Chapitre 23

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ZIA

J-7
Quelqu'un finit par attraper cette folle par la taille pour la tirer vers l'arrière et l'éloigner de moi. Je n'ai même pas su me défendre, je l'ai laissée me taper dessus sans rien faire. Plus tard, quand j'y repenserai, ça me semblera normal, avec la sortie de SolènnDirine, l'état de choc, mais pour le moment, ça me laisse une sale impression. Comme si j'avais laissé tomber. Comme si je m'étais laissée tomber moi-même, pour être plus exacte. Ceinturée par un agent, Lali continue à gesticuler et à hurler. Une vraie furie. Je reste au sol un instant, sonnée. Mon sang pulse dans mon crâne. Miss Lorie s'agenouille près de moi et touche du bout des doigts ma tempe droite, tuméfiée. Je frémis, ça fait mal. Mais ce n'est rien à côté de l'autre douleur. Celle qui occulte tout. Je me redresse rapidement. Un peu trop rapidement, un léger vertige m'oblige à m'agripper à l'épaule de Miss Lorie. Plus loin, on a forcé la furie à se rasseoir. Ses parents l'entourent, elle fulmine et écume de rage.
C'est la première fois que je vois Carl Preston désorienté. Il ne sait plus où donner de la tête. La main posée sur l'oreille, il écoute ce qu'on lui dit et me dévisage. Son regard se voile un instant.
- Sortir ? me demande-t-il comme s'il voulait que je lui explique ce mot.
Sur l'écran, en face, mes lèvres se mettent à bouger. Je regarde mon visage sans le voir. Au-dessus de mon oreille, une méchante auréole violette commence à prendre de l'ampleur. Une voix - ma voix - lui répond :
- Je préférerais ne pas attendre dimanche prochain.
Carl hausse un sourcil. Son air soudain absent m'indique qu'ils lui parlent à nouveau, dans l'oreillette. Il me faut les convaincre. Je ne sais pas par où commencer. Comment expliquer à ces gens qui ne comprennent rien que sans SolènnDirine, plus rien n'a d'importance. Je me rappelle que j'avais préparé un discours pour ma dernière émission. C'était il y a longtemps, avant tout ça, avant que la Cita ne me mette complètement à genoux. A ce moment-là, j'avais encore des rêves, des espoirs, je croyais que changer les choses était possible. J'aimerais retrouver la petite fille que j'étais. Lui dire. La seule solution, c'est de se fondre, de fusionner avec la Cita, d'oublier qui tu es, de rejoindre la masse bien pensante, placide, heureuse. J'ai passé tant de temps à m'opposer en silence. A me renfrogner. Pour quel résultat ? SolènnDirine agonise dans la poussière pendant que la Cita m'observe, d'un air satisfait. Elle a gagné, jamais je ne courrai dans ses rues au départ de l'angle mort, finalement. Quelle était mon ambition, déjà ? Lui montrer que je ne lui appartenait pas, que je restais libre malgré tout ? Quelle blague. Cita 1, Zia O. La Cita gagne dans tous les cas.
- Je ne mérite pas les sept jours que notre belle Cita a encore à m'offrir, murmuré-je assez fort pour que Carl Preston n'aie pas à tendre l'oreille. Je me traînerais comme une âme en peine, je ne veux pas imposer ça à tout le monde.
Carl lève un sourcil provocateur à mon intention. Il n'est pas dupe. Ça sonne un peu trop respectueux. Il a l'air de trouver que ça ne me ressemble pas. On s'en fiche. Ce qui importe, c'est le public. Et justement, quelques bips stridents se font entendre. Puis d'autres. Carl observe l'écran latéral. « Laissez-la le rejoindre » « Sol ne sera pas tout seul, au moins » « Zia et Sol, unis dans l'adversité ».
L'adversité. J'aime les tournures de phrases des habitants d'ici. Edulcorer, c'est leur spécialité. Ça leur permet de ne pas s'investir de trop, de garder la bonne distance. C'est écœurant, mais je n'en ai plus rien à faire. Je veux juste partir d'ici. Mes nerfs lâchent, des larmes coulent sur mes joues. Mes yeux se posent sur l'écran. On y voit la silhouette de SolènnDirine, ventre à terre dans le brouillard, et mon image juste à côté. Elle n'est pas très belle à voir, cheveux hirsutes, tâche violacée sur la tempe, sillons ruisselants sur les joues. Dans son fauteuil, Lali elle aussi est toute décoiffée, la mâchoire crispée, les yeux rouges de colère. On est beaux à voir tous les trois. Je retiens un sourire amère. Voilà à quoi ressemble votre Cita, messieurs dames. Regardez le tableau, on y trouve en pôle position la mort, la tristesse, la rage, le désespoir. Je vous les laisse sans regret.
- Je voudrais rejoindre SolènnDirine, conclus-je. S'il vous plaît.
Il semble que le public me soit acquis. Les post s'enchaînent, en ma faveur. J'aurais réussi ça au final. Incroyable, non ? Mademoiselle Hélène sera fière de moi.
- D'accord, accepte la Cita via la voix de Carl Preston.
- D'accord, je répète pour sceller le contrat.
Ils ont besoin de clore ce chapitre. D'en commencer un nouveau. Oublier le passé, tirer un trait. C'est ce qu'ils font le mieux.

Sept joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant