ZIA
J-8
Hier, j'ai espéré durant toute la journée voir réapparaître SolènnDirine, mais il semble que Mademoiselle Hélène ait réussi à l'éloigner définitivement. Je suis à bout de nerfs. Et de forces. Allongée à plat ventre sur le sol de ma chambre, je pousse un de mes lacets dans l'interstice, sous la porte. Ça fait des heures que j'ai poussé la clé avec une petite barrette de métal que j'avais piquée sur le rebord du lavabo, plus tôt, dans la salle de bains. La petite barrette - qui appartient à Pippa - a été un véritable miracle. Juste comme il fallait. On aurait dit qu'elle avait été faite pour ça. La clé a bougé. Elle a reculé, doucement, et elle est tombée dans le couloir. J'ai attendu, en apnée, que quelqu'un arrive, alerté par le bruit mat, mais personne n'est venu. Alors je me suis mise au travail. A essayer de passer mon annulaire dans l'interstice trop étroit, à pousser tout doucement la barrette dépliée vers cette putain de clé. Je me suis donnée à fond pendant toute la nuit, à pester, à pleurer, à frapper de toutes mes forces contre mon matelas avant de revenir m'installer au sol, plus concentrée que jamais. Sans succès. Le matin arrive, et la clé est toujours de l'autre côté. J'entends des pas dans le couloir. Merde, c'est trop tard. Je me redresse, engourdie, et je recule. Les pas s'arrêtent devant ma porte. Une main attrape la clé sur le sol, la fait tourner dans la serrure, actionne la poignée. La porte s'ouvre sur Mademoiselle Hélène. Elle me fixe d'un air réprobateur, limite honteux. Qu'a-t-elle engendré ? Une traître, une dénata. Elle tient ma clé dans sa main, elle me la présente, sans mot dire, et la glisse ostensiblement dans sa poche. Mes yeux suivent le mouvement. On sait toutes les deux que je sortirai plus de cette chambre sans qu'elle l'ait décidé.
- Petit déjeuner, annonce-t-elle.
Ça y est, je suis décidée. J'attendrai dimanche soir, comme ça je reverrai une dernière fois SolènnDirine lors de son émission. Je pourrai lui sourire, il verra que c'est ok, qu'il peut suivre Lali et accepter le marché. Après ça, quand notre petit groupe reprendra le chemin de l'orphelinat, juste avant l'entrée du tunnel C2, juste dans l'angle mort qui nous appartient à SolènnDirine et moi, je prendrai mes jambes à mon cou. Voilà le plan. Il n'a rien de génial, mais c'est le seul que j'aie. Je n'attendrai pas mon jour J sans rien tenter. Ce serait humiliant. Alors, aujourd'hui, ce sera jour de récolte. Tout ce qui me tombera sous la main et qui me semblera utile à un projet d'évasion atterrira dans ma poche. Il faudra surtout que je trouve un truc pour occuper les adultes dans l'angle mort. Une distraction qui me laisserait le temps de filer. Pour aller où ? me direz-vous. Aucune idée. Peut-être que l'idée, c'est juste de leur montrer à tous que je ne leur appartiendrai jamais.
SOL
J-1
Ce jour est des plus étranges. Lali se prépare à aller en cours, je l'accompagne. Ses parents sont partis travailler. Les rues sont calmes, elles se réveillent. Je regarde la Cita qui s'anime. Un gosse passe en trottinant, Lali l'apostrophe gentiment. Certains gamins courent en sens inverse, ils espèrent avoir le temps de jouer à la rivière pendant quelques minutes avant leur première heure de calcul ou de morale. Svea, Lance et Niels discutent tranquillement devant l'école. Je sais que je devrais serrer la main des deux garçons et embrasser Svea sur la joue, mais les habitudes sont bien ancrées. Chez moi, on ne se touche pas. Niels range sa main tendue, il s'excuse d'un haussement d'épaules. Lance et lui sourient, ils se balancent des petites blagues. Tout ce qu'il faut pour commencer une bonne journée ordinaire. Ils ont tous un avenir. Toute la Cita a un avenir et l'écran de la place centrale n'a pas bougé d'un millimètre. Pour eux, demain est un demain comme les autres, qui deviendra un aujourd'hui, puis un hier. Pour moi, c'est J-1.
ZIA
J-8
Ma main se referme sur le manche d'un couteau qui traîne sur ma table. Je jette un œil alentours et le rapproche tout doucement de mon bol de nutic. Je vais le faire tomber discrètement sur mes genoux, en espérant que personne ne soit en train d'examiner attentivement les images enregistrées par la caméra fixée au plafond au-dessus de moi. Encore quelques millimètres, il est sur le bord. Mes yeux se promènent, ils font le gué. Juste avant que mon index ne pousse le manche une dernière fois, ils rencontrent ceux de Mademoiselle Hélène. Un mouvement de sa part, imperceptible, et je comprends qu'elle a suivi mon manège. Elle s'approche, mine de rien, sans me lâcher du regard, puis attrape mon bol vide ainsi que le couteau.
- Tu ne te sens pas bien ? me demande-t-elle d'un ton mielleux.
Je ne réponds pas, mais elle enchaîne :
- Tu es toute pâle. Tu devrais aller te reposer, je vais t'accompagner.
D'un geste, elle s'assure du renfort de M. Grige. Elle a peur que je tente de lui fausser compagnie, elle resserre le collet. Un frisson me parcourt le dos. Le jour de récolte est bien mal engagé. Escortée par mes deux gardes et par le ronronnement des caméras, je me retrouve de nouveau dans ma chambre. Mademoiselle Hélène congédie son collègue et entre avec moi. Elle sort la clé de sa poche et j'espère durant une seconde improbable qu'elle va me la tendre et m'indiquer un passage sûr pour sortir d'ici sans encombres. N'importe quoi. Au lieu de ça, elle s'agrippe au petit morceau de métal en disant qu'elle « comprend que ce soit dur pour moi ». Il paraît que j'ai besoin de me calmer et de réfléchir. Elle me sourit avant de refermer la porte, elle a l'air sincère. J'écoute le bruit que fait la clé dans la serrure et mes yeux tombent sur les deux bouteilles de nutic qu'elles m'a laissées. Deux bouteilles pleines de Mini A. Je suis revenue à la case départ. J'ouvre un bouchon et sirote le liquide doucereux. Mince, j'ai enfilé toute la bouteille, je me sens vaseuse. Je m'allonge et fixe le plafond. Lali aurait dû apparaître beaucoup plus tôt dans nos vies, j'aurais envisagé autre chose que le sas depuis longtemps si elle avait offert un avenir à SolènnDirine il y a quelques mois, quelques années. En tous cas, c'est ce que je me dis avant de sombrer, c'est ce que je me dis pour éviter de penser que j'ai laissé la Cita gagner.
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Sept jours
General FictionJ-14 Il ne lui reste que 14 jours. Bientôt, il devra sortir de la Cita, quitter sa bulle protectrice. Dehors, l'air est vicié, impossible à respirer. Il ne peut pas rester, il ne veut surtout pas sortir. Sortir, c'est mourir. J-8 Plus que 8 jours. N...