? Maintenant que je suis là, les autres possibilités réapparaissent. Elles n'étaient pas si mauvaises, peut-être. Mais j'ai choisi. J'ai choisi de sortir.
Quel crétin.
ZIA
J-7
- Carl !
Je me suis levée. Je me vois sur l'écran, en face.
- Carl !
Tout occupé à réconforter Lali qui s'est recroquevillée dans son fauteuil, entourée de toute l'inquiétude de sa mère et de la sollicitude de son père, Carl se tourne vers moi, sourcils froncés. Qu'est-ce qu'elle me veut, celle-là ? lis-je dans ses yeux. Je ne sais pas ce que je veux. La seule chose que je sais, c'est ce que je ne veux pas. Je ne veux pas rester ici, dans ce monde qui n'existe plus. Carl abandonne Lali et s'approche. La caméra élargit le plan. Nous nous faisons face. Son regard dur m'interpelle. J'espère que ça valait le coup de me déranger, me prévient-il silencieusement. De mettre ton grain de sable dans mon émission. Je ne sais pas si ça en vaut la peine, mais ce qui est certain, c'est que je ne peux pas rester là une seconde de plus.
- Zia ? m'interroge notre présentateur vedette d'un ton hautain.
Je repère Mademoiselle Hélène, affalée sur un siège. Cela ne lui ressemble pas du tout, de se vautrer ainsi dans sa peine. Elle qui est toujours si forte. Le roc s'est effrité, dirait-on. J'ai mal pour elle. Même si elle est souvent sévère, quitte à paraître sans cœur, elle nous protège à sa façon. Avoir cru sauver SolènnDirine, l'avoir porté à bout de bras jusqu'au seuil de l'orphelinat, lui avoir ouvert les portes d'un avenir radieux, et le voir ainsi tout gâcher, ça doit être terrible. C'est terrible. Pourquoi a-t-il fait ça ? Mes yeux glissent vers l'écran central. L'œil du sas l'a suivi. Il s'est légèrement éloigné. Pas beaucoup. Il vacille et se retrouve à genoux dans la poussière. Mon cœur s'arrête. J'entends Lali pousser un hurlement déchirant. Du coin de l'œil, je vois Miss Lorie s'essuyer le nez. Mademoiselle Hélène ferme les paupières. Les bip bip se sont tus. Tout le monde regarde SolènnDirine offrir son dernier spectacle. C'est insoutenable. Je détourne le regard et mes yeux se posent sur Carl Preston, qui est maintenant à un mètre de moi. Il n'y a que trois mots qui me viennent. Les trois seuls mots possibles après ça.
- Je voudrais sortir.
LALI
J'éclate de rire entre deux sanglots. Un rire nerveux qui me secoue des pieds à la tête et me tord le ventre. La voilà à nouveau en plein milieu de l'écran central ! C'est sa faute à elle. C'est à cause d'elle qu'il a pris cette décision foireuse, qu'il m'a laissée tomber. Devant tout le monde. Je repousse la main protectrice de maman, qui m'a menti, qui s'est trompée sur toute la ligne. Il l'oubliera, il ne pensera plus à elle. Tu deviendras son unique centre d'intérêt. Mon œil, oui ! C'est elle, toujours elle. Depuis le début c'est elle. Qui me cache la lumière, qui m'empêche de rêver, d'obtenir ce que je veux. C'est elle qui vient d'envoyer Soli dans le sas. Et c'est elle qui va finir avec lui. Tout le monde rira de moi maintenant, me regardera d'un air condescendant. La fille qui n'a pas su retenir Soli. La fureur m'éclabousse d'un coup. Une myriade de gouttelettes couleur sang. Je vois rouge. Littéralement. Je me redresse d'un bond et traverse le plateau en courant. Je la percute de plein fouet et l'envoie valdinguer au sol. Elle ne s'y attendait pas, les yeux rivés vers Carl Preston, à jouer à nouveau à la fille distante. Elle ne veut pas de sa semaine supplémentaire ? Même ça, ça n'a pas d'importance pour elle. Elle ne respecte rien, je vous dis. J'entends Carl Preston crier mon prénom mais ça ne m'empêche pas de frapper. Elle a mis ses avant-bras devant son joli minois pour se protéger, qu'à cela ne tienne, je vais viser les tempes.
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Sept jours
General FictionJ-14 Il ne lui reste que 14 jours. Bientôt, il devra sortir de la Cita, quitter sa bulle protectrice. Dehors, l'air est vicié, impossible à respirer. Il ne peut pas rester, il ne veut surtout pas sortir. Sortir, c'est mourir. J-8 Plus que 8 jours. N...