SOL
Jour J
L'heure de l'émission approche. Lorna m'a prêté un habit tout propre. Ça me fait bizarre de porter les vêtements d'un autre, mais je n'ai pas souhaité pas la froisser en refusant. Après coup, je me suis dit que j'aurais dû sauter sur l'occasion, arguer que c'était trop grand, ou trop petit. J'aurais eu un prétexte pour retourner à l'orphelinat chercher mes affaires. J'aurais peut-être pu parler à Zia. Dommage. Occasion ratée. Nous arrivons déjà dans les studios. Lali passe sa main dans la mienne. Ça me gêne terriblement. Qu'elle fasse ce genre de choses quand nous sommes sur son territoire, passe encore, mais ici, dans l'antre des orphelins, c'est indécent. Malgré cela, je la laisse faire. Pour l'instant. Elle s'est pomponnée comme jamais. Je dois dire que la caméra ne peut que l'aimer. Elle sait manœuvrer. Même dans les coulisses, alors que rien n'est encore commencé, les cadreurs la cherchent.
- Lali, Sol, ensemble, un sourire.
Nous posons. Dents blanches, yeux pétillants. Factice mais crédible.
- Lali ! Sol ! s'écrie soudain Carl Preston en apparaissant derrière nous.
Il nous serre dans ses bras. Je suis devenu son pote, dirait-on.
- Alors, fait-il en vérifiant qu'il est bien suivi par un de ses gars, comment s'est passée cette semaine ?
Il ne nous laisse pas le temps d'ouvrir la bouche, il se tourne vivement vers son acolyte pour le réprimander d'une voix aigue :
- Allons, espèce de petit tricheur ! On n'a pas idée de traîner dans les coulisses ! Allez, tss, tss !
Il le chasse du bout de doigts. A l'écran, plus loin, on voit la caméra se détourner de nous. Les images en avant première, les spectateurs adorent. Carl Preston arrête net son petit numéro quand il se retrouve hors champ. Il se tourne vers une maquilleuse en bougonnant.
- Qu'est-ce qu'il a fait à sa main ? se plaint-il en jetant un œil dégoûté au bandage qui m'enserre le pouce. il ne pouvait pas faire attention ?
La maquilleuse le suit en trottinant pendant qu'il ordonne aux cadreurs de faire attention à l'esthétique des prises. J'inspire un grand coup. On est dedans, le spectacle commence.
C'est à ce moment-là que je les vois. Ils viennent de passer. Instinctivement, je lâche la main de Lali qui soupire bruyamment. Zacharie court partout, Miss Lorie l'appelle sans conviction. Ça m'étonne que Mademoiselle Hélène ne l'ait pas déjà rattrapé. Je la cherche des yeux. Elle est en fin de peloton. Avec Zia. Merde, j'ai bien peur que ce soit difficile de lui parler en tête à tête. Lali suit mon regard.
- Fais gaffe, Soli, me prévient-elle, il y a des caméras partout ici, ne gâche pas tout.
Je tourne la tête vers elle et la dévisage froidement. Non, Lali, je n'ai pas l'intention de tout gâcher, ne t'inquiète pas pour ça.
- Vous deux, vous restez là en attendant le lancement, nous ordonne un des seconds de Carl Preston.
Je regarde les orphelins s'asseoir sur le plateau, à une vingtaine de mètres à peine de moi. Zia ne m'a pas vu. Elle s'assied dans un fauteuil qu'on lui indique. Plus digne, tu meurs. J'ai envie de rire. Elle les mets tous K.O avec son sourire en coin. Je la regarde et je nous revois, il y a huit ans, deux gamins assis sur le même banc à l'école centrale. Elle avait déjà l'air d'avoir vécu cent ans. Je sais ce que ça m'a fait, quand elle m'a regardé pour la première fois. Pas posé les yeux sur moi, comme elle les pose sur n'importe qui, mais regardé. Vraiment. Jusqu'au fond de l'âme. Ça m'a donné l'impression d'exister pour de vrai. Pas seulement d'être là, de fonctionner, de vivre, mais d'exister. Je l'observe à la dérobée en pensant à tout ça. Je suis conscient que Lali m'observe et qu'une caméra pourrait bien en faire autant, mais je ne peux pas m'en empêcher et quand elle lève les yeux et que nos regards se croisent, c'est comme si plus rien n'existait à part nous. J'espère pour vous qu'un jour, vous ressentirez ce que je ressens quand elle me sourit. J'ai l'impression que nos âmes se mettent à courir l'une vers l'autre, et ce, même si nos corps restent immobiles. Mon cœur se remplit de chaleur, mes poumons inspirent tout seuls, à fond, et mon visage se met inévitablement à sourire. Ça se propage, ça irradie. Elle me rend vivant.
VOUS LISEZ
Sept jours
General FictionJ-14 Il ne lui reste que 14 jours. Bientôt, il devra sortir de la Cita, quitter sa bulle protectrice. Dehors, l'air est vicié, impossible à respirer. Il ne peut pas rester, il ne veut surtout pas sortir. Sortir, c'est mourir. J-8 Plus que 8 jours. N...