Chapitre 15

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SOL

J-2

Vendredi. Il faut que je trouve quelque chose. Zia a-t-elle compris ce que je voulais lui dire ? Ne prends pas l'Antafarax, s'il te plaît. Il y a de l'espoir, plus j'y pense plus j'en suis sûr. Sinon, ils auraient laissé Jasmine crever à petit feu sous nos yeux. Ça aurait fait un exemple. Et tout le monde serait resté rivé à son écran, je vous assure. Peut-être même que ça aurait battu les records de rediffusion. S'ils sont passés à côté de ça, ce n'est pas pour rien. Sans compter que d'autres personnes ont dû arriver aux mêmes conclusions que moi. Ça peut être dangereux que les gens se posent des questions, mais ils ont pris le risque. Bon, d'un autre côté, je suis bien le seul que ça intéresse, j'imagine. Personne ne risque de se retrouver dans le sas dans trois jours, à part moi.

Ok, j'ai besoin de me calmer et de poser les choses : premièrement, il faut que je m'arrange pour rester en vie. Deuxièmement, faire profil bas pour avoir des chances de retourner à l'orphelinat la semaine prochaine. Troisièmement, quand je la croiserai à la sortie de la salle commune, tranquillement, je la préviendrai, je lui dirai de ne pas le prendre, de marcher droit devant elle. Et après ? Combien de temps tiendra-t-elle ? Et même si elle arrive à survivre quelques heures ? Comment pourrai-je l'aider de l'intérieur ? C'est quoi le plan ?

- Tu voudrais rejoindre M. Mestre plutôt que d'aller en cours ce matin ? me demande Oggy.

Cool ! C'est la meilleure proposition qu'on m'ait faite depuis un bout de temps ! Je fais mine d'hésiter.

- Ça ne dérangerait pas Lali que je m'absente quelques heures ?

- Non, on sait tous que le jardinage c'est ton truc, hein ? Et Lorna, elle ne jure que par les orties, alors elles comprendront bien toutes les deux que t'aies besoin de ta verdure !

- La verdure, c'est la vie, fais-je avec un sourire que j'espère sincère.

- Gloire à notre belle Cita, rétorque Oggy avec un claquement de langue.

Oui, gloire.

- M. Mestre t'attend dehors.

Ne pas courir. Marcher d'un pas mesuré. Passer le seuil. Enfin. M. Mestre est là, dans son habit de travail. Je lui donnerais bien une accolade.

- Prêt ? me demande-t-il, laconique.

Je souris et lui emboîte le pas. Mais ma joie est de courte durée. Un léger bruit, derrière moi, m'incite à me retourner. M. Bubble couvre nos arrières, bien sûr.

La Varia inquiète M. Mestre. Il voudrait éviter la propagation. Ça me fait du bien de réfléchir à des choses concrètes. Nous entreprenons de déraciner un nouveau pommier sous les yeux de M. Bubble. Il ne pourrait pas venir nous aider, avec ses muscles saillants ? Non, il reste bras croisés, à nous observer bosser. Ça m'énerve, je suis moins attentif à ce que je fais, ma main ripe sur le tranchant de ma bêche alors que j'essaie de la dégager d'une racine dans laquelle elle s'est coincée. Merde, coupure à la base du pouce, ça saigne. Mon doigt s'approche machinalement de ma bouche. La salive, antiseptique naturel, non ? M. Mestre m'arrête net :

- Ne fais pas ça, malheureux !

Je reste, un peu bête, la main en l'air.

- T'as touché le tronc plein de Varia, p'tit gars. Si tu fais ça (il sort sa langue comme s'il léchait un glaçon de nutic), tu vas vomir tout ton p'tit-déj, et je te jures que ce ne sera pas une partie de plaisir !

Ma main retombe. M. Mestre trouve un bout de tissu dans sa poche. Pas des plus propres, mais ça ira. Je poursuis mon travail, en essayant de ne pas appuyer sur ma blessure. Ça picote, et tant mieux. Pendant que je pense à bien positionner ma main et à éviter d'ouvrir davantage la plaie, je me vide la tête du reste. Et pourtant, il faut que je me concentre sur le reste. Le tic tac résonne dans ma tête. Plus que quelques jours pour trouver une solution. Je lève les yeux vers le dôme qui nous protège – qui nous retient prisonniers. Pas moyen de sortir. Même si je l'attaquais à coups de bêche, il ne céderait pas. Il est fait pour résister à tout, on l'a assez appris en cours. Pour sortir, il y a le sas. Et pour rentrer ? Pourrais-je faire revenir Zia après sa sortie ? Je pense à la rivière. Entrer par le tunnel ? Le système d'épuration laisserait-il passer un humain ? Non, c'est stupide. Rien de plus épais qu'une goutte d'eau ne peut traverser, ça semble évident. J'ai beau tourner le problème dans tous les sens, rien ne me vient. Je ne peux pas empêcher Zia de sortir, je ne peux pas la faire rentrer si elle se retrouve dehors. Il faut que je m'arrange pour la faire adopter ou pour lui trouver un taf, je ne vois rien d'autre. Peut-être puis-je miser sur la non-rentabilité du vieux voisin de Lali. Surveiller le compteur de la place centale, espérer qu'il bouge avant la semaine prochaine. Non, s'il vous plait, ne me dites pas que les probabilités sont nulles. Gardez cela pour vous, je ne veux pas l'entendre. Le temps est contre moi, les statistiques sont contre moi, la Cita est contre moi. Elle se délecte d'avance de mon malheur, de celui de Zia. Je peux presque percevoir son contentement, son ronronnement. La Cita se pourlèche les babines rien que d'y penser.

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant